Blaise Cendrars RHUM L’AVENTURE DE JEAN GALMOT (1930) Table des matières I L’HO

Blaise Cendrars RHUM L’AVENTURE DE JEAN GALMOT (1930) Table des matières I L’HOMME QUI A PERDU SON CŒUR ............................... 4 II UN DÉBUT DANS LA VIE ................................................. 14 III PARTIR !… PARTIR !… .................................................... 22 IV L’AVENTURE ?… .............................................................. 31 V « SIX MILLIONS POUR UN CROCODILE !… » ............... 42 VI L’AFFAIRE DES RHUMS ................................................. 53 VII BOIS DE ROSE. MISSION DE PROPAGANDE. LA GUERRE. L’AGENCE RADIO. ACTIVITÉ PARLEMENTAIRE. JOURNALISME. LOTERIE NATIONALE. AVIATION. ...................................................... 62 VIII LES AFFAIRES NE SONT PAS LES AFFAIRES ........... 72 IX UN HOMME LIBRE ......................................................... 82 X UN HOMME TRAQUÉ ....................................................... 92 XI ÉLECTIONS GUYANAISES ............................................ 103 XII EMPOISONNÉ ! ............................................................. 114 À propos de cette édition électronique ................................. 124 2 JE DÉDIE CETTE VIE AVENTUREUSE DE JEAN GALMOT AUX JEUNES GENS D’AUJOURD’HUI FATIGUÉS DE LA LITTÉRATURE POUR LEUR PROUVER QU’UN ROMAN PEUT AUSSI ÊTRE UN ACTE B. C. 3 I L’HOMME QUI A PERDU SON CŒUR C’est une étrange histoire… Jean Galmot, qui fut député de la Guyane, après avoir été chercheur d’or, trappeur, trusteur de rhum et de bois de rose, journaliste aussi, a nettement accusé, avant de rendre le der- nier soupir, ses ennemis politiques et privés de l’avoir fait em- poisonner par sa bonne, Adrienne. Trois experts médicaux ont été commis pour examiner l’affaire : les docteurs Desclaux et Dervieux, et le professeur Balthazard. M. Kohn-Abrest, directeur du laboratoire de toxicologie, a été chargé de procéder à une contre-expertise. Et l’on s’est alors aperçu que le cœur de Jean Galmot n’était plus là ! On présume qu’il est resté en Guyane. « Mon cœur ne vous quittera jamais ! » avait déclaré Jean Galmot à ses électeurs guyanais, dans une de ses proclama- tions enflammées dont il avait le secret et qui l’avaient rendu si populaire sur la terre du bagne et de l’Eldorado. Se conformant à la volonté du mort, des amis fidèles de Galmot auraient-ils subrepticement ravi ce viscère aux enquê- teurs ? Ou bien une administration peut-être trop négligente ou trop occupée a-t-elle égaré le cœur au fond de quelque tiroir ou de quelque dossier ? 4 En matière d’empoisonnement, le cœur est un organe trop important pour que les médecins experts s’en puissent désinté- resser. On va donc le rechercher. Mais le retrouvera-t-on ? Et dans quel état ? Il est invraisemblable, en tout cas, que la Justice l’ait ou- blié là-bas… On se demande si la Justice – celle de la Guyane, s’entend – n’a pas pris toutes ses mesures pour que la lumière ne puisse jamais être faite sur le drame mystérieux où disparut Jean Galmot ? Déjà les pièces à conviction – elles remplissent trente-cinq caisses – avaient été perdues. On a amené en France des té- moins et des complices, mais les principaux accusés, ceux que l’opinion publique dénonce comme tels, sont laissés en Guyane en liberté provisoire. Cet entrefilet, dans un journal de l’an dernier, portait ce titre : L’homme qui a perdu son cœur, et ce sous-titre : Thémis a égaré le cœur de Jean Galmot. Bonne récompense à qui le rapportera. On ne peut pas le lire sans en être impressionné… Depuis l’an dernier, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Un procès va avoir lieu, qui n’est pas fait pour éclaircir les cir- constances suspectes à la suite desquelles Jean Galmot mourut. On y jugera des partisans, quelques galmotistes guyanais pour lesquels cette mort a été un deuil national et une injustice im- possible à supporter et qu’il fallait venger. Ce sera miracle si on ne s’en prend pas à Jean Galmot lui-même, seul responsable, somme toute, de la perfidie et de la déloyauté de ses adver- saires… 5 Or, lui, n’est plus là. On veut étouffer l’affaire. Un de ses livres porte ce titre troublant : Un mort vivait parmi nous. Et voilà que son cœur, son cœur mort, disparaît comme le sac d’une jolie femme ou un portefeuille… Et cette disparition fait parler les journaux. Ils n’en parleront jamais assez… Jean Galmot. La vie d’un homme ! Par quel bout commencer ? Je l’ai rencontré en 1919. Je n’étais pas sans connaître la légende de Jean Galmot. On n’a pas vécu comme moi durant des années dans les coulisses du monde des affaires, dans ce que j’appelais vers la fin de la guerre la bohème des finances (c’est d’ailleurs tout ce qui restait