Chapitre 4, 2ème partie (II, 4) : du début au 5ème §, jusqu’à « […] je n’ai plu
Chapitre 4, 2ème partie (II, 4) : du début au 5ème §, jusqu’à « […] je n’ai plus senti que la chaleur de cette matinée. » Le passage choisi est un extrait du procès de Meursault, qui est le narrateur de l’histoire et avec lequel nous vivons sa mise en accusation et son face à face avec la société : nous étudierons en quoi ce personnage singulier est représentatif de l’absurdité de la condition humaine. I) Un personnage étranger à son propre procès 1) Le choix narratif : focalisation interne sur Meursault - texte écrit à la 1re personne → plongée dans l’intériorité du criminel afin de comprendre les raisons de son acte. - il est surtout sujet de verbes de perception : « Moi j’écoutais et j’entendais » , « je ne comprenais pas bien », « me frappait », « sans qu’en réalité je comprenne bien pourquoi », « je ne pouvais pas m’empêcher de reconnaître », « Je ne regrettais pas », « m’étonnait », « J’aurais voulu essayer », « je n’ai plus senti que la chaleur ». On ne perçoit que peu de verbes de pensée et, contrairement à toute attente, aucun verbe de sentiment à l’égard de sa victime ou de son entourage ni aucun regret pour l’acte pour lequel il est jugé. - les seuls sentiments exprimés paraissent totalement déplacés et s’adressent au procureur : « j’aurais voulu lui expliquer cordialement, presque avec affection, que je n’avais jamais pu regretter vraiment quelque chose » → Étrangeté du personnage accentuée : pas de clé permettant de comprendre la raison de son geste. Cette restriction de la focalisation au seul personnage principal renforce son isolement : nous avons principalement son point de vue et donc l’expression de son incompréhension. 2) Un accusé spectateur a. La focalisation interne, centrée sur Meursault, montre qu’il n’intervient pas, même lorsqu’il en aurait envie: aucun passage au discours direct ne retranscrit ses paroles ; non seulement on lui demande de se taire («mon avocat me disait alors : « Taisez-vous, cela vaut mieux pour votre affaire. ») mais il le dit lui-même : « […] réflexion faite, je n’avais rien à dire »… b. Il est passif : - il n’est pas sujet de verbes d’action - il est souvent en position grammaticale de complément d’objet, ce qui montre qu’il subit l’action : - en début de chapitre, une série de trois phrases insistent sur cette sensation d’être laissé en marge de ce qui allait décider de sa vie, de son avenir : « En quelque sorte, on avait l'air de traiter cette affaire en dehors de moi. Tout se déroulait sans mon intervention. Mon sort se réglait sans qu'on prenne mon avis. » → La vie de Meursault ne lui appartient pas : il n’est que le témoin des événements qui se déroulent autour de lui mais qui le concernent et qui vont décider de sa vie. II) Un coupable idéal 1) Meursault, étranger au sentiment filial dans le bref rappel des activités de Meursault lors de la mort de sa mère, le procureur à travers un jeu de juxtapositions veut mettre en relief leur aspect ludique et leur caractère déplacée dans de telles circonstances : « il a rappelé l’ignorance où j’étais de l’âge de maman, mon bain du lendemain, avec une femme, le cinéma, Fernandel et enfin la rentrée avec Marie. » ; les précisions insistantes : « avec une femme », « Fernandel », qui est un acteur comique, forment un crescendo, donnent à l’énumération l’allure d’une gradation et en accentue la « monstruosité ». 2) Des apparences qui plaident contre lui - il ne semble pas éprouver de sentiment - il semble s’ennuyer : les passages de discours narrativisé soulignent la lassitude de Meursault qui n’écoute plus vraiment ces paroles répétitives et les résume (« beaucoup plus long que lorsqu’il parlait de mon crime »). Ses propos le confirment : «la plaidoirie du procureur m'a très vite lassé ». Le texte joue sur l’alternance entre des moments d’attention et d’inattention : ainsi durant les paragraphes 4 et 5, Meursault écoute attentivement (« Moi j'écoutais et j'entendais qu'on me jugeait intelligent »), puis connaît une phase d’inattention (« […]je n'ai plus écouté le procureur […]), puis redevient attentif lorsque l’on parle de ses regrets et de son âme, avec la volonté de faire comprendre son attitude (« […]j'ai essayé d'écouter encore parce que le procureur s'est mis à parler de mon âme. »), pour finalement se déconcentrer de nouveau en raison de la chaleur et des propos répétitifs (« Mais il a été beaucoup plus long que lorsqu'il parlait de mon crime, si long même que, finalement, je n'ai plus senti que la chaleur de cette matinée »). 