1 L’effectivité du droit constitutionnel de former un recours contre tout jugem
1 L’effectivité du droit constitutionnel de former un recours contre tout jugement au regard du principe d’instance unique Le problème L’article 21 de la Constitution congolaise (ci-après : l’article 21) garantit le droit fondamental de former un recours contre un jugement1. Cette disposition exclut la règle d’un seul jugement définitif ainsi que le principe d’instance unique. En conséquence, son effectivité exige que tout jugement soit susceptible de recours. Or les articles 153 al. 32, 155 al. 13, 161 al. 44, 1645 et 1686 de la Constitution prévoient les matières pour lesquelles les hautes cours congolaises statuent en « premier et dernier ressort ». Contre leurs jugements, comment peut-on user du droit constitutionnel de former un recours ? Autrement dit, comment peut-on rendre effectif l’article 21 à l’égard des arrêts des hautes cours ? 1 L’art. 21 al. 2 dispose : « Le droit de former un recours contre un jugement est garanti à tous. Il est exercé dans les conditions fixées par la loi. » 2 L’art. 153 al. 3 dit: « Dans les conditions fixées par la Constitution et les lois de la République, la Cour de cassation connaît en premier et dernier ressort des infractions commises par: 1. les membres de l'Assemblée nationale et du Sénat; 2. les membres du Gouvernement autres que le Premier ministre; 3. les membres de la Cour constitutionnelle; 4. les magistrats de la Cour de cassation ainsi que du parquet près cette Cour; 5. les membres du Conseil d'Etat et les membres du Parquet près ce Conseil; 6. les membres de la Cour des Comptes et les membres du parquet près cette Cour; 7. les Premiers Présidents des Cours d'appel ainsi que les Procureurs généraux près ces cours; 8. les Premiers Présidents des Cours administratives d'appel et les Procureurs près ces cours; 9. les Gouverneurs, les Vice-gouverneurs de province et les ministres provinciaux; 10. les Présidents des Assemblées provinciales. » 3 L’art. 155 al.1 a la teneur suivante: « Sans préjudice des autres compétences que lui reconnaît la Constitution ou la loi, le Conseil d'Etat connaît, en premier et dernier ressort, des recours pour violation de la loi, formés contre les actes, règlements et décisions des autorités administratives centrales. » 4 L’art. 161 al. 4 : « Elle (La Cour constitutionnelle) connaît des recours contre les arrêts rendus par la Cour de cassation et le Conseil d'Etat, uniquement en tant qu'ils se prononcent sur l'attribution du litige aux juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. Ce recours n'est recevable que si un déclinatoire de juridiction a été soulevé par ou devant la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat. 5 L’art. 164 : La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d'outrage au Parlement, d'atteinte à l'honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d'initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices. 6 L’art. 168: Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s'imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu'aux particuliers. Tout acte déclaré non conforme à la Constitution est nul de plein droit. 2 Pour répondre à cette question, nous aborderons successivement les notions d’effectivité et de jugement, avant de proposer l’harmonisation du droit de former recours contre tout jugement et le principe d’instance unique. 1. La notion d’effectivité de la règle de droit Une règle de droit est l’expression d’un pouvoir qui indique ce qui doit ou devrait être fait dans un cas donné ainsi que la conséquence que ce pouvoir attache à tel acte ou fait7. Son essence est d’être effective, c’est-à-dire applicable en cas de réalisation d’un état de fait qu’elle régit. L’effectivité d’une règle de droit, en tant que son caractère de produire l’effet qu’elle recherche, a un sens plus large qu’une simple application. L’effet recherché par une règle de droit dissuasive peut avoir comme conséquence sa non-application du fait de la non- réalisation de l’état de fait conforme à son énoncé de fait légal8. L’effectivité implique pour une règle de droit l’idée d’application concrète et d’observation de ce qu’elle prévoit. Elle en fait sa propre finalité : c’est la satisfaction légale. L’effectivité est à distinguer de l’efficacité. Celle-ci est le caractère de ce qui atteint le but poursuivi. L’efficacité d’une règle de droit suppose son effectivité tout en la dépassant. Vue sous cet angle, la règle de droit est un moyen pour atteindre une finalité extérieure à elle. Il s’agit ici d’une concrétisation juridique de l’utilitarisme. Une règle