CRDF, nº 11, 2013, p. 89 - 103 L’Afrique dans la lutte contre l’impunité des cr
CRDF, nº 11, 2013, p. 89 - 103 L’Afrique dans la lutte contre l’impunité des crimes internationaux Jérôme Francis WANDJI K. Docteur en droit public de l’Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand I) Membre du GREDA (Groupe de recherches sur l’état de droit en Afrique), Université de Douala I. L’engagement partiel des États africains dans la lutte contre l’impunité des crimes internationaux A. La volonté de limitation des effets des conventions contre les crimes internationaux par défaut de ratification ou d’adhésion des uns, par le consentement tardif des autres à être lié et / ou par défaut de déclaration d’acception de la clause de compétence d’organismes de protection desdites conventions B. L’application différée des conventions contre les crimes internationaux par les États africains II. La contribution mitigée de l’Union africaine à la lutte contre l’impunité des crimes internationaux A. L’inexistence de convention thématique à vocation régionale africaine pour la prévention et la répression des crimes internationaux B. L’absence d’un accord de coopération entre l’Union africaine et l’organe de la justice pénale internationale S’il y a une constance en Afrique à retenir depuis la période de décolonisation, ce sont les conflits, soit d’indépendance, soit interétatiques, soit internes aux États ; toutes choses faisant de ce continent un terreau favorable aux crimes internationaux ou de droit des gens. Ceux-ci sont, en règle générale, des faits contraires à l’ordre humain ou à l’ordre public international bien que commis dans des espaces de souveraineté. La qualification internationale de ces crimes ressortit aussi bien à leur interdiction par des conventions internationales les reconnaissant comme tels 1, qu’à leur exceptionnelle gravité parce qu’ils sont la violation des droits individuels intangibles (droit à la vie, à la dignité et à la justice), ceux dont l’universalité est indiscutable car relevant de « considérations élémentaires d’humanité » 2 qui obligent les États à les respecter et à les faire respecter intégralement à l’égard de tous et ce, en toutes circonstances en conséquence de la responsabilité de protéger 3 qui leur incombe. L’exceptionnelle gravité attachée au crime international est telle qu’elle transcende la victime « puisque, en attaquant l’homme, est visée, est 1. La Convention sur la prévention et la répression du génocide du 9 décembre 1948, les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, la Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid du 30 novembre 1973, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984. 2. CIJ, Affaire du détroit de Corfou (fond), 9 avril 1949, Recueil, 1949, p. 22 ; CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, 27 juin 1986, Recueil, 1986, § 117-122 et 219-220. 3. La notion de responsabilité de protéger rappelle le principe « respecter et faire respecter » à ceci près que « la première notion a des contours plus larges que le principe évoqué, étant donné qu’elle ne présuppose pas l’existence d’un conflit international ou interne » ; L. Boisson de Chazournes, L. Condorelli, « De la responsabilité de protéger, ou d’une nouvelle parure pour une notion déjà bien établie », Revue générale de droit international public, 2006, p. 16. 90 Jérôme Francis Wandji K. niée, l’Humanité. C’est l’identité de la victime, l’Huma nité, qui marque la spécificité » 4 de ce crime. Raison pour laquelle il heurte profondément « la conscience humaine » 5 et de ce fait affecte « l’ensemble de la communauté inter nationale » 6. Aussi depuis le début des années 1990, à la faveur de la fin de la Guerre froide qui favorisait un environnement moins regardant en matière de respect des droits de l’homme 7, les crimes internationaux font-ils l’objet d’une attention redoublée de la communauté internationale parce qu’ils entrent « en contradiction avec l’esprit et les fins des Nations Unies » 8, en ce qu’ils font « peser une menace sur la paix et la sécurité » 9 de l’humanité au fondement de l’ordre juridique international. L’impunité de tels crimes serait de ce fait « un mal pire que le crime lui-même » 10, ce qui explique qu’ils ne connaissent plus ni amnistie 11, ni prescription 12. Les crimes de droit des gens sont variés et ont été suffisamment énumérés, depuis la création du Tribunal militaire international ad hoc de Nuremberg (8 août 1945) jusqu’au Statut de Rome (17 juillet 1998) instituant la Cour pénale internationale (CPI), à un point tel que la liste puisse sembler exhaustive et que l’opinion publique semble aujourd’hui familiarisée