L a Déclaration universelle des droits de l’Homme, premier texte de caractère g
L a Déclaration universelle des droits de l’Homme, premier texte de caractère général et international concernant les droits de l’Homme, est l’aboutissement d’une longue gestation marquée par de multiples étapes, et, malgré son importance décisive, elle ne représente elle-même qu’un jalon dans une marche mondiale qui reste à poursuivre pour un plus grand respect des droits de l’Homme. Certes, son application laisse grandement à désirer, mais les organisations non gouverne- mentales peuvent s’appuyer sur elle pour contraindre les Etats à l’observer et exiger la mise en place d’institutions ou d’initiatives qui rendraient plus effectif son respect. Ce texte, adopté le 10 décembre 1948 à Paris par la majorité des Etats qui composaient alors la toute jeune Organisation des Nations unies, même s’il n’a pas le caractère contraignant d’un traité, reste plus d’un demi-siècle plus tard un instrument essentiel pour la protection des droits et des liber- tés. Sa naissance est liée à moment de l’Histoire, au choc qu’a été, au len- demain de la Seconde Guerre mondiale, la découverte des hor- reurs auxquelles avait conduit l’ab- sence de règles internationales relatives au respect des droits de l’Homme qui s’imposeraient aux Etats. En effet, la création de la Société des nations (SDN) après la Première Guerre mondiale, si elle marquait un premier pas dans la tentative d’organisation de la com- munauté internationale, ne s’était accompagnée d’aucune référence ni obligation en matière de droits de l’Homme; même si on lui doit des avancées positives dans ce domaine, comme l’adoption en 1919 d’une Charte du travail (dans le cadre du Bureau international du travail créé sous ses auspices), celle, en 1924, de la première Décla- ration des droits de l’enfant, ou encore celle, en 1926, de la Conven- tion internationale sur l’esclavage. L ’heure était plutôt à l’affirmation du principe de souveraineté des Etats, qu’on n’était pas prêt à voir limités par la nécessité pour eux de se plier à des principes supé- rieurs et universels concernant l’é- galité des individus, quels que soient leur origine, leurs croyan- ces et leur sexe et le rejet de toute discrimination raciale. Aussi, faute d’obligation de respecter des prin- cipes fondamentaux s’imposant aux Etats,la SDN est restée impuis- sante quand, par exemple, en sep- tembre 1933, les représentants de l’Allemagne de Hitler opposèrent aux plaintes de leurs victimes contre leurs pratiques barbares l’ar- gument selon lequel «charbonnier est maître chez soi», c’est-à-dire l’idée que la souveraineté natio- nale ne connaît aucune limite. Ce n’est qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale que la découverte des horreurs du nazisme, dont nul n’avait imaginé l’ampleur, a fait naître la conviction que le respect des droits de l’Homme devait être affirmé par un texte à vocation uni- verselle pour que le monde ne reste pas totalement démuni face aux futures menaces de génocides et autres violations des droits des individus. Dès avant la fin du conflit, les pays alliés, qui se dési- gnèrent comme les « nations unies», jouèrent un rôle moteur. Le 6 janvier 1941, avant même l’en- trée en guerre de son pays, le pré- sident Roosevelt prononçait devant le Congrès des Etats-Unis son dis- cours dit « des quatre libertés » (liberté d’expression et de culte, de vivre à l’abri du besoin et de la peur), où il dit une phrase que l’on retrouverait presque mot pour mot dans le deuxième paragraphe de la Déclaration universelle, selon laquelle «la méconnaissance et le mépris des droits de l’Homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’huma- nité».Sept mois plus tard, le 14 août 1941, la Charte de l’Atlantique, signée par le président Roosevelt et le Premier ministre anglais Wins- ton Churchill, énonçait le droit à la liberté et à la démocratie et sou- lignait qu’une victoire sur le nazisme entraînerait le «couron- nement des droits de l’Homme». Elle servit de base à une «Déclara- tion des Nations unies» préparée par les Etats-Unis et la Grande-Bre- tagne, le 1er janvier 1942, et à laquelle ont souscrit ensuite vingt- six Etats. Le président Roosevelt employait déjà l’expression «nations unies» lors de la confé- rence de Dumbarton Oaks qui a réuni, d’août à octobre 1944, les représentants de la Chine, des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union soviétique. Elle fut reprise lors de la conférence internatio- nale de San Francisco qui s’est ouverte le 25 avril 1945, peu avant la capitulation de l’Allemagne, alors que la guerredurait encoredans le 4 • SUPPLÉMENT AU N°139 D’HOMMES & LIBERTÉS • JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2007 SUPPLÉMENT AU