Cahiers Pierre Belon 10 | 2003 : Le droit romano-byzantin dans le Sud-Est europ
Cahiers Pierre Belon 10 | 2003 : Le droit romano-byzantin dans le Sud-Est européen Les mariages mixtes dans la tradition juridique de l’Église grecque : de l’intransigeance canonique aux pratiques modernes Mixed Marriages in Greek Church Juridical Tradition: From Canonical Intransigence to Modern Practices CONSTANTINOS G. PITSAKIS p. 107-145 Résumés En matière de mariage mixte, bien que l’intransigeance du Concile Quinisexte (692) soit théoriquement toujours en vigueur de nos jours, l’Église orthodoxe grecque a lentement évolué selon le principe d’économie, qui préconise d’appliquer le dogme aux situations pastorales afin de sauvegarder l’unité de la communauté ecclésiale. Ces premiers arrangements ont vu le jour aux XIIe-XIIIe siècles avec l’irruption de l’Islam dans l’Empire, ainsi qu’avec la Quatrième croisade, et n’ont pas eu de forme identique s’il s’agissait de musulmans ou de catholiques romains (voire orientaux). Après une courte période de sévérité renouvelée au début du XIXe siècle, on en vient même à entériner les mariages entre chrétiens (1897), ce qui a été facilité par l’évolution préalable du droit civil. Mixed Marriages in Greek Church Juridical Tradition: From Canonical Intransigence to Modern Practices With regard to marriage, although the Quinisexte Council (692) intransigence is theoretically still in force today, the Greek Orthodox Church has slowly evolved under the influence of the principle of economy, which calls for applying the doctrine to pastoral situations in order to safeguard the unity of the ecclesial community. These initial arrangements have emerged in the 12th-13th centuries with the arrival of Islam in the empire, as well as the Fourth Crusade, and have not been identical if they were Muslims or Roman (and Eastern) Catholics. After a short period of renewed severity in the early 19th century, the marriage between Christians has even been allowed (1897), which was facilitated by the prior evolution of civil law. Notes de la rédaction Texte d’un exposé présenté au séminaire : Mariage et famille : le problème des mariages mixtes (Istanbul, 6-7 novembre 1997), dont les actes n’ont pas été publiés. Le caractère juridique du séminaire est à l’origine du contenu et du style, quelque peu « technique » de ce Les mariages mixtes dans la tradition juridique de l’Église grecque : de ... http://etudesbalkaniques.revues.org/index341.html 1 of 26 4/7/2011 2:41 PM texte. Texte intégral I. La norme canonique 1. La législation du concile in Trullo Μὴ ἐξέστω ὀρθόδοξον ἄνδρα αἱρετικῇ συνάπτεσθαι γυναικί, µήτε µὴν αἱρετικῷ ἀνδρὶ γυναῖκα ὀρθόδοξον ζεύγνυσθαι· ἀλλ’ εἰ καὶ φανέιν τι τοιοῦτον ὑπό τινος τῶν ἁπάντων γινόµενον, ἄκυρον τὸν γάµον ἡγεῖσθαι καὶ τὸ ἄθεσµον διαλύεσθαι συνοικέσιον· οὐ γὰρ χρὴ τὰ ἄµικτα µιγνύναι, οὐδε τῷ προβάτῳ λύκον συµπλέκεσθαι καὶ τῇ τοῦ Χριστοῦ µερίδι τὸν τῶν ἁµαρτωλῶν κλῆρον. Εἰ δὲ παραβῇ τις τὰ παρ’ ἡµῶν ὁρισθέντα, ἀφοριζέσθω2. Ne liceat virum orthodoxum cum muliere haeretica matrimonio contungi, neve mulierem orthodoxam viro haeretico nubere ; sed et si quid eiusmodi a quopiam ex omnibus fieri apparuerit, irritae nuptiae existimandae sunt et nefarium coniugium dissolvendum est ; neque enim ea quae non sunt miscenda misceri, nec ovem cum