Traduction juridique et étude des collocations : quelles perspectives ? Christi

Traduction juridique et étude des collocations : quelles perspectives ? Christina Dechamps Centre de linguistique de l’Université Nouvelle de Lisbonne (CLUNL) Faculté des sciences sociales et humaines Université Nouvelle de Lisbonne (UNL) cdechamps@fcsh.unl.pt Biographie : CHRISTINA DECHAMPS est enseignante à la Faculté des sciences sociales et humaines de l’Université Nouvelle de Lisbonne depuis 2001 et chercheuse dans le domaine de la linguistique (lexicographie, lexicologie et terminologie), de l’enseignement et de l’apprentissage du français langue étrangère (FLE) et, en particulier, du français de spécialité ou sur objectifs spécifiques (français juridique). Elle a obtenu un doctorat en linguistique – lexicologie/lexicographie/terminologie en 2013 et a rédigé une thèse intitulée Les collocations dans la langue juridique française : problématiques de l’enseignement/ apprentissage à des apprenants lusophones. Parallèles – numéro 25, octobre 2013 5 Traduction juridique et étude des collocations : quelles perspectives ? Résumé Dans cet article, nous allons, en premier lieu, présenter l’objet de nos recherches menées dans le cadre d’un doctorat en lexicologie, lexicographie et terminologie à la Faculté des sciences sociales et humaines de l’Université Nouvelle de Lisbonne. En second lieu, nous commenterons les résultats de notre travail, en partant d’une étude de cas où sera analysée la combinatoire du terme ordonnance. Notre objectif est de démontrer, tout en soulignant la faiblesse des ouvrages lexicographiques et terminographiques de référence, l’importance de l’étude collocationnelle des termes juridiques et des implications de cette étude dans le cadre de la traduction juridique. Mots-clés Collocation, corpus, dictionnaires, langue juridique, polysémie, ordonnance Abstract In this article we will present the subject matter of our PhD dissertation at the Faculty of Social and Human Sciences of the Universidade Nova de Lisboa. We will then go on to comment on our findings of a case study on the different collocations of the term ordonnance. Our aim is to demonstrate the importance of collocation studies on legal terminology and the impact they have in the context of legal translation given the weaknesses of specialized and unspecialized dictionaries. Key words Collocation, corpus, dictionaries, legal language, polysemy, ordonnance Christina Dechamps Traduction juridique et étude des collocations : quelles perspectives ? Parallèles – numéro 25, octobre 2013 6 1. Introduction Pour bien des raisons, traduire des termes juridiques est une tâche complexe. En effet, même si « nul n’est censé ignorer la loi », la terminologie juridique comporte de nombreux termes opaques, comme emphytéose ou antichrèse. Et, même lorsque cette opacité semble moins hermétique, il reste à surmonter l’obstacle de l’ambigüité. Cependant, traduire des collocations juridiques est un travail bien plus ardu. En effet, ces structures semi-figées sont de véritables pièges pour le traducteur. Une combinaison telle que casser un jugement est pratiquement introuvable dans la plupart des ouvrages lexicographiques et terminographiques alors que le sens de cette expression peut se révéler peu évident pour un locuteur lusophone. Par ailleurs, traduire cette collocation par quebrar, partir um julgamento serait évidemment une erreur, revogar uma sentença étant l’équivalent portugais le plus correct. 2. La collocation juridique Suivant l’acception de Verlinde, Binon et Selva (2006, p. 87) et Marie-Claude L’Homme (1998a, p. 514), nous considérons la collocation comme étant une combinaison non libre constituée d’une base choisie librement et d’un collocatif qui permet d’attribuer un sens spécifique à l’expression. Les collocations présentent la particularité de dépendre à la fois du lexique et de la syntaxe ; elles se situent sur l’axe paradigmatique comme sur l’axe syntagmatique. Dans nos recherches, nous nous intéressons plus particulièrement à l’étude de la collocation verbale (verbe + nom/terme) dans la langue juridique. Cette collocation implique souvent un recours à la langue générale au moment du choix du verbe et à la langue de spécialité, où la base (le nom) est un terme juridique. De cette manière, cette expression est une charnière entre deux types de langue. Néanmoins, il faut souligner que le verbe va souvent acquérir une acception spécialisée lorsqu’il entre en contact avec la base de la collocation. Si nous reprenons le verbe casser de l’expression citée ci-dessus, il signifie, dans la langue générale, briser, réduire en morceaux (Le Petit Robert, 1997), mais dans l’expression casser un jugement, le sens de ce verbe est annuler et dans casser un fonctionnaire, rétrograder, destituer. Ici la spécialisation du verbe est évidente. Sur l’ensemble des collocations présentes dans le discours juridique, il en existe plusieurs construites avec des verbes très spécialisés et d’autres avec des verbes passe-partout. Nous donnons l’exemple de contracter une assurance, souscrire une assurance et prendre une assurance, trois collocations synonymes, si ce n’est que les deux premières appartiennent à un discours plus spécialisé alors que la troisième appartient à un discours de vulgarisation. Et, dans ce cas précis, nous avons l’emploi d’un verbe passe-partout, sans spécificité conceptuelle. Ces subtilités au niveau du choix du collocatif méritent donc une meilleure description terminographique pour une optimisation de la traduction ; cette description est possible grâce à la constitution d’un corpus et à son analyse. 