B. Warusfel, 2003 p.1/8 Publié in Revue générale nucléaire, 2003, n° 1, janvier

B. Warusfel, 2003 p.1/8 Publié in Revue générale nucléaire, 2003, n° 1, janvier-février, pp 62-66 LES SECRETS PROTÉGÉS PAR LA LOI, LIMITES À LA TRANSPARENCE par Bertrand WARUSFEL Maître de conférences à la faculté de droit de Paris V, Avocat au Barreau de Paris [warusfel@droit.univ-paris5.fr] Quelle que soit l'appréciation que l'on peut porter sur la portée et la valeur juridique du supposé "principe de transparence" 1, il est clair que l'application de celui-ci trouve toujours sa limite dans le respect des secrets dont la loi organise la protection. Mais autant la notion de "transparence" prétend à la singularité, autant les secrets qui en freinent les effets sont marqués par une forte hétérogénéité. Il y a "des" secrets dont les objectifs et les fondements sont divers, voire parfois opposés. L'énumération donnée par l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 2 permet de se faire une idée assez précise du vaste champ de ces secrets. Les administrations sont en effet dispensées de donner accès aux documents administratifs dont la communication porterait atteinte : "– au secret des délibérations du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif ; – au secret de la défense nationale, de la politique extérieure ; – à la monnaie et au crédit public, à la sûreté de l’État et à la sécurité publique ; – au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ; – au secret de la vie privée, des dossiers personnels et médicaux ; – au secret en matière commerciale et industrielle ; – à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales et douanières ; – ou, de façon générale, aux secrets protégés par la loi." Alors que le dernier item exprime déjà le manque d'exhaustivité de cette liste (en laissant comprendre qu'il existe encore d'autres secrets protégés), on perçoit tout de suite la diversité des secrets ainsi recensés. Leurs finalités ne sont pas les mêmes : certains servent des intérêts publics, d'autres préservent des intérêts privés. Leur durée de vie est souvent très variées (certains secrets ayant des durées de vie courtes et les autres survivant, au contraire, sur de longues périodes). Leurs caractéristiques juridiques sont, enfin, également diverses, puisqu'on oppose souvent les secrets "réels" aux secrets "personnels" 3 et que tous ne bénéficient pas de 1 Cf. dans cette même revue, l'article critique du Professeur Christian Atias sur ce sujet. 2 Loi n°78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public (modifiée par la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 (Journal officiel du 12 juillet 1979) et modifiée par la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 (Journal officiel du 13 avril 2000). 3 Sur la différence de nature qui existe entre un secret personnel (attaché à une personne exerçant une certaine fonction, quelque soit le contenu des informations) et un secret réel attaché à certaines informations, quelle que soit la personne qui en prend connaissance, cf. Françoise Gallouinec-Genuys & Herbert Maisl, Le secret des B. Warusfel, 2003 p.2/8 Publié in Revue générale nucléaire, 2003, n° 1, janvier-février, pp 62-66 la même forme de protection (notamment du point de vue pénal) et de la même opposabilité aux tiers ou aux juridictions. Pour en dresser un panorama synthétique qui ne soit pas trop réducteur et pour l'inscrire dans la perspective historique de notre temps (celle - croyons-nous - d'une "société d'information" qui se mondialise et dont le développement remet en question le modèle de l'État-nation et ses prérogatives face au marché et à la société civile 4), nous nous attacherons à montrer que dans une telle société, tout secret est à la fois moins légitime et plus porteur de valeur. Et cela se traduit par un double mouvement où les "secrets publics" (si l'on nous pardonne cette expression qui peut paraître contradictoire) dont la protection juridique demeure bien assurée doivent sans cesse justifier de leur existence (1.) alors que la demande de protection des "secrets privés" augmente d'autant plus qu'ils demeurent, en réalité, très vulnérables (2.). I. Des secrets de la puissance publique qui doivent être justifiés Alors que le secret fut longtemps le mode naturel de gestion des affaires publiques, on constate aujourd'hui une suspicion générale face aux secrets de l'État, lesquels ne parviennent à demeurer légitimes qu'à condition de justifier de leur nécessité. 1.1. Le secret fut longtemps le mode naturel de gestion des affaires publiques "Être souverain, c'est organiser le secret" a pu écrire un spécialiste du XVIIème siècle. 