lupo, nec peccatorum sortem cum Christi parte coniungi oportet. Si quis autem ea, quae a nobis decreta sunt, transgressus fuerit, excommunicetur3. « Qu’il ne soit pas permis à un homme orthodoxe de s’unir à une femme hérétique, ni à une femme orthodoxe d’épouser un homme hérétique ; et si pareil cas s’est présenté pour n’importe qui, le mariage doit être considéré comme nul et le contrat matrimonial illicite est à casser ; car il ne faut pas mélanger ce qui ne se doit pas, ni réunir un loup à une brebis, [ni le sort des pécheurs à la part du Christ]. Si quelqu’un transgresse ce que nous avons décidé, qu’il soit excommunié »4. La réglementation canonique définitive des mariages mixtes dans l’Église d’Orient, pour ce qui est aujourd’hui dans l’Église orthodoxe, toujours officiellement en vigueur, a été faite d’une manière fortement négative par le canon 72 du concile in Trullo, ou concile Quinisexte, de l’an 692 ; concile « législatif » par excellence de l’Église de tradition byzantine1 : 1 Le canon du concile in Trullo reprend et cherche à généraliser une interdiction déjà présente, sous une forme plus nuancée ou d’application plus restreinte, dans des canons de certains conciles locaux antérieurs, dont la législation a été confirmée, dans son ensemble, par le canon 2 de ce même concile in Trullo, et dès lors de force canonique concomitante. Dont : 2 (a) le canon 10 de Laodicée (ca. 380) : Περὶ τοῦ µὴ δεῖν τοὺς τῆς ἐκκλησίας ἀδιαφόρως πρὸς γάµου κοινωνίαν συνάπτειν τὰ ἑαυτῶν τέκνα. Le canon contient une double ambiguïté : οἱ τῆς ἐκκλησίας seraient-ils des « ecclésiastiques », comme traduisait déjà Denys le Petit, au VIe siècle (Quod non oporteat indifferenter ecclesiasticos ad foedera nuptiarum hereticis suos filios filiasque coniungere), ou bien tous les chrétiens, « les membres de l’Église », selon l’interprétation unanime des canonistes byzantins5, suivie par Joannou (Que les membres de l’Église ne marient pas indifféremment leurs enfants avec les hérétiques) ? Et cette expression ἀδιαφόρως « indifféremment », indifferenter, signifierait-elle tout simplement que cette question n’est pas « indifférente », sans importance, ou introduirait-elle une distinction entre plusieurs catégories d’« hérétiques » ? La doctrine byzantine est aussi unanime à rejeter toute distinction de cette sorte, donc toute distinction entre des cas de mariages « mixtes » interdits et des cas de mariages « mixtes » permis6. Quoi qu’il en soit, l’interdiction est répétée dans 3 Les mariages mixtes dans la tradition juridique de l’Église grecque : de ... http://etudesbalkaniques.revues.org/index341.html 2 of 26 4/7/2011 2:41 PM Ὅτι οὐ δεῖ πρὸς πάντας αἱρετικοὺς ἐπιγαµίας ποιεῖν ἢ διδόναι υἱοὺς καὶ θυγατέρας· ἀλλὰ µᾶλλον λαµβάνειν, εἴ γε ἐπαγγέλοιντο Χριστιανοί γενέσθαι. Quod non oporteat cum hereticis universis nuptiarum foedera celebrare nec eis filios dare vel filias ; sed magis accipere, si tamen promittant se fieri Christianos (traduction ancienne de Denys le Petit) La traduction française de Joannou, de caractère plus juridique, fait disparaître cette nuance d’ordre social entre dare et accipere dans une famille : « On ne doit pas se marier avec des hérétiques quels qu’ils soient, ni leur donner en mariage ses fils et filles, à moins qu’ils ne promettent de se faire chrétiens »7. Ἐπειδὴ ἔν τισιν ἐπαρχίαις συγκεχόρηται τοῖς ἀναγνώσταις καὶ ψάλταις γαµεῖν, ὥρισεν ἡ ἁγία σύνοδος µὴ ἐξεῖναί τινι αὐτῶν ἑτερόδοξον γυναῖκα λαµβάνειν. Τοὺς δὲ ἤδη ἐκ τοιούτων γάµον παιδοποιήσαντας… µήτε µὴν συνάπτειν πρὸς γάµον αἱρετικῷ ἢ Ἰουδαίῳ ἢ Ἕλληνι, εἰ µὴ ἄρα ἐπαγγέλοιτο µετατίθεσθαι εἰς τὴν ὀρθόδοξον πίστιν τὸ συναπτόµενον πρόσωπον τῷ ὀρθόδοξῳ. Εἰ δὲ τις τοῦτον τὸν ὅρον παραβαίν τῆς ἁγίας συνόδου κανονικῷ ὑποκείσθω ἐπιτιµίῳ. Quoniam in quibusdam provinciis concessum est lectoribus et psalmistis uxores accipere, statuit sancta synodis non licere cuiquam ex his sectae alterius uxorem accipere. Qui vero ex huiusmodi coniugio iam filios susciperunt… neque copulari debet nuptura haeretico, Iudaeo vel pagano, nisi forte promittat se ad orthodoxam fidem orthodoxe copulanda persona transferre. Si quis autem hanc definitionem sanctae sinhodi transgressus fuerit, correptioni canonicae subiacebit)8. (b) le canon 31 de Laodicée, cette fois sans ambiguïté, mais tout en laissant une possibilité d’« accepter » ou de « recevoir » un hérétique dans une famille « chrétienne », si celui-ci promet de se convertir : 4 (c) Le canon 21 du concile de Carthage (419) qui interdit particulièrement les mariages des enfants des membres du clergé avec des païens ou des hérétiques : Item placuit ut filii clericorum gentilibus vel hereticis matrimonio non coniugantur (dans la traduction grecque « officielle » des collections canoniques orientales : Ὁµοίως ἤρεσεν ὥστε τὰ τέκνα τῶν κληρικῶν ἐθνικοῖς ἢ αἱρετικοῖς γαµικῶς µὴ συνάπτεσθαι). 5 Dans la législation des conciles œcuméniques avant le Quinisexte, un seul canon, le canon 14 du concile de Chalcédoine (IVe concile œcuménique), traite de ce sujet, dans un cas très particulier aussi, au moins en apparence. Ceux qui seraient entrés dans les ordres mineurs, qui n’empêchent pas le mariage après l’ordination, ne doivent pas épouser des femmes hétérodoxes (le terme est éclairci plus bas : hérétiques, juives ou païennes) ; dans la ligne des canons de Laodicée et de Carthage ils ne doivent pas non plus donner leurs enfants en mariage à des personnes hétérodoxes, à moins que celles-ci ne promettent d’embrasser la foi chrétienne orthodoxe : 6 On sait que le concile de Chalcédoine avait sous les yeux une collection canonique comprenant les canons de Laodicée qui empêchaient le mariage avec des hérétiques pour tous les fidèles. Pourquoi donc cette disposition très particulière à propos des seuls lecteurs et chantres ? On a vu là une influence du canon 21 de Carthage, ce qui paraît peu probable, et n’explique d’ailleurs pas grand-chose. On devrait plutôt s’associer à l’opinion d’un éminent canoniste orthodoxe contemporain, Mgr Pierre L’Huillier, un spécialiste de la législation des quatre premiers conciles œcuméniques : « Canons 10 and 31 of Laodicea, appearing in the collection used by fathers of Chalcedon, forbade all Christian from marrying heretics… No doubt, this ruling was poorly observed by many laymen. Since readers and chanters were at the limit between the clergy and the laity, they uploads/S4/ c-pitsakis-les-mariages-mixtes-dans-la-tradition-juridique-de-l-x27-eglise-grecque.pdf
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- Publié le Jui 06, 2021
- Catégorie Law / Droit
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