DROIT ET DÉONTOLOGIE Contribution à l'étude des tnodes de régulation PAR Nicole

DROIT ET DÉONTOLOGIE Contribution à l'étude des tnodes de régulation PAR Nicole DECOOPMAN Professeur à I'Université de Valenciennes Thème classique 1, la question des rapports entre droit et déontologie connaît un regain d'actualité en raison de la prolifération des codes de déontologie. De l'édiction d'un code de déontologie à I'usage du gouvernement par Michel Rocard 2 à l'élaboration d'une déontologie des professions financiè- res en passant par la définition de règles de bonne conduite en matière de publicité automobile, de courtage matrimonial ou de violence à la télévision, les exemples abondent et illustrent la diversité du phénomène 3. Cette évolution n'est pas propre à la France. La Chambre de commerce internationale élabore de tels codes depuis les années 1930. Aux Etats-Unis se développent des enseignements d'éthique des affaires. Le champ de la déontologie s'élargit ainsi considérablement. On est désor- mais loin de la définition classique et restrictive de la déontologie entendue comme << I'ensemble des devoirs inhérents à I'exercice d'une activité profes- sionnelle libérale et le plus souvent définis par un ordre professionnel >> (Vocabulaire Cornu). Ce cadre a éclaté. D'une part, la déontologie n'a plus seulement pour objet de préciser les devoirs du professionnel, elle sert surtout à régir une activité économique, qu'il s'agisse d'éviter une intervention plus contraignante de l'Etat, de promouvoir une activité ou de normaliser la concur- rence *. D'autre part, les sources de la déontologie se diversifient : des ordres professionnels aux associations professionnelles ou interprofessionnelles, du gouvernement aux autorités administratives indépendantes. 88 DRorr ET DÉoNToLoGrE Ce phénomène suscite des réflexions se situant à différents niveaux. Sur le plan de Ia morale d'abord, il convient de souligner I'irmption des valeurs dans le droit que manifeste la multiplication des règles déontologiques : valeurs de loyauté, d'intégrité, de conscience... Cette entrée en force des valeurs peut contribuer à contrebalancer le caractère instrumental et techniciste du droit s. Toutefois, ce trait ne doit pas être accentué. Ripert a depuis longtemps souligné I'importance de La règle morale dans les obligations civrJes n. Les interrogations actuelles sur l'éthique en matière biomédicales vont dans le même sens. Sur le plan politique ensuite, le foisonnement de codes de déontologie émanant des professionnels illustre le rôle accru des groupeme^nts intermédiai- .es t, le regain de vigueur déjà constaté du néo-corporatisme 8. Au niveau du droit enfin - terrain sur lequel se situeront nos analyses - les questions sont multiples. On peut s'interroger sur la juridicité des règles déontologiques. Ces règles présentent-elles un caractère obligatoire ? Au demeurant, leur formulation souvent vague qui conduit à les rapprocher des nouvelles techniques d'énoncé de la règle juridique (recommandations, recours aux standards) ' .'y prêtent-elles ? En allant plus loin, on peut se demander si les règles déontologiques - spécialement celles qui émanent des profession- nels - ne participent pas de I'existence d'ordres juridiques particuliers dont Santi Romano a présenté une analyse éclairante r0. Dans cette hypothèse, se pose la question de l'articulation de ces ordres juridiques particuliers avec l'ordre juridique étatique. Manifestation de pluralisme juridique et phénomène d'autorégulation, l'éla- boration de codes de déontologie semble s'inscrire dans la crise des régulations traditionnelles et la remise en cause du rôle régulateur de I'Etat ". Cependant, cette idée doit être nuancée. L'intervention des autorités administratives indé- pendantes dans 1'élaboration des règles de bonne conduite est significative de l'ambiguïté du rôle de I'Etat : dans les coulisses, lors de l'élaboration des règles déontologiques, son rôle est prépondérant lors de leur réception, qu'il << reçoive >> ou qu'il < ignore >> les règles déontologiques élaborées par des instances non étatiques. I1 s'agit moins ici de tracer les frontières du droit et de la déontologie, cette dernière constituant certainement l'exemple le plus flagrant de chevauchement du droit et de la morale 12, que de s'interroger sur la diversité des modes de régulation et leurs rapports avec l'ordre juridique étatique. Le rôle de Ia pratique dans I'élaboration du droit par le biais notamment des contrats-types et des conditions générales a déjà été souligné t'. Cependant, même si l'analyse comporte une large part de fiction, ces interventions se situent essentiellement au niveau interindividuel, au stade contractuel ]a et donc ne remettent pas en cause de prétendu monopole étatique d'émission des règles juridiques. En revanche, les codes de déontologie ont une vocation normative '" et prétendent régler les comportements des personnes relevant de leur << juridiction >. Il est dès lors intéressant d'observer cette manifestation de pluralisme juridique (I) et les réactions de I'ordre juridique étatique (II), de DROIT ET DEONTOLOGIE voir les articulations, les combinaisons, les influences réciproques s'opérant entre des ordres juridiques différents. r. - L'ÉLABORATION