PROCÉDURE PÉNALE La France, le parquet et les droits de l’homme : l’importune o
PROCÉDURE PÉNALE La France, le parquet et les droits de l’homme : l’importune opiniâtreté de la Cour européenne Garde à vue - Droit à la sûreté - Garantie judiciaire - Statut et rôle du ministère public - Violation Conv. EDH, art. 5, § 3 (oui) - Perquisitions - Cabinet et domicile d’un avocat - Droits de la défense - Violation Conv. EDH, art. 6 et 8 (non) Du fait de leur statut, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat ». En conséquence, la requérante a été présentée à un « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », plus de cinq jours après son arrestation et son placement en garde à vue. Partant, il y a eu violation de l’article 5, § 3 de la Convention. Si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d’un avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. De telles mesures sont pos- sibles notamment en cas de constat de l’existence d’indices plausibles de participation d’un avocat à une infraction. CEDH, 5e section, 23 nov. 2010, no 37104/06 : Moulin c/ France I3967 « La morale de la fable était simple, finalement : en quelques années de soumission hiérarchique, les magistrats du parquet avaient cessé d’être des magistrats » (S. Corto, Parquet flottant, Denoël, 2009, p. 114) DR Par Olivier BACHELET Collaborateur de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocats aux conseils Membre du CREDHO-Paris Sud « La CEDH dans sa décision ne remet pas en cause le statut du parquet français. Cela met fin aux interprétations que certains ont voulu donner depuis le pre- mier arrêt de la Cour, le 10 juillet 2008 ». Voilà les enseignements qu’entendait tirer le garde des Sceaux de l’arrêt de grande chambre Medvedyev c/ France (1), le jour de son prononcé. Passant sous silence les ma- nœuvres ayant permis d’évi- ter la confirmation du constat de violation de l’article 5 de la Convention, en ce que la pri- vation de liberté des requérants n’avait pas été contrôlée par un membre de l’« autorité judiciaire » (2), le ministre de la Justice de l’époque préférait indiquer que « la Cour rap- pelle uniquement les principes qui se dégagent de sa juris- prudence s’agissant des caractéristiques que doit avoir un juge ou un magistrat habilité pour remplir les conditions posées par la Convention européenne des droits de l’homme, en matière de détention » (3). L’arrêt Moulin c/ France (4) permet de rétablir la vérité : selon la Cour européenne des droits de l’homme, les magistrats du ministère public ne sont pas membres de l’« autorité judiciaire ». En l’espèce, le 13 avril 2005, alors qu’elle se trouvait au tribunal de grande instance d’Orléans, une avocate au bar- reau de Toulouse fut arrêtée et placée en garde à vue dans le cadre d’une information judiciaire ouverte principalement des chefs de trafic de stupéfiants et blanchiment des pro- duits de ce trafic et confiée à deux juges d’instruction. L’inté- ressée fut alors conduite à Toulouse afin d’assister à la per- quisition de son cabinet qui se déroula, le 14 avril 2005, en présence des deux juges d’instruction orléanais. Le lende- main, au terme de sa garde à vue, elle fit l’objet d’un mandat d’amener et, se trouvant à plus de « deux cents kilomètres » d’Orléans (5), fut conduite devant le procureur adjoint du tri- bunal de grande instance de Toulouse qui ordonna sa conduite en maison d’arrêt en vue de son transfèrement ultérieur devant les juges d’instruction. Trois jours plus tard, le 18 avril 2005, l’avocate fut présentée aux juges d’ins- truction, mise en examen et placée en détention provisoire. Elle saisit la chambre de l’instruction d’une requête en nul- lité d’actes. En vain. Après avoir épuisé les voies de recours internes, l’intéres- sée saisit la Cour européenne des droits de l’homme en alléguant ne pas avoir bénéficié de l’assistance de l’avocat de son choix pendant sa garde à vue. Néanmoins, relevant que cette situation était due à une erreur de la requérante dans la désignation de son défenseur, la Cour de Strasbourg rejette ce grief comme manifestement mal fondé. (1) CEDH, gde ch., 29 mars 2010, no 3394/03, Medvedyev et a. c/ France : H. Matsopoulou, Gaz. Pal. 27 avr. 2010, p. 15, I1383 ; D. 2010, p. 1386, note J.-F. Renucci ; D. 2010, p. 1390, note P. Hennion-Jacquet. (2) CEDH, 5e sect., 10 juill. 