Droit de la sécurité sociale Professeur : Daniel DUMONT Introduction L’objet de
Droit de la sécurité sociale Professeur : Daniel DUMONT Introduction L’objet de ce cours est le droit de la sécurité sociale. La problématique qui se pose d’emblée est que le droit de la sécurité sociale a mauvaise presse. Son image est celle d’une matière aride, compliquée, poussiéreuse. De plus, il est très technique et changeant. Les questions des acteurs de terrain peuvent ainsi se poser sont, par exemple : - Le chauffeur de taxi qui ne passe pas par une centrale de taxi pour récolter des clients est-il un indépendant ? - Un débat s’est installé dans la doctrine : le chômeur qui produit des faux docs pour prouver des démarches de recherche d’emploi doit-il être sanctionné pour défaut de recherche active d’emploi (art. 59bis de Code du chômage) ? ou bien plutôt être sanctionné (sur base de l’art. 155 du même code) pour usage de documents inexacts ? Le constat du caractère illisible du droit de la sécurité sociale se retrouve dans de vieux textes de loi. D’ailleurs, dans les années ’60, Albert Delperée (père de Francis, le constitutionnaliste) devient le père fondateur du système de sécurité sociale belge et dit du système de sécurité sociale qu’il va finir par imploser si sa complexité continue à évoluer. Les choses ne se sont pas améliorées depuis… Le droit de la sécurité sociale mérite qu’on s’y intéresse car il nous concerne tous de deux manières : - Il nous concerne de manière directe en étant omniprésent dans nos vies quotidiennes. Nous sommes tous des « assurés sociaux », des ayants droits à un certain nombre de prestations sociales, financées solidairement (alloc familiales, retraite, etc.) ; - Il est également omniprésent dans l’espace public : dans les médias, la politique, les soins de santé,… On en parle énormément car elle forme le cœur de l’Etat providence. De plus, la sécurité sociale a un coût : traditionnellement, la Belgique consacre 25% de son PIB à la sécurité sociale. Son budget est de 70 milliards d’€. Derrière cette somme, il y a des enjeux très importants. Bien que le droit de la sécurité sociale soit la branche du droit la moins « sexy », il y a des enjeux très importants derrière tout ce fatras de règlementations. Il y a donc des questions qui traversent, en filigranes, le droit de la sécurité sociale : - Est-il vrai que le phénomène du vieillissement de la population condamne, à terme, notre système de santé publique ? - Est-il vrai qu’en Belgique, il est possible de faire carrière dans l’assurance-chômage ? - Est-il vrai qu’on touche plus via la sécurité sociale qu’en allant travailler ? - Est-il vrai que les institutions européennes compromettent la soutenabilité du système de sécurité sociale belge ? Le droit positif belge de la sécurité sociale permet de décoder ces enjeux/questions. Positionnement du droit de la sécurité sociale dans notre ordre juridique Le droit de la sécurité sociale forme le second volet du droit social, avec le droit du travail. Le droit du travail règle les rapports entre l’employeur et ses travailleurs subordonnés et relève donc du droit privé. 1 Le droit de la sécurité sociale relève du droit public car il organise le système de redistribution élaboré par l’Etat au bénéfice des citoyens pour garantir aux citoyens de subvenir à leurs besoins lorsqu’ils sont confrontés à un aléa de nature à fragiliser leur sécurité d’existence. TITRE I – INTRODUCTION GÉNÉRALE AU DROIT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Chapitre I – La formation du système belge de sécurité sociale La sécurité sociale est un produit de l’Histoire. L’Histoire permet d’expliquer tout un ensemble de caractéristiques propres à la sécurité sociale. L’Histoire montre que la sécurité sociale a été un élément qui a été arraché au patronat par les mouvements ouvriers. Il y a 5 grandes périodes qui constitue la construction de ce droit : Section 1 – De la Révolution française à la fin du 19ème siècle : le paupérisme et le dogme de la non-intervention de l’Etat Tout au long du Moyen-âge et de l’Ancien Régime, la sécu d’existence des individus était assuré par les rapports de proximité : la famille et la communauté (rapports de voisinage, liens féodaux, corporations). Le lien féodal en tant que tel impliquait une sujétion (donc inégalitaire), mais garantissait surtout une protection ! Ainsi, ceux qui ne pouvait garantir leur sécu d’existence eux-mêmes disposait de la protection du seigneur. Robert CASTEL parlait de « protections rapprochées », dans le sens où le système de protection intervenait directement dans l’environnement immédiat de l’individu. Donc, l’insécurité relevait de facteurs extérieurs à la communauté (grève, épidémie, famine,…). Dans la communauté, il s’était installé un système d’assignation