5 Nul besoin, en effet, de long développements pour se rappeler que le secret a toujours été un moyen traditionnel de la gestion des affaires publiques dès les premières manifestations des États modernes. Les théoriciens classiques du pouvoir (Machiavel, puis Richelieu dans son Testament politique, ou Mazarin dans son "briéviaire") ont tous insister sur l'importance de la discrétion et du secret comme conduite naturelle des hommes de pouvoir. Est-ce pour autant que Camille Desmoulins eut raison de s'écrier : "La monarchie fait tout dans le cabinet, dans des comités et par le seul secret ; la république, tout à la tribune, en présence du peuple et par la publicité, par ce que Marat appelait faire un grand scandale. Dans les monarchies, la base du gouvernement est le mensonge, tromper est tout le secret de l'État ; la politique des républiques, c'est la vérité." 6 ? Sans doute pas, car on a rapidement constaté que les nouveaux États-nations issus des révolutions ou du Congrès de Vienne pratiquèrent tous - quelle que soit la forme politique de leurs régimes - la diplomatie et la police secrète, institutionnalisant le secret d'État et les moyens d'espionnage. 7 En réalité de nouveaux fondements se sont vite substitués à ceux issus de l'antique "raison d'État". S'agissant de la France, le patriotisme républicain légitima le secret militaire contre fichiers, IFSA/Editions Cujas, cahier n° 13, 1976. Pour une application de la notion de "secret réel" au cas du secret de défense, cf. Bruno Lasserre, Noëlle Lenoir & Bernard Stirn, La transparence administrative, PUF, 1987, p. 10. 4 Cf. notamment notre thèse, Bertrand Warusfel, Le secret de la défense nationale - Protection des intérêts de la nation et libertés publiques dans une société d'information, Université Paris V, 1994. 5 Jean-Pierre Chrétien-Goni, "Institutio arcanae - Théorie de l'institution du secret et fondement de la politique" in Christian Lazzeri & Dominique Reynié (sous la dir.), Le pouvoir de la raison d'État, PUF, 1992, p. 152. 6 Camille Desmoulins, Le Vieux Cordelier, n°7. 7 Sur cette institutionnalisation du secret au XIXème siècle, cf. en particulier, Alain Dewerpe, Espion - Une anthropologie historique du secret d'État contemporain, Gallimard, 1994. B. Warusfel, 2003 p.3/8 Publié in Revue générale nucléaire, 2003, n° 1, janvier-février, pp 62-66 les menaces de l'ennemi et – à partir de 1870 - pour la préparation de la Revanche (et ce, jusqu'à l'excès, comme le montra l'affaire Dreyfus) tandis que, dès la Première guerre mondiale et durant la suite du XXème siècle, le développement de la "technocratie" a favorisé une certaine tendance des élites techniques et administratives à conserver l'information par- devers elles, considérant que la population n'était pas toujours en mesure d'en apprécier le sens ou la portée. Et si le secteur du nucléaire est resté longtemps – au grand dam de certains – un secteur caractérisé par "le secret-défense et la sur-classification" 8, on le doit peut-être à la conjonction particulièrement forte en cette matière de ce double impératif de technicité et d'indépendance nationale. 1.2. La suspicion contemporaine face aux secrets de l'État Les secrets de l'État existent toujours et sont tout à la fois protégés par le code pénal 9 et par de nombreuses dispositions légales et réglementaires qui en font des exceptions à l'application des droits reconnus par ailleurs aux citoyens (comme par exemple, celui de la communication des documents administratifs, ou celui obligeant l'administration à motiver certains actes défavorables 10, ou encore ceux issus de la loi du 6 janvier 1978 relative à la protection des données personnelles). Mais cette protection juridique efficace assurée par les textes et par la jurisprudence n'empêche pas – au contraire – le développement d'une suspicion permanente et très large à l'encontre de toute forme de secret invoqué par les personnes publiques. Le rôle des médias et l'importance quasi-sacrée donnée aujourd'hui à la "communication" y sont sans doute pour quelque chose. Tout délai ou retard pris dans la livraison d'une information au public, toute réserve émise par une autorité publique à l'occasion de ses déclarations sont immédiatement interprétés soit comme l'indice d'une censure soit comme la preuve d'une "opacité" préjudiciable au débat démocratique. L'exemple le plus achevé est certainement celui du secret de l'instruction qui tout en étant présenté comme un moyen d'assurer la protection des personnes et la sérénité du travail judiciaire, est constamment critiqué et violé par tous ceux qui affirment pourtant le respecter 11. Mais on peut aussi y voir le symptôme du profond retournement en cours de notre société vers un véritable uploads/S4/ copie-de-secretstransparence-warusfel03.pdf

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  • Publié le Mar 31, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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