avec les notions qui glo balement les expriment, à savoir le crime de guerre, le crime de génocide et le crime contre l’humanité. Mais leur codification n’étant pas définitivement faite, […] si ce n’est, de façon très sommaire, dans le statut du Tribunal de Nuremberg ainsi que, de façon plus développée, dans les Statuts des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda (TPIR) et dans celui de la Cour pénale internationale (CPI) 13, le souci didactique oblige, à partir de ces éléments épars, de proposer des définitions doctrinales de ces notions en direction de cette partie de l’opinion moins bien informée qui n’a du crime international qu’une perception approxi mative, journalistique ou caricaturale. À s’en tenir aux statuts précités et à la jurisprudence pénale internationale récente, les notions de crime contre l’humanité, de crime de génocide et de crime de guerre ne sont en effet pas interchangeables. En effet, contrairement aux crimes de guerre et de génocide, le crime contre l’humanité possède une quali fication évolutive, susceptible de recouvrir « tout compor tement inhumain de nature grave qui s’inscrirait dans le contexte spécifique » 14 d’une violation flagrante des droits d’un individu ou […] d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit, en raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou religieuse 15. La raison d’une telle approche évolutive de la notion est tirée de l’impossibilité à figer les excès humains qui sont susceptibles de varier avec le temps. C’est pourquoi, […] l’article 22 paragraphe 3 du Statut de Rome (nullum crimen sene lege) n’empêche pas qu’un comportement non prévu par le Statut puisse être qualifié de crime au regard du droit international 16. Au-delà de cette épithète, nous sommes d’avis avec Jean-Philippe Feldman qu’en règle générale, un crime contre l’humanité peut se définir comme […] la violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d’un individu ou d’un groupe d’individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux 17. Une telle définition suggère que le crime contre l’humanité est à la fois un crime international de droit humanitaire et de droit de l’homme : il se commet en temps de guerre comme en temps de paix. Mais cette défi nition donne à voir aussi que le crime contre l’humanité est susceptible de violer les deux aspects de la condition 4. TPIY, jugement Erdemovic, 1996 ; cité par M. Delmas-Marty, « Introduction », in M. Delmas-Marty, I. Fouchard, E. Fronza, L. Neyret, Le crime contre l’humanité, Paris, PUF (Que sais-je ?), 2009, p. 4. 5. Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, préambule, al. 2. 6. Ibid., al. 4. 7. Voir E. Decaux, « Les Nations unies et les Droits de l’homme : 60 ans après… », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, nº 7, 2009, p. 36. 8. Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948, préambule, § 1. 9. Résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies portant création d’un Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), préambule, al. 5 ; voir aussi Résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations unies du 25 mai 1993 portant création d’un Tribunal international pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie (TPIY), préambule, al. 4. 10. G. P. Fletcher, « Against Universal Jurisdiction », Journal of International Criminal Justice, vol. 1, nº 3, 2003, p. 580-584 ; cité par I. Blanco Cordero, « Compétence universelle. Rapport général », Revue international de droit pénal, vol. 79, 2008, p. 13. 11. Tout en reconnaissant que l’amnistie est une notion juridique acceptée qui représente un geste de paix et de réconciliation à la fin d’une guerre civile ou d’un conflit armé, l’ONU, par la voix de son secrétaire général, affirme qu’elle ne peut être accordée à l’égard des crimes internationaux. Voir le Rapport du secrétaire général sur la mise en place d’une Cour spéciale pour la Sierra Leone, 4 octobre 2000, S/2000/915 ; cité par I. Blanco Cordero, « Compétence universelle… », p. 47. 12. Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, 26 novembre 1968 ; Statut de Rome de la Cour pénale internationale, art. 29. 13. M. Henzelin, « La compétence pénale universelle. Une question non résolue par l’arrêt Yerodia », Revue générale de droit international public, 2002, p. 824. 14. I. Fouchard, « La formation du crime contre l’humanité en droit international », in M. Delmas-Marty et al., Le crime contre l’humanité, uploads/S4/ crdf-1109-wandji.pdf
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- Publié le Jul 02, 2021
- Catégorie Law / Droit
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