des rôles dans l’ordre social. Chaque individu disposait de telle ou telle protection selon son statut. Ce qui a mis fin à ce système est la grande révolution économique et politique de la fin du 18e s. (Révolution industrielle et française) La Révolution industrielle est symbolisée par l’apparition du machinisme et de l’industrie. Le contexte de cette révolution s’inscrit dans un exode massif des populations rurales vers les villes. Ces populations sont concentrées dans les villes et sont dénuées de moyens d’existence. Concentration de personnes isolées et en demande de travail. Main d’œuvre utile pour les capitaines d’entreprise. La Révolution française a eu pour conséquence l’interdiction et abolition des corporations de métier. Les travailleurs n’ont plus d’espace où se regrouper face aux patrons. Ces deux révolutions sont concomitantes et ont eu des effets combinés. Elles ont eu pour effet de permettre l’essor du capitalisme et du salariat. Toutes les conditions sont réunies pour que le capitalisme prenne sont envol : 2 - De nombreux individus sont en situation de demande de travail ; - Ceux-ci sont isolés face à de puissants patrons. En même temps, on constate la fin des protections communautaires. Le développement du capitalisme laisse place à l’apparition du paupérisme : les rapports entre ouvriers et employeurs sont déséquilibrés. L’ouvrier doit prendre place dans un poste à n’importe quel prix. Etat de pauvreté permanent et épidémique (car se reproduit de génération en génération). Le paupérisme consiste en un état de privation dans lequel était plongée la population prolétaire. (Référence à l’abbé SEYES : les ouvriers forment une foule d’instruments bipède sans liberté) Contrairement à la situation du Moyen-âge, l’insécurité d’existence est produite à l’intérieur de la communauté, de l’ordre social. Des Risques nouveaux, inédits vont apparaître. Les salaires sont très bas, le travailleur a peu de moyens d’existence. Il perdrait brutalement tous ses revenus en cas d’absence de travail. Et la Révolution industrielle a eu pour effet d’amplifier les effets de l’absence de travail. Deux nouveaux risques en ressortent: - En ce qui concerne les accidents du travail, avec le développement industriel, l’utilisation de machines explose. Mais, les ouvriers n’ont aucune protection juridique contre cela, sauf art. 1382 du Code civil (« tout fait de l’homme qui cause dommage à autrui oblige celui par la faut duquel le fait s’est produit à le réparer »). 3 conditions à cela : l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre les deux. Or, l’ouvrier ne peut identifier la faute et prouver l’existence du dommage. - A propos du chômage, s’il y a excédent de main d’œuvre, les ouvriers surnuméraires sont mis à la porte de l’employeur. À la moindre fluctuation du marché, des travailleurs sont privés de travail. Donc, il y a une grande incertitude créée par les structures socio-économiques. En outre, les employeurs pouvaient négocier plus facilement les conditions de travail à la baisse par la même occasion, car il y a concurrence des travailleurs. Parallèlement, la révolution industrielle a donné une nouvelle signification à 3 types d’aléas : la charge d’enfants, l’âge et la maladie. Les individus ne peuvent plus compter sur les protections rapprochées pour subvenir à leurs besoins. Au 19e siècle, la classe ouvrière doit faire fasse à 5 grands risques : accident du travail, chômage, charge d’enfant(s), âge et maladie. Quelles sont les solutions de l’ouvrier face à ces risques ? - L’appel à la bienfaisance (mais pas de droit de créance, de titre), à la charité (mais aléatoire) ; - La prévoyance individuelle : l’épargne. Dans l’optique du Code civil, le bon père de famille doit prévoir les coups du sort. Mais l’épargne est quasi impossible car les salaires sont déjà trop bas pour pouvoir mettre quelque chose de côté. Qu’est ce qu’on fait les pouvoirs publics en ce temps-là ? L’Etat refusait d’intervenir dans la détresse que connaissait la classe ouvrière. Mais à partir de la moitié du 19e, certains intellectuels en ont informé l’Etat. 3 Pourquoi l’Etat n’a-t-il rien fait ? Deux raisons : - Blocage politique : D’une part, les partis politiques divergeaient dans leurs opinions (cathos><libéraux/laïcs). D’autre part, la classe bourgeoise était prédominante en politique. La situation les arrangeait bien. - Blocage philosophique (François HEVALD, L’Etat providence) : En relisant les écrits des auteurs et acteurs libéraux de l’époque, on voit qu’ils étaient conscients du paupérisme (ils étaient « éclairés »). Pour uploads/S4/ droit-de-la-securite-sociale-bon-resume-91p.pdf
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- Publié le Fev 27, 2022
- Catégorie Law / Droit
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