Ohadata D-08-61 Les Etats parties à l’OHADA et la Convention des Nations Unies

Ohadata D-08-61 Les Etats parties à l’OHADA et la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens par Gaston KENFACK DOUAJNI Magistrat - Spécialiste en Contentieux Economique (ENM - Paris) Membre correspondant de l’Institut pour l’Arbitrage International (Paris) Membre de la London Court of International Arbitration (Panafrican Council) Sous-directeur de la législation civile, commerciale, sociale et traditionnelle au Ministère de la Justice, Yaoundé – Cameroun Revue Camerounaise de l’Arbitrage N° 32 / Janvier – Février – Mars 2006, p. 3. Ayant toujours relevé du droit coutumier international, les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens ont récemment été codifiées, grâce à la Convention des Nations Unies y relative (ci-après nouvelle Convention)1, adoptée le 2 décembre 2004, puis soumise à la signature des Etats à partir du 17 janvier 2005 jusqu’au 17 janvier 2007. Présentée comme étant l’aboutissement de vingt-sept années de travail au sein de l’ONU2, cette nouvelle Convention consacre une conception restrictive des immunités étatiques. En effet, fondée sur le principe universellement reconnu de l’égalité souveraine des Etats, en vertu duquel un Etat est soustrait à la juridiction d’un autre Etat et ne peut ni être jugé, ni être saisi dans un autre Etat sans son consentement, les immunités étatiques de juridiction et d’exécution étaient absolues jusqu’à la fin du XIXe siècle. Depuis le début du XXe siècle, s’est amorcée une évolution vers la restriction desdites immunités, en raison de l’implication croissante des Etats dans les activités commerciales internationales. En effet, les partenaires desdits Etats dans les activités commerciales en question, généralement des opérateurs privés du commerce international, tels que sociétés financières et autres banques commerciales, n’acceptaient de conclure des transactions commerciales3 avec ces Etats, qu’à la condition qu’ils renoncent à leurs immunités de juridiction et d’exécution. Les Etats ont donc dû renoncer à leurs immunités, pour rendre possible la conclusion des transactions commerciales sus-évoquées. La jurisprudence et les différentes législations de certains pays à travers le monde ont précisé la portée d’une telle renonciation, préparant ainsi le terrain en vue de l’adoption d’un instrument juridique à caractère universel, que la nécessité d’une sécurisation des transactions commerciales entre Etats et opérateurs étrangers privés rendait inéluctable. 1 Pour un commentaire détaillé de ladite Convention, voir Gerhard HAFNER et Léonore LANGE, « La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens », in AFDI 2004, p. 45 à 76. 2 Gerhard HAFNER et Léonore LANGE, op. cit. ; adde Régis de GOUTTES, « L’évolution de l’immunité de juridiction des Etats étrangers » sur le site www.courdecassation.fr 3 Les contrats de crédit constituent une part importante desdites transactions. L’adoption, par les Nations Unies, de cette nouvelle Convention, s’explique donc par le double souci de stabiliser les relations entre Etats et promouvoir les échanges commerciaux internationaux4. La création de l’OHADA5 ayant été justifiée, entre autres, par la nécessité de « garantir la sécurité juridique des activités économiques, afin de favoriser l’essor de celles-ci et d’encourager l'investissement »6 dans ses pays membres, il y a lieu de s’interroger sur l’incidence que peut avoir la Convention sus-évoquée sur lesdits pays (II) ; encore faut-il que cette Convention soit connue, d’où la nécessité de sa présentation (I), au moins dans ses grandes lignes. I.- PRESENTATION DE LA NOUVELLE CONVENTION Dans la mesure où la nouvelle Convention constitue le terme d’une longue évolution, il convient de rappeler l’état du droit des immunités avant son adoption (A) ; son contenu (B) sera ensuite précisé. A- L’état du droit des immunités avant la nouvelle Convention Ainsi que le précise le rapport de la quarante-troisième session de la Commission du Droit International des Nations Unies relatif au projet d’articles devenu la Convention nouvellement adoptée, la codification vise à couvrir « la totalité de la procédure judiciaire, depuis l’engagement des poursuites... jusqu’au prononcé et à l’exécution des jugement ». Il en résulte que l’expression « immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens » regroupe à la fois l’immunité de juridiction et l’immunité d’exécution. Fondée sur les principes coutumiers tirés du droit des gens, que sont l’indépendance, la souveraineté et l’égalité des Etats, l’immunité de juridiction des Etats étrangers s’oppose à ce qu’un Etat soit jugé par un autre Etat, sans son consentement ; ce qu’exprime la maxime «Par in parem non habet jurisdictionem»7. Avant l’adoption de la nouvelle Convention, les juridictions américaine et française ont eu l’occasion d’appliquer l’immunité de juridiction de l’Etat étranger. Ainsi, dans une affaire jugée par la Cour Suprême des Etats-Unis en 18128, le Chief Justice Marshall a estimé que si un souverain vient se placer sous la juridiction d’un autre souverain, c’est sous l’expresse condition ou bien sous la foi d’une réserve implicite que son immunité d’Etat indépendant lui soit reconnue9. Les tribunaux américains ont interprété cette décision du Chief Justice Marshall comme instituant un principe d’immunité totale au bénéfice des Etats étrangers, tandis qu’en 1932, un rapport était mis au point par un groupe de recherche en droit international attaché à la 4 Voir communiqué de presse AG/J40l du 23 octobre 2003 sur le site www.un.org/news/fr- press/docs.2003/AGJ40l.doc.htm. 5 Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. 