DROITS INTELLECTUELS -ARBITRAGE ET MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES LITIGES 6
DROITS INTELLECTUELS -ARBITRAGE ET MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES LITIGES 605 CHAPITRE V ARBITRAGE ET MODES ALTERNA TIFS DE RÈGLEMENT DES LITIGES Olivier CAPRASSE Pro fi88eiiràTâ FîièultéiIiDroit de l'Université de Liège Avocat au Barreau de Bruxelles et Alexandre CRUQUENAIRE Chercheur au C.R.I.D. Maître de Conférences aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur Avocat au Barreau de Namur SECTION l L'arbitrabilité des litiges en matière de droits intellectuels! § 1. -Introduction 793. -L'arbitrage: notions. L'arbitrage est un mode de résolution des conflits par lequel des parties en litige soustraient la solution de leur différend à la connaissance des juridictions de droit commun pour la soumettre à une ou plusieurs personnes investies pour l'occasion de la fonction de juger2. Les caractéristiques et avantages de l'arbitrage sont bien connus. Justice confidentielle, au climat particulier, confiée à des spécialistes, souvent plus rapide que la justice étatique, l'arbitrage est susceptible de rendre de nombreux services aux parties impliquées dans les litiges mettant en cause les droits intellectuels. La pratique montre d'ailleurs que, particulièrement dans le contexte international, de nombreux arbitrages mettent en cause de tels droits. 794. -La question de l'arbitrabilité. L'arbitrabilité des litiges 3 vise la « qualité qui s'applique à une matière, à une question ou à un litige, d'être soumis au pouvoir juridictionnel des arbitres» 4. Les règles qui gouvernent (1) Cette section a été rédigée par O. CAPRASSE. (2)Voy. notamment: C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, t. l, Bruxelles, Larcier, 1974, p. 213; Bép. not., «L'arbitrage. (Ph. de BOURNONVILLE), t. XIII, 1. VI, éd. 2000; A. FETTWEIS, Manuel de procédure civile, 2" éd., Liège, Faculté de Droit, 1987, p. 659; G. KEUTGEN et G.-A. DAL, L'arbitrage en droit belge et international, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 27; Ch. JARROSSON, La notion d'arbitrage, Paris, L.G.D.J., 1987; J. LINSMEAU, «L'arbitrage volontaire en droit privé belge., B.P.D.B., compl. t. VII, Bruxelles, Bruylant, 1990, p. 10. (3) «Le mot est lourd mais il n'est pas barbare. et est très largement utilisé par la doctrine et la jurisprudence (P. LEVEL, «L'arbitrabilité., Bev. arb., 1992, p. 213). (4) P. LEVEL, lac. cit.; une acception plus large du concept d'arbitrabilité est parfois retenue, particulièrement aux États-Unis; certains englobent ainsi sous ce vocable la délimitation de la clause arbitrale, c'est-à-dire les litiges qu'elle recouvre (voy. pour une explication de cette position: B. HANOTIAU, «L'arbitrabilité et la Javor arbitrandum: un réexamen., Journ. dr. intern., 1994, pp. 899 et s., spéc. pp. 901 et 960); l'arbitrabilité inclut, en ce sens, l'interprétation de la convention d'arbitrage (G. KEUTGEN, .L'interprétation de la convention d'arbitrage., in l'arbitrabilité des litiges explicitent ainsi «à quelles conditions, l'ordre étatique acceptera de reconnaître son incompétence suite au choix de l'instance arbitrale» 1. Ce type de disposition revêt une importance capitale. Si le litige est inarbitrable, les arbitres saisis doivent se déclarer incompétents; la sentence qu'ils rendraient en dépit de cette interdiction serait susceptible d'annulation dans l'État du siège et pourrait se voir refuser l'exequatur dans l'État d'exécution; et, enfin, un tribunal étatique devrait refuser de se dessaisir au profit de l'arbitre désigné 2, La doctrine distingue habituellement deux types d'arbitrabilité: «l'arbitrabilité objective» et «l'arbitrabilité subjective». Il s'agit de deux réalités différentes. Les règles d'arbitrabilité objective touchent à l'objet du litige alors que les règles d'arbitrabilité subjective touchent à la personne des parties. «Les prescriptions d'inarbitrabilité subjective édictent (en effet) des cas d'incapacité visant spécifi- quement la faculté de régler les litiges par la voie privée» 3. On réserve en général cette expression aux règles qui limitent l'aptitude des personnes morales de droit public à recourir à l'arbitrage. La présente contribution s'inscrit dans le cadre de l'étude de 1'arbitrabilité objective. Ils' agit, dans les limites qui nous ont été assignées, de poser les bases qui pe~ettent de déterminer quels sont les litiges arbitrables parmi ceux qui impliquent les droits intellectuels. §2. -Bref exposé du régime général de l'arbitrabilité en droit belge 795. -Le critère de la transaction. Le droit belge ne contient pas, sous certaines réserves (infra, nOS 807 et 811), de règles particulières en matière d'arbitrabilité des litiges lorsque ceux-ci concernent les droits intellec- tuels. Il convient donc de resituer le régime général de l'arbitrabilité. En vertu de l'article 1676 du Code judiciaire, «tout différend déjà né ou qui pourrait naître d'un rapport de droit déterminé et sur lequel il est permis de transiger, peut faire l'objet d'une convention d'arbitrage». Le pouvoir de