à ce moment-là du Quartier latin) sans connaître son Paris. J’entends par là non pas, tenu à jour, le Bottin des couchages mondains, mais les secrètes combinaisons des démarcheurs et des banques qui portèrent soudainement au pinacle du popu- laire ou vouèrent à la géhenne publique des affaires telles que la liquidation des stocks américains, le consortium international des carbures, la spéculation sur les mistelles, le marché Sanday, la Royal Dutch, le scandale des changes et de la Banque Indus- trielle de Chine. Et Jean Galmot ? Quelle légende ! En 1919, Jean Galmot passait pour avoir des millions. Des dizaines ou des centaines ? Je n’en savais rien. Mais il avait du rhum ! De quoi remplir le lac Léman ou la Méditerranée ! Il avait aussi de l’or, en poudre, en pépites, en barres ! Comme tous les profiteurs, les spéculateurs, les nouveaux riches de 6 France achetaient des châteaux, on en attribuait des douzaines à Galmot. C’était une espèce de nabab, de gospodar, qui faisait une noce à tout casser et qui avait plus de femmes que le Grand Turc ! Qui était-il ? Un aventurier, député. D’où sortait-il ? De la Guyane. Et les potins d’aller bon train. Comme il fréquentait volontiers les salles de rédaction et qu’il aimait à s’entourer d’écrivains et d’artistes, on se chucho- tait des infamies sur son compte. C’était un ancien pirate, il s’était fait proclamer roi chez les Nègres, il avait assassiné père et mère. C’était encore un brasseur d’affaires, un bourreau de travail, le plus dévoué des amis, un homme impitoyable, un bluffeur, une brute, un dépravé, une poire, un vaniteux, un as- cète, un orgueilleux qui voulait épater Paris, un noceur, un homme épuisé, un costaud qui se produisait dans les foires et luttait en public avec sa maîtresse, un ancien bagnard. On m’a même affirmé qu’il était tatoué ! À cette époque, j’avais un bureau grand comme un étui à cigarettes. Deux portes à coulisse, des ampoules électriques, une table comme un calepin et vingt et une lignes téléphoniques. Je m’y tenais toute la journée. Le ventilateur ou le radiateur étaient mes saisons. Le slips me marquait l’heure, et les hommes qui entraient ou qui sortaient par mes deux portes, les minutes, à raison de cinq ou six entrées ou sorties à la fois. Eh bien, sur dix personnes qui venaient me voir, neuf me parlaient de Galmot ! Ce n’était donc pas un mythe. Cet homme existait, puisqu’il se dégageait pour moi peu à peu de sa légende et venait mainte- nant agiter les gens jusque dans mon bureau. Des plumitifs 7 m’interrogeaient, des journalistes venaient aux renseignements, des théâtreuses me demandaient des tuyaux ; au bout de mes fils, comme au bout de longues aiguilles à tricoter, se nouaient mille et une combinaisons, entre hommes d’affaires et politi- ciens, entre industriels et gens du monde, mille et une combi- naisons pour faire « casquer » Galmot. Casquer, c’est-à-dire lui faire commanditer des affaires… Que de passions ! Tout le monde avait besoin d’argent pour liquider ou pour repartir de plus belle. C’était la fin de la guerre !… Je m’y attendais. Un beau jour, j’eus Galmot lui-même au bout du fil : il demandait rendez-vous au patron. Quand je le vis entrer dans mon bureau, j’eus l’impression de me trouver en face de Don Quichotte. C’était un homme grand, mince, félin, un peu voûté. Il n’avait pas bonne mine et ne devait pas peser son poids. Il pa- raissait très las, voire souffrant. Son teint était mat, le blanc de l’œil était injecté : Galmot devait souffrir du foie. Une certaine timidité paysanne se dégageait de toute sa personne. Sa parole était aussi sobre que son complet de cheviotte bleu marine, un peu négligé, mais sortant de chez le bon faiseur. Il parlait avec beaucoup de détachement. Ses gestes étaient rares et s’arrêtaient, hésitants, à mi-course. Le poil, comme l’œil, était noir. Mais ce qui me frappa le plus dès cette première entrevue, ce fut son regard. Galmot avait le regard insistant, souriant, palpitant et pur d’un enfant… Que nous sommes loin de sa légende, des adjectifs des journalistes et des laborieuses inventions de ses adversaires ! 8 C’est Balzac qui, pour les personnages de La Comédie hu- maine, faisait établir, dit-on, des fiches horoscopiques, où il trouvait tous les motifs de leur vie et le thème de leur destinée. Ce que Balzac faisait avec des personnages imaginaires que ne le faisons-nous avec les personnages véridiques de la vie ? Voilà Jean Galmot : né le 1er juin 1879, à quinze heures, à Monpazier (Dordogne). Avec cette seule uploads/S4/ cendrars-rhum 1 .pdf

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  • Publié le Jan 04, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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