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HAL Id: halshs-00864329 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00864329 Submitted on 23 Sep 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Le droit local à Mayotte : une imposture ? Sophie Blanchy, Yves Moatty To cite this version: Sophie Blanchy, Yves Moatty. Le droit local à Mayotte : une imposture ?. Droit et Société, Librairie générale de droit et de jurisprudence : Lextenso éditions/L.G.D.J., 2012, 1 (80), pp.117-139. ￿halshs- 00864329￿ 1 Version auteurs (novembre 2011) d’un article paru en 2012, Le droit local à Mayotte : une imposture ?, Droit et Société, 80 (janvier-mars) : 117-139. LE STATUT CIVIL DE DROIT LOCAL A MAYOTTE : UNE IMPOSTURE ? Sophie Blanchy CNRS - Université de Paris Ouest Nanterre Yves Moatty Vice-président du Tribunal de Grande Instance, Saint Denis de la Réunion L'article 75 de la Constitution garantit que « les citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun […] conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé ». Une ordonnance de 20101 semble pourtant donner le coup de grâce au statut personnel de droit local à Mayotte, restée française après l’indépendance en 1975 des trois autres îles de l’archipel des Comores. Alors que la départementalisation de Mayotte est obtenue après cinquante ans de demandes incessantes, la suppression de facto de ce statut civil est perçue comme une atteinte grave à l’identité culturelle mahoraise. Mais, d’après le législateur, cette suppression n’a pas eu lieu. La question posée ici est de savoir si le statut civil de droit local a vraiment disparu à Mayotte. Si non, comment peut-on encore le définir aujourd’hui ? Si oui, y a-t-il eu imposture vis-à-vis de la population concernée ? Les réformes récentes, comparables à celles menées dans des pays musulmans, s’annonçaient de longue date. On mettra ici en question leurs méthodes par l’analyse des textes juridiques et des pratiques de terrain. Ce cas, qui illustre une situation postcoloniale, alimente en outre une réflexion sur ce qu’est le droit, sur les relations entre des textes produits par des acteurs politiques, ou transmis de plus longue date, et des pratiques produites par des professionnels et des usagers. Le législateur a du mal à définir, avec les outils du droit commun, les droits locaux progressivement identifiés dans les territoires colonisés. Il a tenté tardivement de prendre en compte les déclarations orales des professionnels locaux et les textes écrits invoqués mais a peu étudié les pratiques. Cet article s’appuie sur des enquêtes ethnographiques menées au sein de la population entre 1980 et 20102, considérant le droit tel qu’il est compris par les personnes et les familles, tel qu’il est appliqué par les cadis et par les juges de droit français; il s’appuie aussi sur la pratique effective du droit des affaires familiales au Tribunal de Première instance entre 2001 et 2010 ; et enfin, sur des 1 Ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 portant dispositions relatives au statut civil de droit local applicable à Mayotte et aux juridictions compétentes pour en connaître 2 Voir S. Blanchy, « Les Mahorais et leur terre: autochtonie, identité et politique », 1999 ; « Mayotte: française à tout prix », 2002; « Changement social à Mayotte», 2002 ; « Images coloniales de la société comorienne. Les raisons d’une méconnaissance durable », 2009. 2 textes : archives des cadis, lois et décrets métropolitains, archives judiciaires. On naviguera donc entre une ethnographie du droit comme pratique située3 et une histoire locale du droit comme norme, publiée sous forme de textes officiels, reflétant des rapports politiques complexes. I - HISTOIRE DU STATUT CIVIL DE DROIT LOCAL AUX COMORES Ce statut a été progressivement mentionné dans les textes juridiques coloniaux français, sans définition complète ; il s’appuie non seulement sur le droit musulman mais sur un droit coutumier oral présentant des variantes dans les quatre îles de l’archipel4. 