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Tous droits réservés © Université Laval, 2011 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 11 nov. 2022 04:55 Les Cahiers de droit L’épistémologie de la pensée juridique : de l’étrangeté… à la recherche de soi Pierre Noreau Volume 52, numéro 3-4, septembre–décembre 2011 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1006807ar DOI : https://doi.org/10.7202/1006807ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de droit de l’Université Laval ISSN 0007-974X (imprimé) 1918-8218 (numérique) Découvrir la revue Citer ce document Noreau, P. (2011). L’épistémologie de la pensée juridique : de l’étrangeté… à la recherche de soi. Les Cahiers de droit, 52(3-4), 687–710. https://doi.org/10.7202/1006807ar Épilogue L’épistémologie de la pensée juridique : de l’étrangeté… à la recherche de soi* Pierre Noreau** La pensée juridique se cherche. C’est un début ! Le texte qui suit tente dans une forme simple de distinguer les caractéristiques de la pensée juridique de celles des autres disciplines reliées au domaine des sciences humaines et sociales. La façon dont j’ai tenté d’exprimer les choses ici n’est pas innocente. J’y présente toujours de près ou de loin le droit comme une science sociale qui chercherait une façon de se comprendre elle-même et serait sur le point d’y parvenir. Mais le terrain est vaste. Comparant le droit aux autres sciences sociales, j’ai surtout cherché à faire voir la distinction entre plusieurs modes de pensée, et chaque fois que la chose était possible, analyser les conditions d’un certain rapprochement. J’ai voulu aussi rendre compte des hypothèses fortes qui se dégagent des textes réunis ici par Les Cahiers de droit. J’ai parfois moi-même utilisé des images colorées pour me faire comprendre, me situant tour à tour dans la peau du juriste, puis dans celle du chercheur œuvrant dans une autre discipline ; me répondant Les Cahiers de Droit, vol. 52, nos 3-4, septembre-décembre 2011, p. 687-710 (2011) 52 Les Cahiers de Droit 687 * Ce texte a été écrit au coup par coup, un peu tous les jours, au fil du clavier (et sur trois continents différents). Au plan de la démarche, j’ai d’abord utilisé les notes que j’avais prises lors de la Journée d’étude sur la méthodologie et l’épistémologie juridique du 12 novembre 2010 organisée à l’Université Laval et qui m’avait fortement inspiré. J’ai par la suite lu les textes produits par les auteurs. Chacun y a trouvé une place. Je veux remercier les auteurs de ce numéro thématique des Cahiers de droit. J’ai découvert chaque fois une perspective nouvelle. Il ne faut pas cacher que chacun remet ici en ques- tion des perspectives souvent prises pour acquises ou allant de soi dans l’enseignement ou dans la recherche en droit. J’ai été souvent impressionné par la capacité des auteurs de remettre en question les cadres dans lesquels ils avaient été formés eux-mêmes. Je veux donc remercier chacun d’eux pour sa contribution. ** Professeur, Centre de recherche en droit public, Faculté de droit, Université de Montréal. 688 Les Cahiers de Droit (2011) 52 C. de D. 687 à moi-même. Il faut parfois user de contrastes. J’ai finalement tenté que ce texte reste accessible. Il fallait éviter une fuite en avant tout aussi abstraite qu’illisible. C’est pourquoi j’ai voulu explorer plusieurs avenues à la fois, plutôt que de fouiller jusque dans ses fondements les plus abstraits une position « esthétique ». Il existe plusieurs points de fuite susceptibles de faire du droit autre chose qu’un certain style littéraire (ou une certaine théologie profane). À plus long terme, mais il faut en avoir la modestie, il faut faire de la pensée juridique une perspective intellectuelle aussi utile pour les autres disciplines que ces disciplines le sont déjà… les unes pour les autres. Derrière cet impératif s’en dessine un autre : celui de se connaître suffisamment soi-même, pour s’expliquer aux autres… mais aussi pour les comprendre. De la place du juriste en contexte universitaire Le droit est une discipline qui s’ignore largement elle-même. Il faut entendre par là que, contrairement à d’autres disciplines, les catégories juridiques ne permettent pas de comprendre le droit en tant que système de pensée. Il n’y a pas de théorie « juridique » du droit. Aussi ce qu’on appelle couramment la « théorie du droit » est-elle toujours de près ou de loin conçue à partir d’autres disciplines : la philosophie analytique (chez Kelsen par exemple), la philosophie morale, la sociologie ou la science politique. En contrepartie, il est tout à fait possible de faire une sociologie de la socio- logie1, une histoire de l’écriture historique2 ou une anthropologie de la tribu des anthropologues. C’est que les catégories juridiques n’ont pas a priori une fonction analytique, mais une fonction normative. Elles ne servent pas tant à comprendre le monde qu’à le nommer dans des termes qui permettent de lui donner un sens spécifique dans un certain ordre de discours. Cet ordre de discours n’a pas vocation à rendre compte de la réalité mais à s’imposer à elle3. Le discours juridique se trouve ainsi ­ systématiquement 1. Odile Piriou, Pour une sociologie des sociologues. Formation, identité, profession, Fontenay-aux-Roses, ENS éditions, 1999. 