3) un personnage décalé - il ne semble pas comprendre les enjeux du procès et semble extérieur. Il parle de lui comme de quelqu’un d’autre : « il est toujours intéressant d'entendre parler de soi ; je peux dire qu'on a beaucoup parlé de moi » ; - ses réactions sont en décalage par rapport à la réalité et les termes employés pour les décrire ne correspondent pas à la gravité de l’instant : « une chose pourtant me gênait vaguement », « malgré mes préoccupations », « C'est important d'être l'accusé », - son caractère enfantin accentue ce décalage : il appelle sa mère « maman », il manque de recul : « J'ai mis du temps à le comprendre, à ce moment, parce qu'il disait «sa maîtresse» et pour moi, elle était Marie. » Le lecteur retient de lui son inconscience ou sa naïveté quand Il éprouve de l’étonnement devant l’attitude accusatrice du procureur, ou qu’il souhaite un désir de rapports sociaux amicaux hors de propos dans ce tribunal : « J’aurais voulu essayer de lui expliquer cordialement, presque avec affection », « de me montrer affectueux, d’avoir de la bonne volonté ». 4) Une intelligence qui joue contre Meursault Meursault apparaît donc comme un spectateur passif et inattentif à son propre procès, qui ne comprend ni la procédure ni les accusations, sans émotions adaptées à la situation (peur, honte, regret, colère), tout juste étonné : « tant d’acharnement m’étonnait ». Cette attitude peut être interprétée comme celle d’un personnage simple voire simpliste qui ne maîtrise pas les arcanes du monde dans lequel il vit ; de ce point de vue, il peut susciter chez le lecteur –et le jury- une compassion qui de meurtrier le transforme en victime sociale qui est plus à plaindre qu’à blâmer. C’est précisément pour cette raison que le procureur insiste tant et avec une éloquence que le discours direct permet de discerner, sur l’intelligence de l’accusé : ainsi sa passivité devient de la désinvolture, son manque d’intérêt pour son procès devient du cynisme et son absence de sentiment en fait un monstre d’inhumanité. Enfin, qualifier Meursault d’homme « intelligent » le rend pleinement coupable de son geste et lui ôte toute circonstance atténuante pour son geste. III) Une critique de la justice : la théâtralisation d’un procès (analyse en partie empruntée à une étude faite sur le site d’Amélie V. : commentairecompose.fr/l.../l-etranger-camus-analyse-proces/) Le point de vue interne adopté permet aussi à cet extrait de s’inscrire dans la tradition satirique des écrits qui, comme Candide de Voltaire, Lettres persanes de Montesquieu, mettent en scène un personnage portant un regard extérieur et naïf sur les événements qui l’entourent. 1) Un spectacle a. Des spectateurs - Le procès est perçu comme un spectacle qui a pour fonction d’ «occuper les gens » : - La victime, dont on ne parle quasiment pas, et l’accusé ne sont que secondaires ; ce dernier est totalement statique, l’art de la gestuelle étant réservé à l’avocat et au procureur ; il est dans le rôle du spectateur : c’est un accusé exclu de son procès. En effet, on l’a vu, - lorsque Meursault veut prendre la parole, son avocat le somme péremptoirement de se taire, comme en témoigne l’emploi de l’impératif. - sa personne est niée par la justice : il note que son procès se déroule « en dehors de moi », «sans mon intervention «, « sans qu'on prenne mon avis » - De même, Meursault n’est plus sujet de verbes d’action, ce qui renforce le sentiment d’exclusion. b. Un jeu très réglé Les premiers rôles sont dévolus aux professionnels de la justice : - à l’inverse de Meursault, le procureur possède la parole et donc comme au théâtre le pouvoir : il en maîtrise les rouages et varie les effets : - Discours indirect libre (oralité restituée et vie) : « Il disait qu’il s’était penché sur elle et qu’il n’avait rien trouvé, messieurs les Jurés », - Discours indirect : « il disait qu’à la vérité, je n’en avais point […] » - Larges passages de discours direct pour faire adhérer le lecteur au réquisitoire. - les rôles sont interchangeables comme le montre leur gestuelle, art théâtral, qui est réservé à l’avocat et uploads/S4/ camus-l-x27-etranger-le-requisitoire-du-procureur.pdf
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- Publié le Sep 25, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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