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1 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André CONCOURS ENM 2017 Droit civil La loyauté de la preuve dans le procès civil Georges Ripert, dans son ouvrage intitulé « La règle morale dans les obligations civiles » (1949) soulignait combien les notions qui étaient mobilisées pour moraliser les rapports sociaux avaient la force d’une évidence, car elles puisaient aux sources du droit naturel, mais créaient aussi un risque d’insécurité juridique, tant leur vêtement de droit positif était ample et mal taillé. Ce constat demeure d’actualité lorsqu’on considère la loyauté de la preuve dans le procès civil. En effet, lorsqu’on scrute le Code civil et le Code de procédure civile, on cherche en vain un principe de loyauté de la preuve. C’est davantage le respect de la légalité qui s'impose, ce qui renvoie à l’étymologie du vocable « loyal » qui vient du latin « legalis ». Ainsi, l’article 9 du Code de procédure civile dispose qu’il « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » tandis que l'article 10 précise que « le juge a le pouvoir d'ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles ». Le respect de la légalité s'impose donc aux parties comme au juge, ce qui se vérifie également en procédure pénale, où la liberté des preuves ne saurait signifier illégalité. L'article 427 alinéa 2 du code de procédure pénale affirme que « le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ». Cette exigence de légalité est aussi exprimée dans la Convention européenne des droits de l'homme, à l'article 6-2, qui, après avoir posé le principe d'un procès équitable, en détermine les modalités qui passent, notamment, par la légalité de l'établissement des preuves. Cela dit, par-delà ces occurrences textuelles éparses et somme toute assez ténues, la loyauté de la preuve dans le droit processuel en général, et dans le procès civil en particulier, a pris un essor considérable dans la jurisprudence interne, sous l’influence conjuguée de la doctrine et de la jurisprudence européenne. Le rapport Magendie de 2004 (« Célérité et qualité de la justice ») entendait du reste faire de la loyauté un principe directeur du procès civil, en l’inscrivant en tête du Code de procédure civile. Il faut dire que depuis une vingtaine d’années, la loyauté probatoire connaît un développement remarquable : d’une part, les arrêts de la Cour de cassation qui se référent explicitement au « principe de loyauté dans l’administration de la preuve » se multiplient ; d’autre part, la loyauté de la preuve s’est doublée d’une plus ample loyauté procédurale, fondée sur le contradictoire et le principe de cohérence. La loyauté intéresse désormais non seulement l'obtention de la preuve en amont du procès, mais encore sa production et sa discussion lors du procès. Cependant, cette expansion de la loyauté probatoire suscite un certain nombre d’inquiétudes et d’interrogations. D’abord, son domaine prête à discussion, comme en témoigne de façon emblématique le contentieux des pratiques anticoncurrentielles, qui interroge les frontières entre matière civile et matière pénale, question d’autant plus aigüe que la loyauté probatoire est plus stricte dans la première que dans la seconde. Ensuite, les effets instables de la loyauté sont patents, notamment au regard de son ambivalence à l’égard de la vérité : tantôt la loyauté fait obstacle à la découverte de la vérité, tantôt au contraire elle la favorise. Enfin, et précisément, la coloration morale de la notion de loyauté invite à se garder de tout excès de dogmatisme, pour privilégier une vision plus pragmatique, soucieuse d’efficacité probatoire. Sans doute est-ce la raison pour laquelle notre droit encadre la loyauté de la preuve pour ménager les intérêts concurrents des droits de la défense ou, plus largement, du droit à la preuve récemment affirmé (Civile 1ère 5 avril 2012) et désormais bien ancré dans notre droit. 2 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André On le voit, l’essor de la loyauté de la preuve dans le procès civil (I) ne signifie en rien que le principe ait vocation à l’absolutisme. Un encadrement de la loyauté est nécessaire (II), au regard de l’impératif très pragmatique d’efficacité de la preuve. I- L’essor ambivalent du principe de loyauté de la preuve dans le procès civil La loyauté de la preuve dans le procès civil renvoie désormais non seulement à la manière dont les moyens de preuve ont été obtenus (A) mais encore à la façon dont ces preuves seront produites et discutées (B). Cela dit, cet essor est ambivalent car les références à la loyauté sont souvent plus implicites qu’explicites, mais