DEUX CLÉS DE COMPREHENSION DES ATOUTS DE L’ARBITRAGE DANS L’ESPACE OHADA 2020 /

DEUX CLÉS DE COMPREHENSION DES ATOUTS DE L’ARBITRAGE DANS L’ESPACE OHADA 2020 / 03 Abdoulaye SAKHO, Agrégé des facultés de droit PREAMBULE Dans le champ de l’arbitrage, l’une des réglementations les plus achevées et les plus abouties dans le monde est, à mon avis, celle mise en place dans l’espace OHADA. Si donc aujourd’hui, notre offre d’arbitrage peine à trouver demandeur, je ne suis pas sûr que ce soit du fait de la réglementation. Que les détracteurs de l’Afrique trouvent d’autres arguments pour développer leurs stratégies d’évitement de nos « institutions » au sens où l’entend le Nobel d’économie de 1993 Douglas North, c’est-à-dire l’ensemble des lois, des règles écrites ou informelles ainsi que les instruments créés pour en contrôler leur bonne application. Voyons cela ! Décider de régler ses litiges entre soi, en dehors des moyens officiels mis en place par l’autorité publique, est certainement aussi vieux que le monde. A un moment donné de l’histoire de certaines communautés, la nécessité de vivre en harmonie ou tout simplement en paix, la méfiance à l’égard des institutions rattachées à l’autorité et aussi, la culture intrinsèque à chaque peuple ont été considérés comme des modalités normales de résolution des différends de tous ordres. On sait que dans certaines sociétés africaines, le cercle familial voire le clan ou l’ethnie vivant dans un espace géographique donné, dispose d’une compétence exclusive pour certains conflits liés notamment à l’état des personnes et au foncier1. De même, il est régulièrement rappelé que les révolutionnaires français de 1789 considéraient l’arbitrage comme le moyen le plus raisonnable de gérer les différends2. Aujourd’hui, sur un plan plus général, mêmes les observateurs les moins avertis peuvent aisément constater l’amenuisement du champ des activités régaliennes de la puissance publique dans tous les domaines. La réalité de la raréfaction des ressources publiques, combinée à la montée en puissance des idées libérales qui se sont développées au plan politique depuis l’effondrement du mur de Berlin, a confirmé que le pouvoir de l’Etat contemporain a perdu son caractère absolu. Il ne peut ni ne doit tout faire désormais. Dans tous les secteurs d’activité, l’approche « parties prenantes » a supplanté l’unilatéralisme dans les actions de l’Etat. Le concept de contractualisation s’est imposé dans les analyses prenant l’Etat come objet3. Les pouvoirs publics s’appuient sur les acteurs économiques et sociaux pour élaborer et appliquer les nouvelles politiques. L’esprit qui voudrait que seul l’Etat soit en mesure de déterminer ce qui est bien a fait son temps. Au plan sémantique on voit apparaitre des concepts qui traduisent cet état de fait : Régulation, Partenariat Public Privé, Délégation de Services Publics, Compliance4… L’état reconnait ses 1 Voir entre autres, le très instructif article de Mamadou Bakaye Dembélé. La justice coutumière et la justice étatique dans la résolution des différends au Mali pages 329 et suivantes des Actes du colloque de Luxembourg, « L’effectivité du droit économique dans l’espace ohada », 20 et 21 novembre 2014. Publié par L’Harmattan, Paris, 2016. 2 Ibrahim Fadlallah et Dominique Hascher. Les grandes décisions du droit de l’arbitrage commercial, Dalloz, 2019, sous l’arrêt Prunier. 3 L’ascension du contrat comme procédé d’action publique, constitue l’un des traits les plus remarquables des dernières décennies. Il est devenu un outil indispensable aux collectivités publiques pour mettre en œuvre des politiques ou conduire leurs actions. Sa montée en puissance est allée de pair avec la remise en cause de l’exclusivité de la loi, de la prééminence de l’État central, de la gestion en régie des services publics et, plus largement, des modes d’action fondés sur le commandement et la contrainte. Pour la France voir le Rapport public 2008 du Conseil d’Etat, « Le contrat, mode d’action publique et de production de normes » 4 La « compliance », c’est l'accent mis sur la responsabilisation des acteurs économiques dans un cadre désormais plus contraignant. Ces derniers semblent avoir pris conscience de l’intérêt de mettre en œuvre des stratégies ciblées destinées, en interne, à prévenir les risques de manquements susceptibles de les entrainer dans des contentieux nuisibles à leur image. La compliance apparait aujourd’hui comme une démarche permanente, une logique organisationnelle, impliquant la création de nouveaux métiers : compliance officer, risk manager, chief risk manager, chargés aux côtés des juristes, de gérer la prévention et la gestion des risques juridiques, ainsi que l’éthique et la déontologie au sein des entreprises…Voir, Frison-Roche, M.