Revue Internationale de Droit Économique — 2003 — pp. 291-311 LA MONDIALISATION
Revue Internationale de Droit Économique — 2003 — pp. 291-311 LA MONDIALISATION DU DROIT ÉCONOMIQUE : VERS UN NOUVEL ORDRE PUBLIC ÉCONOMIQUE. RAPPORT INTRODUCTIF Hanns ULLRICH* 1. Le projet 1.1 Un droit économique mondial ? 1.1.1. La réglementation internationale des marchés 1.1.2 Les problèmes d’un concept hiérarchique de la mondialisation du droit économique 1.1.2.1 Le rôle des États, en particulier des États dominants, et le déficit de légimité du droit économique mondial 1.1.2.2 La transposition de la réglementation internationale des marchés sur le plan juridique national 1.1.2.3 Frictions et rivalité des systèmes 1.2 La mondialisation du droit économique national 2. Le colloque de Rennes : une approche sectorielle 2.1 Le choix des domaines du droit économique à examiner 2.1.1 Les règles du marché 2.1.2 Le statut des acteurs sur le marché 2.1.3 La réglementation des moyens de la concurrence 2.2 Le constat 2.2.1 Principes, problèmes récurrents et nécessité de plus amples recherches 2.2.1.1 Éléments d’un ordre juridique international ? 2.2.1.2 Réglementation à niveaux multiples et rivalité régulatrice ? 2.2.2 La mondialisation : des concepts évasifs 2.2.2.1 Limitation, libéralisation et modernisation de la réglementation des marchés 2.2.2.2 La multiplicité de la mondialisation * Dr. iur., M.C.J. (N.Y. Univ.), professeur à l’Institut universitaire européen, Florence. 292 La mondialisation du droit économique : vers un nouvel ordre public économique 3. Le colloque de Tunis 3.1 Les problèmes 3.1.1 L’établissement des règles régissant le marché (les niveaux multiples) 3.1.2 Les principes de la réglementation des marchés globalisés (l’orientation mondialiste) 3.1.3 La mondialisation économique par qui et pour qui (les acteurs privés) 3.1.4 La mise en œuvre de la mondialisation du droit économique 3.2 Les perspectives Summary 1 LE PROJET Un projet de recherche aussi vaste que celui que l’Association internationale de droit économique a entrepris pour évaluer en deux colloques successifs1 «la mondialisa- tion du droit économique» a plusieurs pères et même plusieurs mères, et une histoire tourmentée. Et pourtant, ce n’est pas un enfant illégitime, car il a été conçu au sein de l’AIDE, famille présidée par Claude Champaud, puis par Bernard Remiche, et il a été nourri par un grand nombre de membres actifs de cette famille, dont je n’en nommerai que deux par amitié et respect personnel : Laurence Boy et Maria Leitao Marques. Je le fais dès le début, et sans oublier les autres membres du Comité scientifique des deux colloques, afin de préciser le rôle modeste qui revient au rapporteur en charge de cette introduction au deuxième colloque, celui de Tunis. En effet, tout le long de nos travaux préparatoires, j’ai pu et j’ai dû modifier, améliorer et approfondir l’approche proposée à la lumière des discussions que nous avons eues au sein de notre petit comité scientifique. 1.1 Un droit économique mondial ? 1.1.1 La réglementation internationale des marchés À l’origine, l’idée était que la mondialisation économique est essentiellement un phénomène de l’extension des marchés concurrentiels au-delà des frontières natio- nales à une échelle globale. Cette extension serait le résultat de la libéralisation du commerce international. Elle entraînerait une diminution du contrôle que l’État national peut exercer sur les activités économiques, qui sont liées à son marché territorial. La déréglementation et la déterritorialisation se résumeraient ainsi en une 1. Voir les contributions dans «Mondialisation et droit économique», Numéro spécial 2-3/2002 de la Revue internationale de droit économique, reproduisant les rapports et commentaires du premier «Colloque de Rennes» tenu sur le même sujet les 27, 28 et 29 septembre 2001 à Rennes. La mondialisation du droit économique : vers un nouvel ordre public économique 293 désétatisation.2 Le vide ainsi créé serait rempli soit par l’action réglementaire des organisations internationales ou par les conventions entre États, soit par l’action autonome des entreprises ou de leurs associations agissant sur le plan international. En fait, la richesse de la réglementation internationale des marchés est impres- sionnante. Il y a tout un encadrement de la concurrence internationale par les accords OMC.3 Ils règlent non seulement l’accès aux marchés nationaux, mais encore le jeu de la concurrence sur les mêmes marchés en limitant l’intervention étatique.4 En plus, il y a la régulation de certains secteurs ou activités économiques par des accords internationaux spécifiques,5 il y a tout un réseau de règles établies par les diverses organisations d’intégration régionale,6 qui pour la plupart ne se limitent pas simple- ment à créer de simples zones de libre-échange, et il y a d’innombrables accords bilatéraux, qui resserrent encore davantage les mailles de ce réseau de règles. Ces règles-cadres du marché global sont complétées, fût-ce de manière insuffisante, par des conventions sur la protection de l’environnement et de la santé,7 ou par des mécanismes internationaux de normalisation.8 Même là où des États gardent leur souveraineté, des règles du droit international public limitent éventuellement la portée de leur pouvoir réglementaire.9 2. La littérature est abondante, voir F. Ost, Mondialisation, globalisation, universalisation : s’arracher, encore et toujours, à l’état de nature, in Ch.