Décision n° 2017-682 QPC du 15 décembre 2017 (M. David P.) LE CONSEIL CONSTITUT
Décision n° 2017-682 QPC du 15 décembre 2017 (M. David P.) LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 octobre 2017 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2518 du 4 octobre 2017), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. David P. par Me Sami Khankan, avocat au barreau de Nantes. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-682 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Au vu des textes suivants : – la Constitution ; – l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; – le code pénal ; – le code de procédure pénale ; – le code de la sécurité intérieure ; – la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ; – la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique ; – la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ; – la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-611 QPC du 10 février 2017 ; 2 – le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ; Au vu des pièces suivantes : – les observations présentées pour le requérant par Me Claire Waquet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et Me Khankan le 31 octobre 2017 et le 15 novembre 2017 ; – les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 31 octobre 2017 ; – les observations en intervention présentées pour la Ligue des droits de l’Homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 31 octobre 2017 et le 15 novembre 2017 ; – les observations en intervention présentées pour l’association La Quadrature du Net par Me Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 31 octobre 2017 ; – les pièces produites et jointes au dossier ; Après avoir entendu Mes Waquet et Khankan, pour le requérant, Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, pour l’association La Quadrature du Net, et Me François Sureau, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la Ligue des droits de l’Homme, parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 4 décembre 2017 ; Et après avoir entendu le rapporteur ; LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT : 1. L’article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 28 février 2017 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Le fait de consulter habituellement et sans motif légitime un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations 3 montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende lorsque cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service. « Constitue notamment un motif légitime tel que défini au premier alinéa la consultation résultant de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou réalisée afin de servir de preuve en justice ou le fait que cette consultation s’accompagne d’un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques compétentes ». 2. Le requérant soutient qu’en adoptant à nouveau un délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, alors que le Conseil constitutionnel en a censuré une précédente rédaction dans sa décision du 10 février 2017 mentionnée ci-dessus, le législateur aurait méconnu l’autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel. Il reproche ensuite aux dispositions contestées de méconnaître le principe de légalité des délits et des peines et l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi en raison de l’imprécision des termes employés. Il soutient également que la liberté de communication serait méconnue dès lors que l’atteinte portée par la disposition contestée ne serait ni nécessaire, compte tenu des dispositifs juridiques déjà en vigueur, ni adaptée et proportionnée. Le requérant dénonce par ailleurs la violation du principe d’égalité devant la loi qui résulterait du fait, d’une part, qu’est seule réprimée la consultation d’un site internet publiant le contenu illicite mais pas celle d’un contenu identique publié par un autre moyen et, d’autre part, que seules certaines personnes pourraient avoir légalement accès à ces contenus, à raison de leur profession ou d’un motif légitime. Selon le requérant, les dispositions contestées méconnaîtraient également le principe de nécessité des délits et des peines, dans la mesure où elles incriminent la seule consultation de sites internet et non la commission d’actes laissant présumer que la personne aurait cédé aux incitations publiées sur ces sites. Enfin, l’article 421-2-5-2 du code pénal instaurerait une présomption de culpabilité contraire à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dans la mesure où il serait impossible à l’intéressé de démontrer que son intention, en consultant ces sites, n’était pas de se radicaliser. Les associations intervenantes développent pour partie les mêmes griefs. 4 Sur le fond : 3. Aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». En l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services. 4. Aux termes de l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant ... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de lutte contre l’incitation et la provocation au terrorisme sur les services de communication au public en ligne, qui participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions, avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer. Toutefois, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi. 5. Les dispositions contestées sanctionnent d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait de consulter de manière habituelle, sans motif légitime, un service de communication au public en ligne faisant l’apologie ou provoquant à la commission d’actes de terrorisme et comportant des images ou représentations d’atteintes volontaires à la vie. Elles ont pour objet de prévenir l’endoctrinement d’individus susceptibles de commettre ensuite de tels actes. 6. En premier lieu, comme le Conseil constitutionnel l’a relevé dans sa décision du 10 février 2017, la législation comprend un ensemble d’infractions pénales autres que celle prévue par l’article 421-2-5-2 du code pénal et de dispositions procédurales pénales spécifiques ayant pour objet de prévenir la commission d’actes de terrorisme. 5 7. Ainsi, l’article 421-2-1 du code pénal réprime le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un acte de terrorisme. L’article 421-2-4 du même code sanctionne le fait d’adresser à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, de la menacer ou d’exercer sur elle des pressions afin qu’elle participe à un groupement ou une entente prévus à l’article 421-2-1 ou qu’elle commette un acte de terrorisme. L’article 421-2-5 sanctionne le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes. Enfin, l’article 421-2-6 réprime le fait de préparer la commission d’un acte de terrorisme dès lors que cette préparation est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur et qu’elle est caractérisée par le fait de détenir, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ainsi que par d’autres uploads/S4/ conseil-constitutionnel-delit-de-consultation-habituelle-des-sites-terroristes.pdf
Documents similaires
-
14
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 22, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.2312MB