1 Paris, 19 oct. 2007 Les traces de Savigny dans la doctrine civiliste Colloque
1 Paris, 19 oct. 2007 Les traces de Savigny dans la doctrine civiliste Colloque La codification du droit, Savigny et la France », Institut Michel Villey, 19 octobre 2007 Université Paris II, Panthéon – Assas. Par Michel BOUDOT Maître de conférences Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers EA 1230 1. Mise au point - A lire les civilistes français du tournant du 20e siècle, Saleilles, Bufnoir, Planiol, Gény, même Baudry-Lacantinerie, cela ne fait aucun doute : Savigny a non seulement posé sa patte sur la révolution méthodologique qui a relevé le droit romain, mais également, il est l’un de ceux qui sont parvenus à forger des théories dominantes du droit civil. De la possession au droit des obligations, Savigny apparaît sous la plume des tenants de l’Ecole de la libre recherche scientifique comme un auteur incontournable du 19e siècle français. On doit cependant se montrer mesuré : la présence de Savigny dans la littérature civiliste du début du 20e siècle et le rôle dominant qui lui est attribué coïncide mal avec le peu de traces qu’il a laissées dans les grands commentaires du 19e siècle. Bien sûr, les écrivains de la Thémis s’employèrent à diffuser la pensée savignicienne1, bien sûr les Romanistes furent fortement imprégnés de La théorie de la possession en droit romain2, bien sûr Savigny eut des relais d’opinion et des disciples auto- proclamés3 ; mais les références à son œuvre dans les traités et commentaires de droit civil français restent minces, étonnamment4. D’un point de vue méthodologique, pour faire la part entre construction de l’histoire de la pensée, et empreinte doctrinale, je me suis donc employé à faire appel le moins possible à des considérations d’ordre biographique5 ; et ma démarche archéologique étant restée littéraire, il s’avère que la seule œuvre de Savigny que je pouvais potentiellement rencontrer dans la littérature civiliste française avant les années 1840 était le Traité de la possession en droit romain6. Les choses 1 Thémis ou bibliothèque du jurisconsulte, 1819-1831 ; WARKOENIG, « De l’état actuel de la science du droit en Allemagne et de la révolution qu’elle y a éprouvée dans le cours des trente dernières années », Thémis, tome 1er, 1819, p.7 sq. ; REMY, « La Thémis et le droit naturel », RHFD 1987, p.145 ; mais il faut rester nuancé et éviter de présenter de manière trop radicale la Thémis comme la voix de Savigny en France, WITZ, Droit privé allemand, Litec 1992, n.4 2 LABOULAYE, Essai sur la vie et les doctrines de Frédéric Charles de Savigny, 1842 ; ALAUZET (Isidore), Histoire de la possession et des actions possessoires en droit français, 1846, qui vante « les lumineuses explications en matière d’interdits possessoires » ; MOLITOR, Cours de droit romain approfondi, La possession, la revendication, la publicienne et les servitudes en droit romain, cours professé à Gand, Paris, 1852, qui entame son ouvrage par « Avant l’apparition du savant traité de M. de Savigny, une confusion extrême régnait dans la matière de la possession en droit romain ». 3 LERMINIER, De Possessione analyticâ savignyaniae doctrinae expositio, 1827 4 Voy. les explications données par Jean GAUDEMET, « Histoire et système dans la méthode de Savigny », in Hommage à René Dekkers, Bruylant, 1982, pp.117-133, spéc. in fine. 5 Voy. MOTTE, Savigny et la France, Berne, Lang, 1983 6 SAVIGNY, Das Recht des Besitzes : Eine civilistische Abhandlung, Heyer, 1803, voy. http://dlib-pr.mpier.mpg.de ; WARKOENIG, « Analyse de l’ouvrage : le droit de la possession, traité de droit civil de F. C. de Savigny », Thémis, tome 3e, 1821, p.224-235 et pp.445-460 puis Thémis, tome 4e, 1822, pp.234-256, puis Thémis, tome 5e, 1823, pp.345-366 et pp.468- 477 où Warkoenig expose la théorie des interdits possessoires en notant que la quatrième édition de l’ouvrage renferme beaucoup d’idées nouvelles ; il faut noter aussi que la théorie a évolué d’édition en édition ; v. BRUTTI, « L’intuizione della proprietà nel sistema di Savigny », Quad. fior. 5/6, 1976/77, tome 1, pp.41-103, spéc. p.77 ; égal. PEDAMON, « Le code civil 2 changeront un peu par la suite. Il faut bien être conscient que malgré l’apparente étroitesse technique du sujet – qui n’a pas été choisi par hasard par le jeune Savigny lui-même en 18037 -, ce traité de la possession et ses éditions successives, ne constituent pas seulement une théorie des droits réels et du droit de propriété, mais plus largement une perspective plus ample, une vision de la connexion historique entre les sources romaines, le droit médiéval et le système juridique moderne. Dans la deuxième moitié du 19e siècle, la diffusion du System et de sa traduction, la traduction du