3. Objectifs et méthodologie de la recherche L’objectif principal de notre doctorat a été d’élaborer un outil pédagogique qui permette une meilleure acquisition de la langue juridique française, c’est-à-dire une plate-forme où Christina Dechamps Traduction juridique et étude des collocations : quelles perspectives ? Parallèles – numéro 25, octobre 2013 7 l’apprenant lusophone peut trouver des exercices en vue d’améliorer sa maîtrise des collocations juridiques. Pour ce faire, nos recherches se sont développées sur trois axes. Dans un premier temps, nous avons élaboré un corpus textuel comparable bilingue français- portugais qui reprend des documents juridiques à caractère didactique. Ce corpus reprend principalement un ensemble d’ouvrages qui sont recommandés aux étudiants qui commencent des études de droit ou qui ont, dans leur formation, un cours d’introduction au droit. Ces textes1 sont marqués par le discours scientifique pédagogique ou discours de semi-vulgarisation scientifique (Loffler-Laurian, 1983). Le corpus français comprend environ un demi-million de mots2 et le corpus portugais quelque 200 000 mots3. Les phénomènes de combinatoire que nous pouvons relever dans ce type de corpus textuel nous semblent particulièrement pertinents dans l’optique d’une utilisation ultérieure à un niveau terminographique et didactique, étant donné que ces textes présentent une certaine sélection terminologique pour ne conserver que les termes jugés essentiels. Par ailleurs, ce sont des textes relativement éclectiques et, de là, représentatifs de la langue juridique. En effet, en plus du discours scientifique pédagogique proprement dit, marqué notamment par les reformulations et par la sélection terminologique, ces textes vont intégrer des extraits de textes normatifs, juridictionnels et doctrinaux4. La deuxième étape a été consacrée à l’analyse du comportement collocationnel des termes juridiques en français par rapport au portugais, à partir des données de notre corpus bilingue. Finalement, dans un troisième temps, sur la base des résultats complets de la deuxième étape, nous avons élaboré un produit informatique à caractère pédagogique qui renforce l’acquisition des collocations du français juridique. Il est évident que notre objectif est principalement didactique, mais nous estimons que les résultats de notre analyse peuvent se révéler très utiles, d’une part, dans le contexte de la formation de futurs traducteurs juridiques et, d’autre part, dans le cadre de l’enrichissement d’ouvrages terminographiques. 4. Étude de cas : ordonnance Afin de démontrer les présupposés énoncés ci-dessus, nous allons nous pencher, à présent, sur une étude de cas qui met en évidence l’importance de l’analyse de la combinatoire 1 Voici les références des textes que nous avons insérés dans notre corpus français :  Hue, J.-P. (1997). Introduction élémentaire au droit. Paris : Seuil.  Mainguy, D. (1999). Introduction générale au droit (2e éd.). Paris : Litec.  Plavinet, J.-P. (2007). Introduction générale au droit – principales applications au domaine du vivant. Consulté le 27 décembre 2010, http://www.agroparistech.fr/IMG/pdf/cours-introduction-droit-2.pdf  Senaux, P. & Soret-Catteau, D. (2002). BTS – Droit. Paris : Hachette.  Taormina, G. (2006). Introduction au droit. Paris : Hachette Supérieur. Dans un futur proche, nous envisageons d’enrichir le corpus français en y ajoutant notamment les références suivantes :  Terré, F. (2012). Introduction générale au droit (9e éd). Paris : Dalloz.  Aubert, J.-L. (2002). Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil (14e éd.) Paris : Sirey Université. Le corpus portugais est constitué du même type d’ouvrages. 2 447 275 mots exactement. 3 174 224 mots exactement. 4 Selon la typologie de textes juridiques présentée par Bocquet (2008). Christina Dechamps Traduction juridique et étude des collocations : quelles perspectives ? Parallèles – numéro 25, octobre 2013 8 présente dans la langue juridique et de son impact sur la traduction. Nous avons choisi le terme ordonnance, qui nous semble assez approprié pour différentes raisons. La première est que ce terme est un bon exemple de polysémie interne. La deuxième est qu’il présente une série de combinatoires verbales qui font ressortir les enjeux d’une étude collocationnelle de la terminologie juridique dans le cadre de la traduction, étant donné les ambigüités que ce terme manifeste dans son utilisation en discours (prendre/rendre une ordonnance, par exemple). 4.1 Terme ordonnance et polysémie interne Gérard Cornu (2000, pp. 95-100), dans sa description du vocabulaire juridique, insiste sur l’importance de cette polysémie uploads/S4/ dechamps-paralleles-25-pp4-18.pdf

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  • Publié le Mar 01, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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