recourir à la justice privée qu'est l'arbitrage dépend donc de la possibilité de transiger sur le litige en cause. Le critère de la transaction requiert que les parties aient «la capacité de disposer des objets compris dans la transaction». Or, «les conditions de validité des transactions sont appréciées par rapport aux règles de fond qui gouvernent les renonciations»'. Comme l'exprimait J. DE GAVRE en 1967 déjà, «la capacité de disposer présuppose la disponibilité de l'objet. De là, il résulte que la transaction n'est valable que si les 'choses' qui en constituent la matière sont dans le commerce juridique et ne sont pas telles que des dispositions impératives inter~~e~t_d'y renoncer» et, en outre, «la transaction ne sera valable que dans la mesure où son objet est licite et non contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs» 5. --- Liber Amicorum Commission Droit et Vie des Affaires, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 345 et s.); nous préférons, quant à nous, réserver le terme farbitrabilité. à la recherche des litiges qu'un droit permet de soumettre à un juge privé; l'interprétation pose, en effet, des difficultés d'un tout autre ordre. (1) N. COIPEL-CORDONNIER, Les conventions d'arbitrage et d'élection de for en droit international privé, Paris, L.G.D.J., 1999, p. 237. (2) B. HANOTIAU, op. cit., Journ. dr. intern., 1994, pp. 899 et s., spéc. p. 901. (3) Ibidem, p. 902. (4) B. FAUVARQUE-COSSON, Libre disponibilité des droits et conflits de lois, Paris, L.G.D.J., 1996, p. 113. (5) J. DE GA VRE, Le contrat de transaction en droit civil et en droit judiciaire privé, t. 1, Bruxelles, Bruylant, 1967, D.270. 796. -Les normes d'ordre public et impératives. L'ordre public est une notion «particulièrement fuyante~ 1 qui «emprunte sans doute une partie de sa majesté au mystère qui l'entoure~2 et qui «se sent beaucoup plus qu'elle ne se définit~ ...Son caractère variable dans le temps et l'espace complique son appréhension 3. La jurisprudence belge, à la suite de la doctrine, peut se targuer d'avoir mené de longue date un effort de conceptualisation et de classification de ces notions. Ainsi, la Cour de cassation retient-elle que «n'est d'ordre public que la loi qui touche aux intérêts essentiels de l'État ou de la collectivité, ou qui fixe dans le droit privé, les bases juridiques fondamentales sur lesquelles repose l'ordre économique ou moral de la société»4. De même, une distinction a été rapidement faite entre les normes dites impératives et les normes d'ordre public. L'on enseigne, en effet, que les protections portées par les normes impératives sont celles auxquelles on ne pourra renoncer «que lorsque l'événement en vue duquel la protection a été instituée se sera produit ou que le déséquilibre qu'elle compensait aura cessé~5. Les droits qui résultent des normes d'ordre public, quant à eux, ne peuvent en aucune circons- tance faire l'objet d'une renonciation. Au regard de l'arbitrabilité des litiges, les normes impéra- tives posent donc le même type de problème, mais pendant un temps limité. En effet, le droit né d'une norme impérative ne peut faire l'objet d'une renonciation tant que joue cette impérativité. En d'autres termes, comme l'écrivent Messieurs MATRAY et MARTENS, «la différence essentielle entre les lois impératives et les lois d'ordre public porte sur la durée de la protection légale mais non sur la nature de celle-ci~ 6. 797. -Incidence de la présence de normes d'ordre public ou impératives sur l'arbitrabilité : les résultats d'une mutation. Dans une application stricte, voire rigide, le critère de la transaction conduit au rejet de l'arbitrage en présence de normes d'ordre public et à l'invalidité des clauses compromissoires en présence de normes impératives'. Jurisprudence et doctrine ont cependant remis en cause de telles solutions radicales depuis longtemps. Ainsi, pour ne prendre que quelques illustrations, la Cour de cassation a consacré la validité des clauses compromissoires insérées dans les contrats de concession exclusive de vente, même pour couvrir les litiges nés des droits impératifs portés par la loi du 27 juillet 1961 sur la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée pour autant que le droit belge soit choisi par les parties 8. (1) J. GHESTIN, .L'ordre public, notion à contenu variable, en droit privé français., in Lea notiona à contenu variable (Ch. PERELMAN et R. V ANDER ELBT éd.), Travaux du Centre national de recherches de logique, Bruxelles, Bruylant, 1984, pp. 77 et S., spéc. p. 78. (2) D. COHEN, Arbitrage et aociété, Paris, L.G.D.J., 1993, p. 98. (3) En définitive, comme l'a très bien écrit J.-B. RACINE (L'arbitrage commercial international et l'ordre public, Paris, L.G.D.J., 1999, p. 7), .le flou de la notion est consubstantiel au rôle que l'ordre public joue dans le système juridique.. (4) Cass., 15 mars uploads/S4/ chapitre-v-arbitrage-et-modes-alterna-tifs-de-reglement-des-litiges.pdf
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- Publié le Sep 28, 2022
- Catégorie Law / Droit
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