N°139 D’HOMMES & LIBERTÉS • JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2007 • 5 Un texte essentiel dont l’application laisse à désirer La Déclaration universelle des droits de l’Homme L’impuissance de la Société des nations René Cassin Né en 1887 à Bayonne de parents juifs (sa mère, née Dreyfus, était d’origine alsacienne, et son père descendait de Juifs italiens établis à Nice), René Cassin a suivi passionnément, adolescent, les échos de l’affaire Dreyfus. Une fois passé son baccalauréat en 1904, au lycée Masséna à Nice, il fait des études de droit et d’histoire à Aix-en- Provence. «S’il n’y avait pas eu l’affaire Dreyfus, j’aurais peut-être choisi la carrière militaire», racontera-t-il. En 1914, malgré de brillants résultats à l’école des officiers de réserve pendant son service militaire, c’est comme simple soldat qu’il est mobilisé. Gravement blessé en octobre 1914, au bras, au flanc et au ventre, il se retrouve en 1916 chargé de cours de droit à Aix-en- Provence et à Marseille. Il participe à la fondation d’une des premières associations de victimes de la guerre, l’Union fédérale des mutilés et veuves de guerre. Membre de la Ligue des droits de l’Homme, il collabore au Bureau international du travail fondé à Genève sous l’égide de la Société des nations et s’oppose à toute récupération nationaliste de la cause des anciens combattants. Plusieurs fois candidat à des élections sous l’étiquette du parti radical, favorable en juillet 1936 à l’aide au gouvernement républicain espagnol et hostile, deux ans plus tard, aux accords de Munich par lesquels la Grande- Bretagne et la France cédaient devant Hitler , il s’embarque pour Londres dès l’annonce de l’armistice en juin 1940 et y rejoint la France libre. Prix Nobel de la paix en 1968, membre de la Cour européenne des droits de l’Homme, il menace d’en démissionner si la France ne ratifiait pas la Convention européenne qui lui sert de base. Pourtant, ce n’est que cinq ans après sa mort, en 1976, que la France la ratifiera entièrement, en 1981. En septembre 1933, un Juif allemand nommé Bernheim, originaire de Haute-Silésie, porte plainte devant l’Assemblée générale de la SDN «contre les pratiques odieuses et barbares des hitlériens à l’égard de leurs propres compatriotes réfractaires au régime». Il invoque la convention germano- polonaise de 1922, dite convention Calonder (du nom du diplomate suisse qui l’avait préparée), relative à la protection des minorités dans la région, qui donne aux particuliers le droit de porter directement leurs réclamations devant les instances internationales. Devant l’Assemblée générale de la SDN, Hitler envoie son ministre de la Propagande et de l’Information, Joseph Goebbels. Au plaignant qui explique comment les nazis persécutent les Juifs et les opposants au nazisme, il répond: «Messieurs, “charbonnier est maître chez soi”. Nous sommes un Etat souverain; tout ce qu’a dit cet individu ne vous regarde pas. Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes et de nos Juifs, et nous n’avons à subir de contrôle ni de l’humanité, ni de la SDN.» La Société des nations ne disposant d’aucun texte de référence en matière de droits de l’Homme qui se serait imposé aux Etats, elle est prise de court et en est réduite à adopter une recommandation sans aucun effet. Gilles Manceron Membre du Comité central de la LDH. 6 • SUPPLÉMENT AU N°139 D’HOMMES & LIBERTÉS • JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2007 SUPPLÉMENT AU N°139 D’HOMMES & LIBERTÉS • JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2007 • 7 Pacifique, et s’est achevée le 26 juin par la signature de la Charte des Nations unies, base d’une nouvelle organisation internationale ouverte à tous les Etats indépen- dants, texte qui annonce la Décla- ration universelle. Le préambule de cette Charte com- mence, en effet, par une déclara- tion solennelle de « foi dans les droits fondamentaux de l’Homme, dans la dignité et la valeur de la per- sonne humaine ». Son article 1er énonce que l’un des buts poursui- vis par l’organisation est de «déve- lopper, encourager le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales»(1). Tout en respec- tant la souveraineté des Etats, elle affirme l’idée d’un droit de regard des Nations unies en cas de viola- tion de la Charte, mais sans définir ni expliciter les droits fondamen- taux (2). C’est dans ce but que, conformé- ment à l’article 68 de la Charte,une Commission des droits de l’Homme a été créée en janvier 1946 par l’Assemblée générale des Nations unies (3). Présidée par Eleanor Roosevelt, veuve du pré- sident mort en avril uploads/S4/ dudh-texte-et-lexique.pdf
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- Publié le Mar 16, 2022
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