DES RÈGLES DÉONTOLOGrQUES, MANIFESTATION DE PLURALISME JURIDIQUE Selon Santi Romano, chaque institution élabore ses propres règles de droit, secrète un ordre juridique particulier 'o. C"tt" théorie qui débouche nécessaire- ment.sur le pluralisme juridique rejoint les analyses tant de la sociologie du droit tt que de l'anthropologie juridique tu. Ces approches permettent à notre avis de rendre compte de l'élaboration de règles déontologiques par les profes- sionnels. Les instances qui les regroupent - ordres professionnels, syndicats ou associations professionnelles - édictent des règles qui précisent le comporte- ment que doit adopter le professionnel dans I'exercice de son activité. Les acteurs sociaux eux-mêmes établissent ainsi les règles du jeu qui leur sont applicables et veillent à ce qu'elles soient respectées. Cette autorégulation re constitue une limitation de l'Etat et assure la promotion de la société civile 20. Elle présente cependant un double risque : celui d'un caractère corporatiste trop marqué et celui d'une effectivité insuffisante, voire d'une absence de régulation. Ces inconvénients expliquent que I'intervention de l'Etat vienne souvent tempérer cette manifestation de pluralisme ; les pouvoirs publics jouent parfois un rôle incitatifdans l'adoption de règles déontologiques; dans d'autres cas, le relais est pris par les autorités administratives indépendantes, institu- tions ambivalentes qui participent à la fois de la société civile et de l'Etat 2r. A) Un phénomène d'autorégulation La déontologie ne relève pas par nature d'une réglementation non-étatique. D'ailleurs, certaines règles déontologiques sont émises par les pouvoirs publics, par exemple en matière de sondage 22 ou de police 23. Cependant, traditionnel- lement, les professionnels et en particulier les professions libérales élaborent eux-mêmes leurs propres règles en Ia matière, règles d'origine coutumière 2a qui ont pour objet de définir les devoirs du professionnel. Ces règles reposent sur une pratique généralement suivie, sur des valeurs communément partagées par des praticiens appartenant à un milieu relativement fermé, ce qui à la fois facilite et limite I'auto-discipline. Ces données se modifient considérablement dès lors qu'il s'agit de professions ouvertes, non réglementées par Ia loi. Dans ce cas, l'élaboration de codes de déontologie ne répond plus aux mêmes objectifs. L'encadrement d'une activité nouvelle avant que n'interviennent les pouvoirs publics devient essentiel. Cet encadrement valorise l'activité concer- née, il permet aux professionnels - aux plus importants d'entre eux - d'éliminer les << canards boiteux > qui déshonorent la profession, il sert de < label > vis-à-vis des clients. Une distinction s'impose ainsi entre les codes de déonto- logie qui contiennent pour I'essentiel des normes de comportement et ceux qui ont pour objet principal de réglementer une activité économique. Les termes utilisés sont significatifs; les premiers qui sont les codes de déontologie traditionnels s'adressent aux personnes : médecins, architecteso experts-compta- 89 90 DRorr ET DÉoNToLoGIE bles... alors que les seconds concement une activité économique : on parle du code de la publicité, de la sous-traitance, de la franchise ... Si la question de la nature, de la portée et de I'effectivité des règles se pose dans tous les cas, les éléments de réponse divergent. l) L'autorégulation des professions libérales est traditionnelle, même si les formes ont changé: la formalisation des règles de déontologie date de 1'organi- sation des professions par le gouvernement de Vichy qui a confié aux ordres professionnels la mission d'élaborer et de veiller à I'application des règles déontologiques. De fait, les codes de déontologie des professions libérales sont généralement élaborés par les instances ordinales. Ainsi en est-il du code de déontologie médicale publié par décret en date du 28 juin 1979. La publication par voie de décret ne doit pas masquer la réalité. Loin de ne formuler qu'un simple avis comme l'énoncent les visas du texte, le véritable auteur en est le Conseil national de I'Ordre des médecins qui puise son inspiration dans différentes sources (coutumières, jurisprudentielles ou syndicales)2s. L'<< enregistrement >) par I'autorité étatique marque néanmoins la dépendance de I'ordre juridique professionnel à l'égard de l'ordre juridique étatique. L'indépendance et la décentralisation sont plus importantes dans des profes- sions telles que la profession d'avocat où chaque barreau édicte les règles déontologiques dans le cadre de son règlement intérieur. Cependant, dans ce cas, l'absence de distance entre le pouvoir réglementaire et ses destinataires engendre le risque de clientélisme ; la concurrence, les amitiés et inimitiés entre professionnels peuvent influer sur le contenu des règles. L'autorégulation au sein de sociétés lrop restreintes a ainsi ses propres vices. Des mécanismes correcteurs tels que l'élection périodique des représentants de la profession 26 et la uploads/S4/ droit-et-de-ontologie.pdf

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  • Publié le Jul 10, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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