droit des obligations8 vont renouveler l’intérêt de la doctrine française pour les thèses de Savigny, mais à dire vrai ce sera autant pour elles-mêmes que comme contre-point aux thèses de Ihering. Pour mesurer la profondeur de l’empreinte laissée par Savigny dans la littérature civiliste française, je rendrai compte des traces laissées par les deux œuvres de droit civil aux extrémités de sa vie scientifique9, successivement et chronologiquement par le Traité de la possession (1803) puis le Droit des obligations (1851-1853). I. La possession 2. Points - clé – La thèse savignicienne de la possession en droit romain a pour ligne conductrice l’autonomie conceptuelle de la possession par rapport à la propriété ; d’emblée, il ne faudra pas s’étonner de la difficulté de réception du système proposé par Savigny puisque la tradition civiliste française au début du 19e siècle traite la possession comme constitutive d’une présomption de propriété. Reste que Savigny développe une analyse factualiste et subjectiviste des conditions de la possession qui va coïncider avec les opinions d’une partie de la doctrine du début et du milieu du 19e siècle10. 1°. La théorie de la possession de Savigny repose d’abord sur la définition de la détention, sur le fait de détenir à savoir le corpus. Ce fait de détenir n’est pas la possession en elle-même mais seulement sa condition nécessaire. « Toute acquisition de possession se fonde sur un acte corporel (corpus ou factum), accompagné d’une certaine volonté (animus). L’acte – factum – doit placer celui qui veut acquérir la possession dans une position telle que lui et lui seul puisse disposer de la chose à sa volonté, c’est-à-dire, agir à cet égard en propriétaire. La volonté doit tendre à traiter aussi la chose en réalité comme une propriété ; seulement, lorsque la possession est par suite d’un fait juridique dérivée de la possession antérieure d’un autre, il suffit de vouloir cette transmission, de sorte qu’alors la possession peut être acquise, bien que l’on reconnaisse la propriété d’une autre personne »11. Par cette formule, Savigny annonce la condition suffisante à l’existence de la possession l’animus, il en induit la primauté de la volonté sur le fait de détenir. La théorie se complexifie en ce que Savigny identifie deux aspects du corpus : pour acquérir la possession, la condition de corpus se traduit par la potentialité d’une préhension physique de la chose ; voir une chose peut suffire, encore que sur cette chose puisse effectivement s’exercer la puissance de celui qui l’appréhende. Inversement, la conservation de la possession, elle, ne requiert plus cette proximité physique et corporelle nécessaire à l’acquisition de la possession ; la volonté de posséder maintient à elle seule un corpus potentiel (ou fictif), et ce malgré l’éloignement de la chose et la perte de sa maîtrise. Selon lui, « la première condition de la continuation de la possession consiste dans un rapport physique avec la chose possédée, rapport qui nous permette d’exercer sur elle notre action. Mais il n’est point nécessaire, comme pour l’acquisition de la possession, que cette faculté soit immédiate, actuelle ; il suffit que ce rapport nous permette de nous procurer à volonté un pouvoir immédiat, et de cette manière, la possession n’est perdue que lorsque l’action de notre volonté est et la doctrine juridique allemande du XIXe siècle », in Le code civil : 1804-2004 : un passé, un présent, un avenir, Ed. Panthéon Assas, 2004, p.803 sq. 7 voy. Peter STEIN, Roman law in European history, CUP, 1999, p.115 sq. spéc. p.119. 8 SAVIGNY, Das Obligationenrecht als Theil des heutigen römischen Rechts, 1851-1853 ; trad. franç. par Gérardin et Jozon, Le droit des obligations, 1863 [2e éd., 1873] ; re-publication LGDJ – coll. Faculté de droit de Poitiers, 2008. 9 pour une présentation d’ensemble, JOUANJAN, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918), PUF, 2005, p. 11 sq. 10 voy. surtout l’analyse faite par ZENATI-CASTAING et REVET, Les biens, 2008, pour aller plus loin, n.447, p.651 et s. 11 Traité de la possession en droit romain, trad. Faivre-d’Audelange, 1842, § XIII, p.207 3 devenue tout à fait impossible. Cette règle va s’appliquer tant aux choses mobilières qu’aux choses immobilières12 ». La volonté maintient la possession quand la détention a cessé. 2°. L’animus savignicien forme le deuxième enjeu majeur de son Traité. Comme l’a montré le professeur TRIGEAUD, cette condition d’intentionnalité a elle aussi une teneur ambivalente en raison la uploads/S4/ boudot-les-traces-de-savigny-dans-la-doctrine-civiliste-2007.pdf
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- Publié le Dec 16, 2021
- Catégorie Law / Droit
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