RTD Civ. 2012 p. 677 De la sûreté à la citoyenneté : l'accessibilité du code ci

RTD Civ. 2012 p. 677 De la sûreté à la citoyenneté : l'accessibilité du code civil de 1804 Alain Desrayaud, Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Paris-Est En 1801, le Tribunal d'appel de Montpellier observait que « la simplicité doit caractériser les institutions républicaines » et qu'en matière de législation, elle devait avoir pour effet de rendre la justice « plus près du justiciable et plus à la portée de ses idées et [de] lui assurer ses droits avec plus de célérité et à moindres frais » (1). C'est dire qu'en faisant de l'accessibilité et de l'intelligibilité de la loi un objectif à valeur constitutionnelle, la décision du Conseil constitutionnel en date du 22 décembre 1999 s'inscrit dans une tradition fort ancienne (2). Assurément la préoccupation de l'accessibilité de la loi et de son intelligibilité pourrait trouver de lointains précédents dans la Rome antique. Au début de la République romaine, la divulgation du droit à l'ensemble des citoyens romains constitua pendant des décennies un enjeu de la lutte entre les patriciens et les plébéiens. La Loi des Douze Tables fut une véritable révolution : en soustrayant la connaissance du droit à la science des pontifes patriciens, elle donna à tous la connaissance du droit. La loi devint certaine : le consul ne put plus refuser d'engager une procédure ni d'introduire l'action, il perdit également le pouvoir de moduler discrétionnairement le montant d'une réparation ou bien les mesures d'exécution contre un débiteur défaillant. Selon Tite Live, les décemvirs assurèrent ainsi à tous une égale liberté (3) et établirent des droits égaux entre tous, des plus grands aux plus petits (4). Sous l'Empire, le Code de Théodose (5) et le Code de Justinien (6) affirmèrent encore avec force que l'ensemble du droit devait être rendu accessible à quiconque voulait en prendre connaissance. Pareillement, dans l'ancienne France, il est constant que la réduction de règles coutumières sous forme de maximes répondait aux mêmes exigences (7). Dès la seconde moitié du 13e siècle, le Parlement avait énoncé : « Le mort saisit le vif, son plus prochain hoir ». Parmi d'autres, la compilation d'Antoine Loysel, les Institutes coutumières (1608), en fournit d'abondants exemples : « Qui épouse le corps, épouse les dettes » (8), « Qui bail ou garde prend, quitte le rend » (9), « En villes, tout mur est metoien, s'il n'appert du contraire » (10), « L'habit ne fait pas le moine, mais la profession » (11), « Le locataire doit être tenu clos et couvert » (12), « Donner et retenir ne vaut » (13), « Qui a mangé l'oie du roi, cent ans après en rend la plume » (14), « Une fois n'est pas coutume » (15), « Qui fait la faute, il la boit » (16). Mais, évidemment, c'est au 18e siècle qu'au nom de la sûreté, l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi devinrent un thème de prédilection pour les publicistes du temps, lorsque Montesquieu avança que « la liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté » (17). La dénonciation de l'incertitude du droit, source d'insécurité juridique, tourna au lieu commun. La surabondance des sources (lois royales, droit romain, droit canonique, coutumes générales, statuts locaux des villes ou des villages, jurisprudences divergentes des cours et tribunaux) et l'inaccessibilité du droit (insuffisance de la diffusion et de la publicité des lois, vocabulaire hermétique et prolixe, subtilités excessives, désordre dans l'exposition, inexactitude des recueils de lois et d'arrêts, etc.) en paraissaient la cause sans compter le désir effréné d'écrire et de publier des livres de droit (Muratori) (18) - un mal endémique intemporel !. Montesquieu s'étonnait de la « prodigieuse diversité » des coutumes du royaume de France (19), Jean-Jacques Rousseau déplorait le « dédale des lois » (20) et, en 1804, Portalis se souvenait encore de leur immense chaos (21). En Angleterre, Bentham constatait : « the whole matter is so completely mixed up together » (22), de telle sorte que la société se trouvait dans « a state 1 of disturbance - of perpetual and universally extending disturbance » (23). Le théoricien de la codification dont l'influence sur le législateur français est pour le moins discutée - était-il connu ?, avait-il été lu ? - exprimait néanmoins, en la matière comme dans d'autres (24), les idées dans l'air du temps. « Oui ; ce n'est qu'autant que la loi est connue, comprise, fermement et clairement fixée dans l'esprit, qu'elle peut devenir règle de conduite, donner à chaque individu une idée juste de ses droits, et le mettre en état de les défendre ou de les recouvrer » (25). A l'exception notable de