SÉANCE D'ACTUALITÉS EN DROIT DU MARCHÉ DE L'ART Institut Art & Droit - 6 févrie
SÉANCE D'ACTUALITÉS EN DROIT DU MARCHÉ DE L'ART Institut Art & Droit - 6 février 2020 Le 6 février dernier, la promotion du M2 Droit du marché et du patrimoine artistiques (Université Paris 2 Panthéon-Assas) assistait au premier séminaire d’actualités juridiques organisé à l’Institut national d’histoire de l’art par l’Institut Art & Droit, qui regroupe les principaux professionnels et enseignants du droit du marché de l’art et du patrimoine culturel. Des étudiants volontaires se proposent pour vous de revenir sur une sélection des interventions qui les ont marqués lors de cette journée, et d’en livrer une synthèse. La diffusion de ces comptes-rendus est libre sous réserve d’en mentionner l’auteur et de n’y apporter aucune modification. « La restitution des œuvres d’art saisies en cas de contrefaçon » - Emmanuel Pierrat Par Alix Tranchard Me Pierrat nous livre ici un commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation, ch. criminelle, 25 septembre 2019, 18-86.700. Cette affaire débute avec la saisie de la Vénus au voile, tableau donné à Lucas Cranach le Vieux (1472-1553), le 1er mars 2016 dans une exposition à Aix-en-Provence, à l’Hôtel de Caumont, consacrée à la collection du Prince de Liechtenstein (cf. illustration). L’œuvre présentait des similarités stupéfiantes avec la Vénus de Cranach datée de 1532, exposée au Städel Museum de Francfort. Sa vente au prince de Liechtenstein fut annoncée en 2013 par la galerie londonienne Colnaghi pour sept millions d’euros. Pour autant, sa provenance floue a fait resurgir les doutes sur son authenticité. La galerie Colnaghi assurait qu’elle aurait été découverte dans « une collection belge où elle se trouvait depuis le milieu du XIXe siècle ». Notons qu’elle avait été par ailleurs proposée à Christie’s, à Sotheby’s et à d’autres galeristes, mais qu’ils ont tous décliné l’offre. La galerie avait pourtant affirmé dans son catalogue que « l’attribution à Cranach a été confirmée » par trois grands spécialistes. Mais lors de son apparition sur le marché européen, déjà plusieurs experts avaient fait part de leur étonnement devant le réseau de craquelures de la couche picturale, l’état du panneau, la signature et le dragon l’accompagnant. De surcroît, un examen en laboratoire s’était interrogé sur le traitement des perles, dans lesquelles l’azurite serait posée assez grossièrement et qui ferait apparaître du blanc de titane, pigment apparu au XXe siècle. La saisie de l’œuvre litigieuse s’ancre dans une procédure plus large, puisque dès l’été 2015, une information contre personne non dénommée pour les chefs de contrefaçon, escroquerie, tromperie, blanchiment et recel de ces délits est ouverte. Cette enquête intervenait dans le prolongement d’une dénonciation contre un réseau écoulant des œuvres contrefaites en France et Grande-Bretagne ainsi qu’en Italie depuis plusieurs années, dont cette Vénus au voile de Lucas Cranach, acquise par le Prince de Liechtenstein ferait partie. La décision rendue par la Haute Juridiction interroge donc sur la restitution des œuvres d’art saisies en cas de contrefaçon en matière pénale. En droit, selon l’article 41-4 du Code de procédure pénale, le procureur de la République ou le procureur général est compétent pour autoriser la restitution d’objets placés sous-main de justice : - au cours de l’enquête préliminaire ou de flagrance ; - lorsqu’aucune juridiction n’a été saisie (classement sans suite) ; - lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets saisis (exemple : le juge d’instruction qui rend une ordonnance de non-lieu, un jugement ou un arrêt de cour d’appel qui statue sur l’action publique). Pendant l’information judiciaire, c’est le juge d’instruction qui est compétent pour statuer sur la restitution, en vertu de l’article 99 du Code de procédure pénale. A l’appui de la demande de restitution, le requérant doit démontrer, d’une part, que la propriété du bien n’est pas sérieusement contestable et, d’autre part, qu’il n’existe aucun obstacle à sa restitution. Le parquet est fondé à refuser la restitution dans trois cas (non exhaustifs) : - lorsque la restitution serait de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ; - lorsque le bien saisi est l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction ; - lorsqu’une disposition particulière prévoit la destruction des objets saisis. Pour mémoire, en l’espèce, les avocats du Prince avaient sollicité, le 12 septembre 2017, la restitution du tableau saisi. Or, celle-ci a été refusée par le juge d’instruction par ordonnance. Le Prince a interjeté appel. Un an plus tard, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris est venue confirmer l’ordonnance de refus de restitution, déboutant le Prince de sa demande. Le Prince a alors formé un pourvoi en cassation. Au-delà de la revendication du principe d’immunité personnelle des chefs d’États étrangers, il soulève plusieurs moyens : le droit au respect des biens ; l’accès à l’œuvre n’était plus nécessaire du fait du dépôt du rapport provisoire complémentaire en date du 19 décembre 2017. A ce titre, le Prince s’oppose à la confirmation du refus de restitution de l’œuvre au motif de la nécessité de parvenir à la manifestation de la vérité. La Cour de cassation a donc relevé que : - Le juge d’instruction est compétent pour décider de la restitution des objets placés sous-main de justice en vertu de l’article 99 du Code de procédure pénale ; - Il n’y a pas lieu à restitution du bien lorsque celle-ci est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité ou à la sauvegarde des droits des parties, dès lors que le bien litigieux est l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction, ou lorsque la restitution présente un danger pour les personnes et les biens ; - En l’espèce, l’information se poursuit, qu’à la suite de la saisie du tableau, le Prince s’est constitué partie civile et n’a pas contesté la régularité de la saisie de l’œuvre litigieuse ; - Les juges du fond ont ajouté qu’une expertise complémentaire était toujours en cours à la date de l’audience du 21 juin 2018 ; - La chambre d’instruction a estimé que le maintien en main de justice du bien saisi demeure nécessaire à la manifestation de la vérité, et que l’immunité personnelle dont peuvent disposer les chefs d’États étrangers devant les juridictions pénales d’un autre État ne s’appliquera qu’en raison de mises en cause individuelles (ce qui n’est pas le cas ici). Ainsi, au regard de ces différents éléments, la Cour de Cassation a considéré que : - D’une part, le demandeur, sous couvert de critiquer les motifs de l’ordonnance de refus de restitution, remet finalement en cause la régularité de la saisie qu’il lui appartenait de contester par la voie d’une requête en nullité, car l’objet de l’appel de l’ordonnance est limité aux motifs de celle-ci. - D’autre part, ses griefs sont inopérants car fondés sur le principe de proportionnalité pour contester le refus de restitution d’un bien saisi qui constitue le produit ou l’objet de l’infraction au regard du droit de propriété. Par conséquent, cette décision nous rappelle que pour obtenir la restitution éventuelle d’une œuvre d’art ayant fait l’objet d’une saisie en matière pénale, il appartient au demandeur de remettre en cause la régularité de la saisie par voie d’une requête en nullité. uploads/S4/ comptes-rendus-art-amp-droit-1-la-restitution-en-cas-de-contrefacon.pdf
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- Publié le Jan 19, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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