-A., Le Droit de la Compliance, 2016 : https://mafr.fr/fr/article/le-droit-de-la-compliance-2/ ; Illustration supplémentaire de limites et accepte de partager certaines prérogatives dans le sens de l’intérêt commun. La justice, le seul service public qui porte le nom d’une vertu, ne saurait être en reste ! A l’exemple de l’arbitrage que l’on trouve aussi bien dans le Traité OHADA lui-même que dans le droit dérivé de ce Traité. C’est déjà dans le Préambule du Traité de l’OHADA5 que les Hautes parties contractantes affirment leur « désir de promouvoir l’arbitrage comme instrument de règlement des différends contractuels » ; puis, elles conviennent, dans le corps même du Traité, de consacrer un Titre entier (titre IV) comprenant 6 articles (art. 21 à 26) à l’arbitrage6. Le droit dérivé prend la suite par le biais de l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage qui laisse toute liberté aux parties maitresses du jeu processuel, à quelques exceptions près tenant à l’ordre public7. Au résultat, il s’avère que la réglementation de l’arbitrage dans notre espace juridique est très aboutie. Elle repose presqu’entièrement sur les parties et leur volonté. Son caractère libéral devait en faire une procédure de premier choix pour les investisseurs. Pourtant et malgré l’introduction de l’arbitrage d’investissement par la révision de 2017, malgré le fait que la plupart des litiges mettent en cause le continent et ses acteurs, malgré le fait que notre droit est le plus souvent applicable, il semble que notre arbitrage n’a pas, en pratique, le succès escompté… En tout état de cause, même s’il faut en nuancer l’effectivité8, la réception de l’arbitrage dans le Traité lui-même a été vue comme une volonté manifeste des pères fondateurs de l’OHADA de placer cette forme de règlement des litiges sur le même piédestal que la justice étatique9. Cela ne saurait étonner ceux qui ont fait du droit des affaires leur spécialité, qui vivent la dualité de la justice depuis la nuit des temps et qui ont suivi les vicissitudes de la clause compromissoire à travers les âges dans l’histoire juridique de la France10 . En effet, dans la quasi-totalité des pays du globe, la justice, c’est-à-dire la fonction de règlement des litiges de tous ordres, est confiée à l’Etat. Ce dernier fait exécuter cette même fonction par une organisation judiciaire comprenant les Cours et Tribunaux. Dans cette la montée en puissance du « droit de la compliance », Dalloz, célèbre éditeur français annonce la sortie prochaine d’un « code de la compliance », en septembre 2020. 5 Port-Louis le 17 Octobre 1993 puis révisé au Québec le 17 octobre 2008. 6 Il faut préciser qu’au Sénégal, l’arbitrage était connu et pratiqué bien avant l’Ohada. Jeune enseignant, Nous avons présidé un arbitrage ad hoc au début des années 90 sur le sol sénégalais avec de prestigieuses parties en litige (BOAD, FAGACE...). Nous avons aussi cosigné une des premières études sur l’arbitrage au Sénégal, dans la Revue EDJA N° 2, en 1987. « Ordre public et arbitrage. Note sous l’arrêt Express Navigation » de la Cour Suprême du Sénégal (Abdoulaye Sakho et Ndiaw Diouf). Nous avons contribué en équipe avec le cabinet d’avocat Sow, Seck et Diagne, à la mise en place du Centre d’arbitrage de la chambre de Commerce de Dakar au début des années 90 et à la réforme des textes sur l’arbitrage avec notamment l’introduction dans le COCC des articles 826-1 et suivants sur « Les contrats relatifs au règlement des litiges ». Nous sommes demeurés arbitres et de temps en temps nous intervenons dans des procédures auprès de prestigieux centres comme celui de la Chambre de Commerce Internationale de Paris. Dommage que, sur un autre plan, le Tribunal Arbitral du Sport ne soit pas assez ouvert aux arbitres africains pour les très nombreux litiges mettant en cause le sport en Afrique… 7 L’Acte uniforme initial sur l’Arbitrage du 11 juin 1999, contenait six chapitres ; Le 23 novembre 2017, cet Acte uniforme sur l’arbitrage a été révisé, intégrant officiellement un nouveau chapitre sur la constitution de la Cour d’arbitrage. 8 Séverine Ménetry, La multiplication des centres d’arbitrage dans l’espace OHADA. Actes du colloque de Luxembourg précités, p. 345 et suivantes 9 P. Fouchard, L’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique, Bruxelles, Bruylant, 2000. 10 V. entre autres, Ch. Jarrosson , La clause compromissoire (article 2061 C. civ.), Rev. arb. 1992.259 ; adde , Ch. Jarrosson, le nouvel essor de la clause compromissoire après la loi du 15 mai 2001, JCP G 2001, I 333, p. 1317. Par exemple, en droit interne sénégalais, il est toujours expressément prévu que « la clause compromissoire est nulle s’il n’en est disposé autrement par la loi » (article 826-1 alinéa 3 COCC), uploads/S4/ deux-cles-de-comprehension-des-atouts-de-larbitrage-dans-lespace-ohada-prof-sakho 2 .pdf

  • 16
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Fev 22, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.4428MB