Montesquieu (26), c'était un sentiment couramment partagé que la panacée se trouvait dans la codification du droit (27). « The principle of justice is that law should be known by all ; and, for its being known, codification is absolutely essential » (28). Conçue comme un instrument d'accessibilité du droit, la codification était érigée par le fait en assise de la citoyenneté. Un instrument d'accessibilité du droit Sous la Monarchie de Juillet, dans un opuscule intitulé Essai sur l'utilité de la codification civile (1844), le vicomte de Portalis faisait observer qu'au 18e siècle, l'un des principaux progrès réalisés par les Lumières avait été l'avènement de l'esprit de méthode dans la science des lois. Partant de cette constatation, il exposait une conception relativement réductrice de la codification : « Qu'est-ce en effet que la codification, si ce n'est l'esprit de méthode appliqué à la législation ? » (29). Depuis que le maître de la Sorbonne, Victor Cousin (1792-1867), avait mobilisé Descartes sous la bannière du libéralisme, bon sens et esprit de méthode étaient devenus progressivement synonymes de raison (30). Quoique les considérations du fils du rédacteur du Code civil fussent bien marquées du sceau de son époque, elles impliquaient une conséquence que les hommes du 18e siècle n'auraient pas désavouée. Une exposition rationnelle de la législation civile était supposée avoir immanquablement pour effet de mettre à la portée de toutes les intelligences les dispositions du code. Avant que Bentham ne mît en avant la cognoscibility de la loi, Diderot avait insisté sur cette exigence dans ses Observations sur l'Instruction de l'Impératrice de Russie aux députés pour la confection des lois (1774). « Ce n'est pas assez que tous puissent les comprendre : il faut que tous puissent les connaître » (31). Aussi bien Catherine II avait elle-même avancé que « Les Loix sont faites pour tous les hommes en général. Tous sont obligés de s'y conformer ; il faut donc que tous puissent les comprendre » (32). Pour atteindre ce double but de connaissance et de compréhension des lois, il suffisait d'emprunter la voie ouverte par l'auteur de l'Esprit des lois. En effet il avait rédigé une manière de vade-mecum du législateur dans un chapitre intitulé lapidairement : « Choses à observer dans la composition des lois » (33). Evidemment les préceptes de ce guide valaient indifféremment pour une loi et pour un code. Pour que le code fût accessible au plus grand nombre, la première recommandation la plus couramment dispensée (34) était que le code fût rédigé dans la langue naturelle du pays, en français, en anglais, en allemand ou en russe, intelligible au commun des sujets ou des citoyens. Bentham écrivait que « [Le législateur] parlera la langue familière à tout le monde. Chacun pourrait le consulter au besoin » (35). De la même façon, sous Frédéric II (1740- 1786), la rédaction des codes en langue allemande ne souffrait pas la discussion. Conçu comme un Volksgesetzbuch, l'A.L.R. (1794) était également rédigé en allemand avec le souci de mettre en exergue la singularité prussienne et l'originalité du droit allemand par rapport au droit romain (36). De son côté, le Nakaz de Catherine II (1766) affirmait de manière péremptoire : « Les Loix doivent être écrites en langue vulgaire » (37). Une rédaction en latin à l'instar du Codex Maximilianus Bavaricus civilis (1756) apparaissait absolument contraire au but recherché. En France, déjà Louis XI aurait souhaité que les coutumes fussent mises en français (38). De surcroît, l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) avait imposé notamment pour des raisons d'intelligibilité que tous les actes juridiques ou judiciaires fussent faits et écrits « en langage maternel français et non autrement » (39). Sous la Révolution, au lendemain de la chute de la royauté, comme de nombreuses populations n'entendaient pas ou mal le français, l'impératif d'accessibilité du Droit avait conduit à promulguer un décret qui prescrivait que serait nommée une commission « chargée d'accélérer la traduction des divers décrets en langue allemande et idiomes vulgaires, basque, bas-breton, etc. » (40). En janvier 1793, Roland s'inscrivait dans la même perspective : « le huitième au moins des Français n'entend pas la langue ; il faudrait donc traduire et nos lois et nos bons écrits dans 2 les différents dialectes des habitants » (41). Mais, après l'élimination des Girondins (31 mai 1793), l'abomination du fédéralisme avait fait arrêter uploads/S4/ code-civil-1804 1 .pdf

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  • Publié le Jul 14, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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