aussi parce que les effets de son invocation sont instables. A- La loyauté dans l’obtention des preuves La moralisation de l’obtention de la preuve a connu un remarquable essor tant au regard de la diversité des procédés prohibés (1) qu’au regard des frontières de la matière civile (2) 1- Une compréhension large des procédés déloyaux prohibés La déloyauté dans l’obtention de la preuve peut se manifester de façon très diverse, par l’usage d’un stratagème, d’une ruse ou d’un procédé clandestin. Si cette déloyauté est établie, la preuve est jugée irrecevable. En droit du divorce, la preuve est jugée irrecevable lorsqu'elle a été obtenue par un artifice coupable, une fraude ou un abus. La plupart des décisions n’évoque pas formellement la loyauté, mais l'idée est sous- jacente. La Cour de cassation a ainsi jugé que des lettres écrites par l'un des époux ne peuvent être produites contre celui-ci si elles ont été obtenues de manière déloyale (Civile 2ème 3 octobre 1973). Cette solution figure désormais à l'article 259-1 du code civil, qui prohibe les preuves obtenues par violence ou fraude, et à l'article 259-2 qui écarte des débats les constats obtenus avec violation de domicile ou atteinte illicite à l'intimité de la vie privée. Encore faut-il que soit établie la violence ou la fraude. A défaut, la preuve est recevable. Ainsi de la production d'un journal intime (Civile 2ème 6 mai 1999) ou d’un SMS reçu sur un portable professionnel (Civile 1ère 17 juin 2009) qui pourront être invoqués pour prouver l’infidélité dès lors que la déloyauté n’est pas établie. La même idée de stratagème dans l'obtention des preuves se retrouve en droit du travail. L'exigence de loyauté, qui n'est toujours pas formellement évoquée, interdit à l'employeur de recourir à des artifices et stratagèmes pour placer le salarié dans une situation qui puisse ultérieurement lui être imputée à faute. C’est pourquoi la Cour de cassation a pu affirmer que l'employeur a certes le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail, mais il ne peut être autorisé à utiliser comme mode de preuve les enregistrements d'un système de vidéosurveillance installé sur le site d'une société cliente permettant le contrôle de leur activité dont les intéressés n'ont pas été préalablement informés de l'existence (Sociale 10 janvier 2012). Ainsi, au visa de l'article L. 1222-4 du code du travail, la Cour de cassation censure la cour d'appel qui refuse de rétracter une ordonnance sur requête rendue en application de l'article 145 du code de procédure civile désignant un huissier de justice aux fins de visionner les enregistrements des caméras de vidéosurveillance placées à l'entrée de la société cliente, qui permettaient le contrôle des heures d'arrivée et de départ sur le lieu du travail des salariés sans qu'ils en aient été informés. 2- Une compréhension large de la matière civile Si l'exigence de loyauté dans la preuve civile n'est pas nouvelle, le mouvement jurisprudentiel s'est considérablement accéléré ces dernières années, d'une part, en renforçant les exigences de qualité de la preuve, d'autre part, en retenant une définition large de la matière civile. 3 www.lautreprepa.fr Corrigé proposé par Christophe André En effet, le modèle européen du procès distingue nettement matière civile et matière pénale, l’exigence de loyauté probatoire étant plus intense dans la première que dans la seconde. La Cour de cassation a consacré un « principe de loyauté dans l'administration de la preuve », notamment dans la procédure devant l'Autorité de la concurrence (Assemblée plénière 7 janvier 2011 : « Vu l'article 9 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe de loyauté dans l'administration de la preuve »). En l'espèce, une société avait saisi le Conseil de la concurrence (devenu l'Autorité de la concurrence) de pratiques qu'elle estimait anticoncurrentielles sur le marché des produits d'électroniques grand public, en produisant des cassettes contenant des enregistrements téléphoniques mettant en cause d'autres sociétés ; ces dernières avaient demandé au Conseil de la concurrence d'écarter ces enregistrements obtenus, selon elles, de façon déloyale. La cour d'appel jugea que les dispositions du code de procédure civile ne s'appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence qui, dans le cadre de sa mission de protection de l'ordre public économique, exerce des poursuites à des fins répressives le uploads/S4/ civil-dissertation-2017.pdf

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  • Publié le Jul 07, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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