COMMENTAIRE DU PREMIER ARRET PREJUDICIEL DE LA CJ-CEMAC (1) Commentaire d'arrêt

COMMENTAIRE DU PREMIER ARRET PREJUDICIEL DE LA CJ-CEMAC (1) Commentaire d'arrêt publié le 14/03/2014, vu 613 fois, Auteur : Dr KAMWE MOUAFFO Une mauvaise application du droit communautaire par le juge centrafricain a abouti au premier arrêt préjudiciel rendu par la CJ.CEMAC, ce après dix ans de fonctionnement effectif1. Grand acquis du droit communautaire général, le recours préjudiciel est le mode de coopération judiciaire privilégié entre le juge national et le juge communautaire en vue d’une application harmonisée du droit communautaire sur l’ensemble des Etats membres2. Fondé dans la CEMAC sur l’article 17 de la Convention régissant la Cour de justice de la Communauté3, ce recours donne la possibilité au juge national de solliciter l’interprétation ou l’appréciation de légalité d’un acte communautaire en cause dans une procédure nationale. Certes, le juge centrafricain qui sollicita le juge communautaire dans l’affaire DJEUKAM ne pécha pas quant à l’esprit de cet instrument de coopération, tout le reproche qui peut lui être adressé touche à la méconnaissance totale des règles fondamentales de répartitions de compétence entre le juge communautaire et lui-même, juge national. Les faits en l’espèce sont de compréhension aisée ; ce qui l’est moins, est qu’ils n’aient pas pour autant donné lieu à quelques interrogations de base quant au juge habilité à donner réponse aux questions de droit qu’ils ont suscitées. Monsieur DJEUKAM occupait les fonctions de professeur vacataire dans une institution communautaire, l’Ecole Inter-Etats des douanes (EIED) dont le siège se trouve à Bangui en République Centrafricaine. Par une décision n° 23 du 30 avril 2004, il fut promu Chef de département Culture générale, pour se voir par la ensuite révoqué par une autre Décision datée du 30 avril 2006. Peu d’éléments de l’arrêt permettent d’apprécier les circonstances de cette rétrogradation ; cependant, elle donna lieu à une saisine du Tribunal de travail de Bangui. Le sieur DJEUKAM sollicitait des d’indemnités de fonction et des dommages et intérêts. Devant cette instance, il obtint gain de cause contre L’IEID qui attaqua le jugement rendu auprès de la Cour d’appel de Bangui, Chambre sociale. C’est alors que cette dernière juridiction, plus préoccupée que la première par les éléments d’extranéité présents dans le dossier, focalisa son appréciation des faits de la cause sur la légalité de la décision n° 23 du 30 avril 2004 portant nomination du Sieur DJEUKAM aux fonctions de Chef de Département Culture générale. On ne saura jamais quels furent ses éléments de référence. On peut penser que la question de légalité qui devint ainsi prégnante pour elle était en lien avec quelque autre texte communautaire puisque, par une décision avant-dire-droit du 11 juin 2009, elle se tourna vers la CJ.CEMAC, jugeant « (…) qu'il y a lieu de surseoir à statuer en attendant "l'avis" de la Cour de Justice de la CEMAC, en application de l'article 17 de la Convention régissant ladite Cour »4. Sans aucun doute, quant à la procédure, il s’agissait effectivement d’une demande préjudicielle, qui rentre ainsi dans la jurisprudence de la Cour comme la première que reçut la CJ.CEMAC5. Quant au fond, cette demande ne put donner lieu à un premier arrêt préjudiciel digne. La fin de non recevoir que solde finalement l’arrêt s’impose, le juge centrafricain n’ayant pas motivé sa question préjudicielle en indiquant en quoi la décision n° 23 lui semblait illégale. Cependant, ab initio, toute la procédure semblait compromise au regard de sensibles entorses aux règles de répartitions de compétence dont fit preuve les juridictions centrafricaines qui intervinrent dans la cause. En effet, fonctionnaire communautaire, le Sieur DJEUKAM n’aurait jamais pu être reçu par une juridiction nationale dans le cadre d’une demande touchant aux règles de la fonction publique communautaire, en application des articles 4 in fine et 20 de la Convention régissant la CJ.CEMAC6. Il s’agit-là d’une compétence exclusive du juge communautaire. Cette élémentaire question de compétence fut ignorée autant par les conseils que par les deux juges centrafricains qui connurent de l’affaire, d’abord le Tribunal du travail, en première instance, ensuite la Chambre sociale, en appel. Le juge communautaire s’astreignit alors à un rappel du point du droit communautaire ainsi mis à mal, et dès lors, les apports de l’arrêt préjudiciel DJEUKAM furent totalement détournés. Le bien et le mal semblent fatalement liés dans une sorte de destinées croisées7. En effet, l’affaire DJEUKAM, engagée sur une mauvaise saisine au niveau national, permit au juge communautaire d’édifier, l’ensemble des juges de la sous-région et les praticiens en tête desquels les conseils, sur le régime du recours préjudiciel. Il constituait jusqu’à la date du 25 novembre 2010 un mécanisme juridictionnel purement théorique, régulièrement et prioritairement enseigné dans les