2. ������������������������������������������������������������������������������������� D’une certaine façon, c’est ce sur quoi porte le texte de Mathieu Devinat. On consul- tera également sur le thème de l’histoire de l’histoire Olivier Le Guillou, Histoire de l’Histoire et tendances récentes de l’historiographie. Bibliographie, Laboratoire de sciences sociales ENS, [En ligne], [www.barthes.ens.fr/clio/outils/biblios/histhist.html] (12 octobre 2011). 3. C’est une des contributions importantes du texte d’Emmanuelle Bernheim de définir le discours juridique comme expression particulière d’une forme plus générale : le discours normatif (p. 461). Lorsque le discours normatif est créé à partir de règles, le processus de jugement de valeur a pour objet de classer les faits entre convenables et inconvenables. Les règles peuvent être de nature morale ou juridique, mais il faudra également tenir compte P. Noreau L’épistémologie de la pensée juridique … 689 mis en porte-à-faux par rapport aux autres discours savants, celui du socio- logue ou celui de l’économiste. Ainsi, les lois de l’économie ne visent pas tant à s’imposer aux échanges économiques qu’à en rendre compte. Il en va de même des grandes hypothèses dans le domaine de la sociologie ou de la science politique : lorsqu’elles ne parviennent plus à décrire ou à « expli- quer » correctement la réalité observée… on les change. Le discours juri- dique poursuit une vocation inverse. Le droit n’est en rien invalidé par le non-respect de la norme ; dans tous les cas, il s’agit simplement d’appliquer la sanction ou d’imposer l’exécution d’un devoir ou d’une obligation4. C’est que le discours juridique n’est pas en soi une théorie du monde social, il n’en propose pas une explication ; sa finalité est au contraire de lui imposer une certaine forme. Il s’y superpose. C’est ce qui rend le discours juridique si étrange et suspect aux oreilles des chercheurs issus des autres sciences sociales5. Quelle que soit l’uni- versité de référence, on compte sur les doigts de la main le nombre de sociologues, de politologues, d’économistes ou d’anthropologues qui s’inté- ressent à l’évolution du droit en tant qu’objet ou en tant que discipline. Comme juristes, nous nous tenons souvent « entre nous ». Préoccupé par l’application difficile de la théorie du don et du contre- don en contexte de mort imminente6, un anthropologue craint toujours qu’un juriste le renvoie à l’article 2 de la Charte des droits et libertés de la personne7. Cette asymétrie des systèmes de sens place le droit hors du champ de vision des autres disciplines. Au reste, il ne faut pas cacher la condition particulière du juriste en contexte universitaire ; c’est une condition bien décrite par Violaine Lemay des règles d’un jeu, des règles d’étiquette, des règles internes à un organisme ou une institution ou encore des règles de procédure. Le processus d’évaluation consiste alors à ne retenir que ce qui est considéré comme bon du point de vue instrumental de l’évaluateur. 4. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1962, p. 120-122. Lire également Herbert L.A. Hart, Le concept de droit, 2e éd., Bruxelles, Facultés universitaires Saint- Louis, 2005, p. 127-153. 5. C’est en vue de contrer cette incompréhension mutuelle que Violaine Lemay et Benjamin Prud’homme en appellent à une forme d’interculturalité disciplinaire. 6. Il s’agit de la théorie développée par Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, 4e éd., Paris, Presses universitaires de France, 1968. Cette édition, comme plusieurs autres, comprend l’Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques. 7. Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 2 : « Tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours. Toute personne doit porter secours à celui uploads/S4/ l-x27-epistemologie-de-la-pensee-juridique-de-l-x27-etrangete-a-la.pdf

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  • Publié le Jui 02, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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