6 Voir préambule du Traité OHADA in « OHADA - traité et actes uniformes commentés et annotés » ; Juriscope 2002, p. 32. 7 Maxime rappelée par Gerhard HAFNER et Léonore LANGE, ainsi que par Régis de GOUTTES dans leurs articles cités aux notes 1 et 2 supra. 8 Schooner Exchange v. Mc Faldom 11 U.S (7Cranch) 116, cité par Catherine KESSEDJIAN, « La pratique américaine en matière d’exécution de l’Etat étranger », in « L’immunité d’exécution de l’Etat étranger », Travaux du CEDIN, Montchrestien, 1988, p. 121. 9 Catherine KESSEDJIAN, op. cit., p. 122. Harvard Law School, lequel groupe proposait un projet de loi annonçant la restriction des immunités des Etats étrangers10. Dans le même temps, des Etats étrangers, non seulement à l’intérieur de leurs frontières, mais également pour leurs transactions internationales, renonçaient au bénéfice de leurs immunités, au risque de se voir par exemple, refuser des contrats de prêt pour leurs dettes publiques, lorsqu’ils n’acceptaient pas que ces contrats soient assortis d’une clause de renonciation aux dites immunités11. En tout état de cause, grâce aux actions combinées de la jurisprudence et de la doctrine, les Etats-Unis d’Amérique ont, en 1976, édicté un texte fixant les conditions de restriction, par les juridictions américaines, des immunités des Etats étrangers. Il s’agit de la Foreign Sovereign Immunity Act (FSIA) du 21 septembre 1976, amendée en 1988, qui consacre la restriction des immunités des Etats étrangers et constitue le socle du droit américain des immunités étatiques, au moment où les Nations Unies adoptent la nouvelle Convention. En France, la jurisprudence a eu à appliquer l’immunité de juridiction dans l’absolu12, avant d’évoluer vers la restriction de celle-ci, du fait de la renonciation à ladite immunité par les Etats étrangers. Du reste, même en l’absence de cette renonciation, le juge français procédait à la distinction entre acte de service public (jure imperii) et acte de gestion (jure gestionis), pour restreindre les immunités juridictionnelles des Etats étrangers. En effet, dans l’affaire République Islamique d’Iran et OITE contre Société Framatone et autres, la Cour de Cassation française, par un arrêt du 20 mars 1989, avait affirmé que « si l’immunité d’exécution dont jouit l’Etat étranger et ses départements ministériels est de principe, elle peut toujours être exceptionnellement écartée, notamment, lorsque le bien saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant du droit privé, qui donne lieu à la demande en justice, même si cette affectation n’a pas été prévue par une clause expresse du contrat, la juridiction saisie pouvant rechercher par tous moyens, si cette affectation existe »13. Ainsi, la Cour de Cassation refusait d’appliquer dans l’absolu, l’immunité d’exécution, lorsque le bien saisi était affecté par l’Etat étranger, à une activité commerciale ; par ailleurs, la Haute Juridiction française spécifie qu’il appartient au juge de rechercher si les biens en cause ont été affectés par l’Etat poursuivi, à ses activités de service public ou de gestion, afin d’éviter que cet Etat n’invoque son immunité d’exécution, uniquement pour échapper aux conséquences de ses actes de gestion, lesquels relèvent du droit privé14. Quoi qu’il en soit, en vertu de leur souveraineté, les Etats ont la possibilité de renoncer à leurs immunités de juridiction et d’exécution, acceptant ainsi d’être attraits devant les tribunaux d’un pays tiers, et même, de se voir appliquer les moyens d’exécution forcée. Une telle renonciation, qui ne saurait se présumer mais doit résulter d’un engagement non équivoque de l’Etat concerné, est traditionnelle lorsque cet Etat se livre à des transactions économiques internationales15. 10 idem. 11 G. DELAUME, «Public Debt and Foreign Immunity: some considerations pertinent O5.566» Amer. J. int. L. 745. 752-756 (1973) également cité par Catherine KESSEDJIAN, op. cit., p. 122. 12 Cass. Civ., 22 janvier 1849 ; DP 1849, p. 5 J. la Haute Juridiction française a appliqué l’immunité de juridiction de l’Etat étranger dans l’absolu, en invoquant les « règles universellement reconnues du droit uploads/S4/ d-08-61.pdf

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  • Publié le Aoû 07, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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