F. / . / . Buytendijk L'homme et l'animal ESSAI DE PSYCHOLOGIE COMPARÉE TRADUIT
F. / . / . Buytendijk L'homme et l'animal ESSAI DE PSYCHOLOGIE COMPARÉE TRADUIT DE L ' A L L E M A N D PAR RÉMI LAUREILLARD G a l l i m a r d Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays, y compris VU. R. S. S. Cet ouvrage a été publié originellement sous le titre MENSCH UND TIER dans la RowohU Deutsche Enzyklopâdie sous la direction de Ernesto Grossi. <§) 1958, Rowohlt Taschenbuch Verlag, GmbH. Hamburg. © 1965, Éditions Gallimard\ pour la traduction française. I. Notions et problèmes de psychologie comparée I. L ' A C T E R É E L ET L ' A C T E A P P A R E N T La psychologie comparée a pour tâche d'étudier les analogies — que nous constatons d'emblée par notre expérience directe de chaque jour — et les différences dans l'activité de l'homme et des animaux. Il s'agit de décrire les phénomènes et de comprendre leur signification. La question, qui sans cesse se pose au cours de cette étude, concerne la distinction entre Y apparence et la réalité. Afin d'éclairer cette distinction fondamentale, prenons un exemple : de nombreux animaux, en particulier les mammifères et les oiseaux, soignent, nourrissent et protègent leurs petits. Une mère agit de manière semblable avec son enfant. Sommes- nous alors en droit de supposer chez l'animal un « amour maternel », c'est-à-dire une relation avec les petits semblable à celle qui existe chez l'homme, et en tout cas porteuse d'une même signification ? Si nous comprenons la conduite de la mère humaine comme l'expression d'un amour réel (authentique), nous nous demandons si le comportement de l'ani- mal n'exprime pas seulement un amour apparent. Mais qu'entendons-nous par ces termes de « réel » et d'« apparent » ? On a maintes fois soutenu que cette distinction réel-apparent était du seul ressort de la pensée phi- losophique, à savoir de la métaphysique, et qu'elle ne répondait pas à une conception scientifique. Selon cette opinion, toute science doit se limiter à l'étude de lois que l'on décèle dans les phénomènes apparents. Le physicien ne s'interroge pas sur la «: réalité » de la matière, le biologiste s'occupe unique- ment des manifestations de la vie et non de son essence « réelle ». Cette thèse ne vaut que si l'on comprend sous le terme de « réalité » un être totale- ment indépendant de l'homme, ce qui est peut-être concevable dans la pensée philosophique, mais n'est en aucune façon perceptible directement ou indirec- tement. Si l'on admet la notion de réel avec cette définition, le psychologue doit bien évidemment re- fuser toute question sur la réalité, c'est-à-dire sur l'en-soi du psychisme. Le problème de l'amour réel et apparent doit alors être rejeté, comme non scientifique. Mais il nous faut voir clairement que dans chaque domaine de l'expérience humaine, dans l'expérience quotidienne comme dans celle des sciences, la dis- tinction réel-apparent possède une signification qui repose sur des faits décelables. Parmi les phénomènes, c'est-à-dire parmi les choses perceptibles, il en est de réels et d'autres apparents. Y a-t-il réellement là-bas dans le brouillard un homme ou un saule qui se dresse, ou bien n'est-ce qu'une apparence ? La question est sensée et nous pouvons y répondre après un simple examen. De même le physicien peut décider par des expériences s'il est réellement ou apparemment en présence d'une masse. Le biologiste distingue l'hé- rédité réelle et apparente, le physiologue oppose les réflexes, les hormones, etc., réels et apparents. Mais il est évident que dans tous ces cas l'opposition réel-apparent n'a de sens que si l'on s'est formé déjà une notion ou une définition du « réel ». Cela vaut de la même façon pour la psychologie. La psychologie expérimentale distingue en examinant un phénomène perceptible les mouvements réels et apparents, le caractérologue les sentiments réels (authentiques) et apparents (non authentiques), le psychiatre une névrose réelle et apparente. Le pro- blème de ces oppositions est fondé sur la notion que nous nous sommes faite du caractère réel de ce que nous percevons : mouvement, émotion, névrose. La question d'un amour maternel réel ou apparent, que nous avons proposé comme exemple de problème de psychologie comparée, n'est donc pas du ressort de la métaphysique. Il s'agit d'un dilemme que nous devons trancher scientifiquement dès lors que nous avons clairement posé le concept de l'authentique amour maternel chez l'être humain. Si nous compre- nons l'amour maternel comme une inclination pour l'enfant qui tire d'elle-même son autorité, librement voulue — encore qu'elle soit motivée par la situation —, affective mais aussi soucieuse de protéger, il appa- raît