nombreux séminaires de vulgarisation organisés par la CJ.CEMAC8. Cette théorie du recours préjudiciel invite à distinguer le recours préjudiciel en appréciation de légalité du recours préjudiciel en interprétation, au sens de l’article 17 précité de la Convention régissant la CJ.CEMAC. Le premier permet au juge communautaire d’apprécier la conformité d’un texte ou une pratique communautaire dérivé(e) au regard de l’ensemble du dispositif normatif communautaire supérieure9 et le second invite le juge communautaire à donner le sens exact d’un texte de droit communautaire. Certes, des erreurs terminologiques caractérisaient déjà la rédaction de l’arrêt-avant-dire droit rendu par lequel le juge de Bangui saisît le juge de la CJ.CEMAC à titre préjudiciel10. Cependant, il paraissait incontestable qu’il invitait le juge communautaire à une appréciation de légalité : « la Cour d'Appel de Bangui (Chambre sociale) a estimé que la légalité de la décision administrative n°23/CEMAC/EIED du 30 Avril 2004 du Directeur de l'Ecole Inter - Etats des Douanes de la CEMAC portant nomination des chefs de départements est mise en cause, et qu'il y a lieu de surseoir à statuer en attendant "l'avis" de la Cour de Justice de la CEMAC, en application de l'article 17 de la Convention régissant ladite Cour »11. En effet, dans l’arrêt préjudiciel en appréciation de légalité - comme d’ailleurs dans tout arrêt préjudiciel - le juge ne donne pas un avis, il « dit le droit ». Cet épigraphe du dispositif des arrêts préjudiciels contient à lui tout seul toute la portée et les attentes placées en ce recours : « le juge dit pour droit… ». Somme toute, les leçons à tirer de ce premier arrêt préjudiciel restent déterminantes au regard de la connaissance du droit communautaire naissant en Afrique Centrale, au demeurant sur un double aspect. D’abord relativement à ce recours : le respect des conditions de recevabilité d’un recours préjudiciel en appréciation de validité reste liminaire, cependant, le recours préjudiciel est un dialogue de juge à juge (I): la motivation de l’illégalité en question reste déterminante quant au succès du recours. Ensuite, au regard des règles de répartition des compétences entre le juge national et le juge communautaire : le contentieux de la fonction publique communautaire constitue une compétence exclusive du second juge (II). I/LE RECOURS PREJUDICIEL, UN DIALOGUE DE JUGE A JUGE L’expression de Madame NAOME fut fort opportunément exploitée par le juge Ndjamena pour (r)enseigner sur la nature « dialogique » 12 du recours préjudiciel. Ceci implique que le motif de l’illégalité invoqué par le juge qui ouvre le dialogue doit être précisé (B), condition déterminante, sous peine de rejet de la demande. Cette règle est sans préjudice de l’appréciation préliminaire par le juge de N’djamena des règles régissant la recevabilité d’un recours préjudiciel (A). 1. DES CONDITIONS PRELIMINAIRES : LES REGLES DE RECEVABILITE DU RECOURS PREJUDICIEL L’engagement du dialogue préjudiciel en droit communautaire CEMAC suppose que les conditions de recevabilité d’une demande de cette nature soient respectées. Les textes communautaires restent peu précis sur ce point13. Mais la jurisprudence n’est-elle pas une source du droit ? L’arrêt du 25 novembre 2010, Le juge de N’djamena a offert une grande lisibilité aux conditions de recevabilité d’une demande préjudicielle en appréciation de validité : la nature de l’acte susceptible d’une telle appréciation est déterminante à cet égard (1). De ce fait, il s’impose au juge communautaire, pour achever sa logique didactique, d’indiquer les actes exclus (2). 1. Les conditions relatives à la nature de l’acte susceptible d’une appréciation préjudicielle en légalité Le juge s’est imposé, au cours de l’analyse des conditions de recevabilité du recours préjudiciel présenté par la Cour d’appel de Bangui, de vérifier que la décision n° 23 soumise à son contrôle relevait de la catégorie des actes susceptibles d’une appréciation préjudicielle en légalité. En effet, la diversité des actes communautaires est à l’origine d’une classification « hiérarchique » de ceux-ci. La théorie générale du droit communautaire invite à distinguer les actes de droit primaire des actes de droit dérivé14. Partisan d’une application régulière de cette théorie, le juge communautaire rappelle que seuls les actes communautaires dérivés sont susceptibles d’une appréciation de légalité. Aussi faudrait-il que le juge national qui entend saisir le juge communautaire en appréciation de légalité, s’assure en premier, que l’acte en cause est un acte communautaire (a) et en second, qu’il s’agit d’un acte communautaire dérivé (b). 1. Un acte communautaire La définition de l’acte communautaire est prosaïque : il s’agit d’un uploads/S4/ commentaire-du-premier-arret-prejudiciel-de-la-cjcemac.pdf

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  • Publié le Jul 29, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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