de droit est potentiellement efficace car elle prévoit des moyens pour atteindre son but : règlement du comportement humain et sanction en cas d’adoption d’un comportement contraire. On pourrait donc soutenir que l’effectivité est dans une certaine mesure au service de l’efficacité d’une règle juridique. De plus, à l’opposé de l’efficacité, l’effectivité peut s’appliquer à un droit subjectif et à une voie de droit. En effet, une règle de droit peut garantir un droit subjectif. Son effectivité est également celle du droit qu’elle garantit. Ce droit est effectif s’il peut être exercé par son titulaire lorsque les conditions sont réunies. Aussi, on peut en revendiquer le respect, se plaindre de sa violation et exiger l’annulation de l’acte préjudiciable devant un tribunal impartial et indépendant dans un recours qui doit non seulement être prévu par une loi mais aussi pouvoir être utilisé. 7 Sur la notion de règle de droit et son contenu, voir Y.LE ROY / M.-B. SCHOENENBERGER, Introduction générale au droit suisse, 2ème édition, Bruylant / L.G.D.J./ Schulthess, Bruxelles / Paris / Genève-Zurich-Bâle 2008, p. 5ss. 8 Voir G.CORNU, Vocabulaire juridique, 4e éd., Quadrige, Paris 2003, verbo « Effectivité ». 3 En définitive, l’effectivité d’une norme suppose, d’une part, que le comportement qu’elle prescrit est observé ou doit pouvoir l’être et celui qu’elle interdit est évité ou doit pouvoir l’être et, d’autre part, que l’on peut faire usage du droit subjectif qu’elle garantit, en utilisant un recours effectif. On est ici en présence d’une exigence du respect de la loi. En l’espèce, l’article 21 ne peut être considéré comme effectif que si l’organisation judiciaire permet de former un recours contre tout jugement rendu en première instance. 2. La notion de jugement L’interprétation conjointe du droit de former un recours contre un jugement et de la règle d’instance unique pourrait faire penser que le jugement au sens de l’article 21 ne désigne que les décisions des tribunaux inférieurs contre lesquelles il est possible de former un recours ordinaire. Selon cette hypothèse, les arrêts des hautes cours rendus en premier et dernier ressort ne seraient pas concernés. Cette interprétation rejoint le sens spécifique d’autrefois qui opposait jugement rendu par un tribunal inférieur à arrêt prononcé par une cour9, comme si ce dernier n’était pas un jugement. Aujourd’hui, on reconnaît qu’un arrêt est une espèce de jugement. En effet, le jugement est une décision rendue par une autorité judiciaire pour trancher le litige qui lui a été soumis10. La décision rendue sur recours ou en instance unique par une cour s’appelle arrêt. Ainsi, les cours d’appel et la Cour suprême de justice rendent des arrêts tandis que les tribunaux de paix et de grande instance prononcent des sentences qui ne sont pas des arrêts. Mais les deux types de décisions judiciaires sont des jugements. Les jugements des juridictions inférieures ne posent pas de problème en regard du droit de former un recours contre eux, car ils sont susceptibles de recours devant les instances supérieures. C’est plutôt les arrêts de hautes cours qui sont rendus en premier et dernier ressort. Leur caractère unique et définitif prive le citoyen congolais de son droit de former un recours contre ce genre de jugements. Ce qui porte une entorse au droit garanti par l’article 21. Dès lors, au lieu d’accepter cette limite constitutionnelle d’un droit fondamental, ne faudrait-il pas chercher à harmoniser ce droit avec la règle d’instance unique ? 9 G.CORNU, verbo « Jugement ». 10 Y.LE ROY / M.-B. SCHOENENBERGER, p. 319. 4 3. L’harmonisation du droit de former un recours avec la règle d’instance unique Point n’est besoin de rappeler qu’il y a un conflit entre le droit fondamental, garanti par l’article 21, de former un recours contre un jugement et la règle d’instance unique reconnue aux hautes cours congolaise. Les deux normes sont égales en vertu du même rang constitutionnel qu’elles partagent. Mais l’article 21 de la Constitution est une norme garantiste et le principe d’instance unique est une règle de compétence. Lorsqu’on examine l’intérêt protégé, le droit de former un recours contre un jugement doit avoir le pas sur la norme d’instance unique. Cette dernière protège l’économie de procédure et le respect de l’autorité en cause ; la première garantit un droit fondamental et protège ainsi non seulement le particulier, mais également uploads/S4/ effectivit-recours.pdf
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- Publié le Jan 22, 2021
- Catégorie Law / Droit
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