alors que le véritable amour dépend de condi- tions qui ne sont jamais remplies dans la vie animale. Disons avec force que l'ensemble des problèmes de la psychologie comparée repose sur une connaissance de ce qui est proprement humain chez l'homme. Si la conception de l'humain se modifie, l'animal appa- raît également sous un éclairage différent. L'étude de la parenté entre les activités humaines et animales se propose d'examiner les caractères communs et les différences essentielles. Elle se fonde toujours sur une science de l'homme qui tente une explication de l'acte humain dans les particularités humaines. Ge lien entre la psychologie comparée et la connais- sance de l'essence humaine, c'est-à-dire l'anthro- pologie philosophique, se rattache d'une manière particulièrement convaincante à certaines concep- tions qui ont. été formulées au début de l'époque moderne, au moment de l'essor des sciences naturelles, et qui influent encore sur la psychologie actuelle. On a pensé alors que l'homme n'existe pas dans le monde en tant qu'unité de corps animé, mais comme un corps et une âme juxtaposés : le corps fonctionnerait comme un mécanisme complexe et 1' « âme spiri- tuelle » reçoit d'une « manière mystérieuse » des sensations venues du corps et provoque dans le corps des mouvements. Au xvii® siècle, cette concep- tion dualiste de l'homme conduisit logiquement à la thèse selon laquelle les animaux seraient des « auto- mates » dépourvus d'âme. Ces automates ne voient pas, n'entendent pas, ne sentent pas et ne souffrent pas comme les hommes, ils n'en donnent que l'appa- rence, Cette thèse contredit radicalement la convic- tion du profane qui estime que les animaux supé- rieurs au moins sont en relation avec leur environne- ment et avec l'homme, et que leurs mouvements d'expression sont sans aucun doute liés à leurs impressions. Elle se trouve donc en si totale contra- diction avec le sens commun qu'il n'est pas un homme, pas un savant qui ait jamais pu croire que seul l'être humain vit réellement quelque chose et que l'animal ne vit qu'apparemment mais est en réalité une ma- chine à réflexes compliquée. Nous comprenons ainsi que ces anciennes thèses, qui prétendaient voir en l'homme l'interaction de l'âme et du corps et en l'ani- mal un corps sans âme, faussèrent vite la compréhen- sion de l'humain. Selon cette conception l'être humain n'est en effet — et a fortiori l'animal — réellement rien de plus qu'une structure physico-chimique com- plexe. Mais dans cette structure certains processus du système nerveux central sont liés à la présence d'un état de conscience et par conséquent d'un « vécu » (Erlebnis). Ce parallélisme des phénomènes matériels et psychiques est à la base de la position méthodique de la plupart des psychologues et zoolo- gues contemporains qui s'occupent de recherche com- parée du comportement. Un congrès se tint en 1948 aux États-Unis, auquel se rendirent quelques éminents psychologues, phy- siologues et psychiatres. On adopta à l'unanimité— ainsi que le rapporte E. Straus —- comme un article de loi l'énoncé suivant : « Tous les phénomènes du comportement et de l'esprit peuvent et doivent être finalement inclus dans les notions de mathématique et de physique V » Y a-t-il conscience et donc « vécu » chez l'homme et chez l'animal, il semble que l'on n'ait pas éprouvé le besoin de trancher la question. Si le conscient n'est en réalité qu'un épiphénomène qui accompagne des processus cérébraux, ce serait le devoir de la science de se limiter à une étude des mécanismes physiolo- giques. Est-ce que cette mission ainsi entendue de la science conduit à une compréhension du comporte- ment humain et animal ? Cela reste contestable. Les défenseurs de la psychologie dite objective répondent affirmativement à la question. Car ils estiment que les faits fournis par l'expérience courante, comme la perception et l'action, les relations affectives et leur expression, la formation des habitudes et la conduite intelligente, peuvent être bien décrits, mais Seulement en termes qui correspondent à une connais- sance non systématique et non stricte du quotidien. Il y a plusieurs années on avait même proposé d'éviter les termes du langage courant comme voir et sentir, et l'on parlait de « façon objective » de 1. E. Straus, Vom Sitin der Sinne, Springer-Verlag, Berlin- Gôttingen-Heidelberg, 1956, p. 113. photoréception et chémoréception. Seules ces expres- sions étaient justifiées d'après eux, du point de vue scientifique, car on ne peut que uploads/S4/ buytendijk-l-x27-homme-et-l-x27-animal.pdf
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- Publié le Jan 08, 2022
- Catégorie Law / Droit
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