2008, no 3394/03, Medvedyev et a. c/ France : Rev. sc. crim. 2009, p. 176, obs. J.-P. Marguénaud ; D. 2009, p. 600, note J.-F. Renucci. (3) « CEDH : arrêt Medvedyev », communiqué de presse de Mme Alliot-Marie, 29 mars 2010. (4) V. C. Charrière-Bournazel, « France Moulin, la CEDH et la France », Gaz. Pal. 30 nov. 2010, p. 12, I3843. (5) C. proc. pén., art. 127 et s. Jurisprudence E ´DITION GE ´NE ´RALISTE SÉLECTION DE JURISPRUDENCE 6 G A Z E T T E D U P A L A I S - M E R C R E D I 8 , J E U D I 9 D E C E M B R E 2 0 1 0 Par ailleurs, la requérante dénonçait le déroulement de la perquisition menée à son cabinet et invoquait, en la matière, une méconnaissance des articles 6 et 8 de la Convention (I). Surtout, elle affirmait que, détenue durant cinq jours avant d’être présentée à un « juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », elle n’avait pas été « aussitôt » traduite devant une telle autorité, comme l’exige l’article 5, § 3 de la Convention (II). I. LE NÉCESSAIRE ENCADREMENT DES PERQUISITIONS MENÉES CHEZ UN AVOCAT En son temps, l’affaire Moulin a eu un fort retentissement dans la mesure où elle constituait le premier cas de pla- cement en détention provisoire d’un avocat sur le fonde- ment du nouveau délit de violation aggravée du secret de l’enquête et de l’information judiciaire (6). Certains ont ainsi considéré que « la procédure utilisée en l’espèce relève du mépris le plus élémentaire des droits de la défense et pose avec gravité la question de savoir si les avocats pourront libre- ment assurer la défense de leurs clients sans courir le risque d’être recherchés dans le simple exercice de leur mis- sion » (7). En particulier, la perquisition du cabinet de la requé- rante a été considérée comme une atteinte intolérable aux droits de la défense (8). Saisie de la question de savoir si un tel acte d’investigation était conforme aux exigences européennes, la Cour de Stras- bourg rappelle que « des perquisitions et des saisies chez un avocat sont susceptibles de porter atteinte au secret profes- sionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client [...]. Partant, si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d’un avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières » (§ 71). Or, les juges européens soulignent qu’en l’espèce, « la perquisition s’est accompagnée d’une garantie spéciale de procédure, puisqu’elle fut exécutée en présence du bâtonnier de l’Ordre des avocats, et que les observations formulées par celui-ci ont pu être ensuite discutées devant le juge des libertés et de la détention » (§ 73). Par ailleurs, selon la Cour, « la Convention n’interdit pas d’imposer aux avocats un certain nombre d’obligations sus- ceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va ainsi notamment en cas de constat de l’existence d’indices plau- sibles de participation d’un avocat à une infraction » (§ 71). Précisément, en l’espèce, « il existait des raisons plausibles de soupçonner la requérante d’avoir commis ou tenté de com- mettre, en sa qualité d’avocate, une ou plusieurs infractions » (§ 72). Par conséquent, la Cour européenne ne relève aucune appa- rence de violation des stipulations de la Convention et écarte le grief développé par la requérante comme manifestement mal fondé. Il n’en demeure pas moins qu’une lecture a contra- rio de cette solution laisse entendre que la Cour de Stras- bourg aurait certainement constaté une violation des exi- gences européennes dans le cas où l’avocate requérante n’aurait pas été, elle-même, mise en cause (9). Or, si les dispositions actuelles du Code de procédure pénale pré- voient des règles spécifiques pour les perquisitions et sai- sies pratiquées au cabinet et au domicile d’un avocat (10), il n’est, pour autant, pas nécessaire de justifier spécialement le recours à de telles mesures, en particulier au regard de l’existence de soupçons de participation de l’avocat à l’infrac- tion. Une modification des textes semble, déjà ici, s’imposer. Qu’en est-il du rôle assigné au parquet ? II. LE PARQUET N’EST PAS UN « MAGISTRAT HABILITÉ À EXERCER DES uploads/S4/ comm-cedh-moulin-c-france 1 .pdf
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- Publié le Jui 13, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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