-A. Morand (sous la direction de), Le droit saisi par la mondialisation, Bruxelles (Bruylant et al.) 2001, 5 et suiv. ; R. Boyer, D. Drache, Introduction to R. Boyer (eds.), States Against Markets, Londres, New York (Routledge) 1996, 1 et suiv. ; R. Boyer, State and Market, ibid. p. 84 et suiv. ; J. L. Mortensen, The Institutional Requirements of the WTO in an Era of Globalisation : Imperfection in the Global Economic Policy, 6 Eur. L. J. 176 (2000). 3. Voir pour un traité récent remarquable A. Lowenfeld, International Economic Law, Oxford (Oxford University Press) 2002, 21 et passim ; et les traités classiques de J. H. Jackson, The World Trading System, 2e éd. Cambridge, Mass. (CMIT Press) 1997 ; D. Carreau, P. Juillard, Droit international économique, 4e éd. Paris (LGDJ) 1998. 4. P. ex. par le Code des subventions ou le Code des marchés publics du GATT, voir pour le premier Lowenfeld, loc. cit. supra n. 3, p. 199 et suiv., pour le dernier G. Kunnert, WTO-Vergaberecht – Genese und System sowie Einwirkungen auf das EG-Vergaberegime, Baden-Baden (Nomos) 1998 ; A. Drügemöller, Vergaberecht und Rechtsschutz – Der inter- und supranationale Rahmen und seine Ausgestaltung in Deutschland, Berlin (Springer) 1999. 5. P. ex. en ce qui concerne les investissements internationaux voir Lowenfeld, loc. cit. supra n. 3, p. 387 et suiv. ; en ce qui concerne le commerce des matières premières (les métaux, le pétrole, etc.) et des produits de base agricoles (café, cacao, etc.), les transports, la poste et les télécommunications, voir pour une présentation sommaire M. Herdegen, Internationales Wirtschaftsrecht, 3e éd. Munich (Beck) 2002. 6. Pour les rapports entre la réglementation mondiale des marchés et l’intégration régionale voir P. Demaret, J.-F. Bellis, G. Garcia Jimenez (eds.), Regionalism and Multilateralism after the Uruguay Round, Bruxelles (EIP) 1997 ; St. Schirm, Globale Märkte, nationale Politik und regionale Kooperation, 2e éd. Baden-Baden (Nomos) 2001, passim. 7. P. ex. les deux Conventions sur la biodiversité et sur le changement climatique conclues en 1992 à Rio de Janeiro dans le cadre de la conférence des Nations Unies sur le développement et l’environnement, voir Lowenfeld, loc. cit. supra n. 3, p. 297 et suiv. 8. Voir M. Royon, L’émergence de systèmes nationaux de normalisation-certification et leur con- nexion internationale, RIDE 1999, 107 et références infra n. 14. 9. P. ex. en ce qui concerne l’application extraterritoriale du droit de la concurrence, voir M. Waelbroeck, A. Frignani, Concurrence, t. 4 de Le Droit des Communautés européennes (Commen- 294 La mondialisation du droit économique : vers un nouvel ordre public économique Puis, les moyens de la concurrence internationale, telle la propriété intellec- tuelle, sont très largement harmonisés et protégés sur le plan global.10 Il en va de même pour le droit des opérations commerciales internationales : la vente internatio- nale peut s’appuyer sur des règles de droit uniforme.11 Pour d’autres transactions existent des contrats modèles plus ou moins bien acceptés, et souvent la pratique suit un modèle national dominant.12 En fait, des leges mercatoriae se sont constituées sur la base de l’autonomie contractuelle que la grande majorité des États respecte et protège.13 Il est même devenu fréquent que la législation étatique renvoie à l’autoré- gulation.14 Bref, il y a toute une superstructure de droit économique international. Elle ne se réduit pas à un «droit international du commerce», mais constitue un droit international du marché.15 Elle témoigne de ce que, du fait de l’élargissement de leurs taire J. Megret), 2e éd. Bruxelles (Éditions Université de Bruxelles) 1997, 93 et suiv. ; E. Rehbinder, in E.J. Mestmäcker, U. Immenga, EG-Wettbewerbsrecht, Munich (Beck) 1997, 71 et suiv. et les références infra n. 41. 10. On n’a qu’à se référer aux grandes conventions administrées par l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI), telles celles sur la protection de la propriété industrielle (Paris 1883) et sur la protection de la propriété littéraire et artistique (Berne 1886) avec leurs compléments récents : le Traité mondial du droit d’auteur et le Traité mondial sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, voir pour ces derniers J. Reinbothe, S. von Lewinski, The WIPO Treaties 1996 : Ready to Come into Force, Eur. uploads/S4/ droit-economique-mondialisation.pdf
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- Publié le Jan 26, 2021
- Catégorie Law / Droit
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