1) UN PROBLEME DE DEFINITION Seuls quelques juristes en poste dans l’archipel s’intéressèrent à l’époque coloniale au droit local, dont l’élite lettrée comorienne occulta longtemps les aspects oraux non islamiques5. Deux magistrats ont cependant laissé d’importants travaux6 : Alfred Gevrey (1837-1907)7 et Paul Guy (1904-1984)8. Les premiers textes français sur ce statut aux Comores datent de 1934 et 1939. Le traité de prise de possession de Mayotte de 184l n’évoquait pas le statut civil. Il garantissait seulement aux habitants la propriété foncière des terres cultivées, à condition, fut-il précisé en 1844, de les immatriculer…. Un Tribunal civil et correctionnel jugeant selon la loi française fut créé dans la colonie de « Mayotte et dépendances » (comprenant Nosy-bé et Sainte-Marie, deux îles malgaches)9, et l’état-civil aussitôt introduit. Les juges locaux, c’est-à-dire les cadis musulmans à l’activité fort mal connue, subsistaient10. Dans les années 1860, le juge Gevrey ne vit que trois bureaux de cadis jugeant les affaires civiles des musulmans selon le droit coranique à Pamanzi, Mtsapere et Sada, mais nota qu’une bonne partie de la population était "idolâtre" (c’est par leur conversion à l’islam que les nombreux engagés africains s’intégrèrent). En principe, les indigènes pouvaient saisir en appel le Tribunal de première instance - bien que l’appel soit inconnu du droit musulman - si le président se faisait assister 3 Voir B. Dupret, « Droit et Sciences sociales. Pour une respécification praxéologique », 2010. 4 La définition du droit local a souvent été aussi peu précise que celle de la catégorie d’indigène produite au cours de la colonisation. L. Blévis, « Les avatars de la citoyenneté en Algérie coloniale ou les paradoxes d’une catégorisation », Droit et Société, 48, 2001. 5 S. Blanchy, « Images coloniales de la société comorienne… », 2009. 6 Citons aussi les notes inédites d’Henri Pobéguin, Résident de France à Moroni de 1897 à 1899, reprises par maints rapports coloniaux. Archives de la Bibliothèque municipale de Saint Maur des Fossés, Fonds Pobéguin. Voir S. Blanchy, La Grande Comore en 1898. Photos d’Henri Pobéguin, 2007. 7 A. Gevrey, Essai sur les Comores, 1870. Il fut juge à Mayotte de juillet 1866 à avril 1868, puis procureur à Pondichéry et en 1873 1er substitut du procureur général de Saint-Denis de La Réunion, avant de rentrer en métropole. 8 Nommé à Mayotte en 1932, Guy s’y trouve encore pendant la deuxième guerre mondiale. De 1947 à 1952 il est président du Tribunal de Première Instance de Dzaoudzi (Mayotte) ; en 1960 il part à Moroni (Grande Comore ou Ngazidja) où vient d’être créé le Tribunal Supérieur d’Appel, et en devient le premier Procureur de la République, puis le Président de 1963 à 1965, année de son départ à la retraite. P. Guy, Essai de chronique judiciaire sur Mayotte et les Comores, 1981, p 112. 9 Ordonnance du 10 juin 1844. 10 Ordonnance royale du 26 août 1847. 3 de deux assesseurs. Les juges coloniaux ne se prêtaient guère à cette procédure et seul Gevrey recevait quelques Mahorais. En 1896, le Code civil français fut étendu à Madagascar, nouvelle colonie, et à ses dépendances dont feront partie les Comores en 1912. En 1904, le tribunal de Mayotte devint compétent pour les trois autres îles11 placées sous protectorat depuis 1886. Mais les magistrats de carrière, nommés à Dzaoudzi dès 1855, furent remplacés, de 1917 à 1946, par de simples juges de paix à compétence étendue. La loi musulmane restait applicable au civil uniquement à Mayotte comme dans les autres Comores, et ne l’a jamais été au pénal sous régime politique français12. Un décret confirma en 1934 l’existence des tribunaux des cadis. Il leur était demandé de travailler par écrit mais on ne leur adjoint de greffiers que dix ans plus tard. En 1922, les Européens avaient identifié le Minhāj at-Tālibīn comme source du droit musulman utilisée par les cadis des Comores13 et le texte de 1939 considère ce texte comme un code civil14. A cette époque, la traduction d’ouvrages juridiques islamiques s’était multipliée dans les colonies grâce à l’impulsion de la faculté de droit d’Alger. Mais, comme pour l’Algérie, ces textes pluriséculaires occultaient l’évolution de la pratique et avaient un effet pervers de « réislamisation » juridique15. La référence au Minhādj a obnubilé la vision européenne du droit local qui méconnaissait à la fois son application pratique et celle des coutumes, et ce jusqu’à nos jours. Finalement, un texte de 1964 décrivant l’activité des cadis fournit une définition du statut personnel16 : - Article premier: « La justice musulmane connaît de toutes les affaires civiles et commerciales entre musulmans autres que celles relevant du droit commun. Les litiges entre Comoriens musulmans ayant conservé leur statut traditionnel sont jugés par les tribunaux des Qâdis, les tribunaux des Grands Qâdis (Qâdis-l-qodat17)…/… ». 11 Iles de Ngazidja (Grande Comore), uploads/S4/ droitlocalmayotte-v-auteurs.pdf

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  • Publié le Nov 25, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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