Cahiers de praxématique 32 | 1999 L'imparfait dit narratif L'imparfait dit narr

Cahiers de praxématique 32 | 1999 L'imparfait dit narratif L'imparfait dit narratif tel qu'en lui-même (le cotexte ne le change pas) The so called « narrative » imparfait... an illusion? Jacques Bres Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/praxematique/2852 DOI : 10.4000/praxematique.2852 ISSN : 2111-5044 Éditeur Presses universitaires de la Méditerranée Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 1999 Pagination : 87-117 ISSN : 0765-4944 Référence électronique Jacques Bres, « L'imparfait dit narratif tel qu'en lui-même (le cotexte ne le change pas) », Cahiers de praxématique [En ligne], 32 | 1999, document 4, mis en ligne le 01 janvier 2010, consulté le 08 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/praxematique/2852 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/praxematique.2852 Ce document a été généré automatiquement le 8 septembre 2020. Tous droits réservés L'imparfait dit narratif tel qu'en lui- même (le cotexte ne le change pas)1 The so called « narrative » imparfait... an illusion? Jacques Bres 1 Comment expliquer linguistiquement qu'une forme comme l'imparfait puisse produire en discours un effet aussi éloigné de sa valeur type que celui que la tradition nomme narratif? Pour le dire en un mot, forcément réducteur : comment rendre compte de l'imparfait là où on attend prototypiquement un passé simple, comme en (0) ? (0) Le 24 mai, un chat traversait devant le peloton et effaçait tout. Blessé, Marco Pantani ralliait l'arrivée à 15 km/h (Le Monde). 2 Par-delà les clivages théoriques, deux grands types de réponses radicalement opposées sont apportées : 3 – en termes de déformabilité : l'emploi narratif modifierait la valeur type de l'imparfait. On parlera alors, dans le cadre de la psychomécanique, de l'interception précoce de la variable de temps accompli ω (Guillaume 1929/1970 : 66-68, 1971 : 102-104, Joly 1996 : 198) ; dans le cadre de la théorie des opérations énonciatives, de la valeur aoristique de l'imparfait (Simonin 1984 : 182) ; dans le cadre de la pragmatique des temps verbaux, des traits [+ globalité] [+ progression] de l'imparfait narratif (par opposition aux traits [- globalité] [- progression] de l'imparfait type (Tasmowski-de Ryck 1985 : 62) ; dans le cadre d'un calcul compositionnel non atomiste de la signification, de conflit d'instructions qui se résout par une déformation (Gosselin 1996 : 200)... Bref, l'imparfait narratif ne semble pas un imparfait tout à fait comme les autres. Sa déformation est seule (ou presque) comptable de l'effet de sens narratif. 4 – en termes d'invariabilité : l'imparfait reste tel qu'en lui-même, l'emploi discursif dit narratif ne le change pas. Cette position est celle notamment de Damourette et Pichon (1911-1926/1970 : 207), de Klum (1961 : 185), de Leeman (1996 : 209), de Wilmet (1997 : 402). Reste alors à rendre compte – ce à quoi les auteurs précités ne se sont pas attachés – de l'illusion selon laquelle, dans ce type d'occurrence, l'imparfait semble modifier sa valeur. L'imparfait dit narratif tel qu'en lui-même (le cotexte ne le change pas) Cahiers de praxématique, 32 | 1999 1 5 L'hypothèse que je défendrai relève de ce second type d'approche : l'imparfait narratif n'existe pas (en tant que la valeur narratif serait un attribut, dans certains cotextes, de l'imparfait). En revanche il existe bel et bien un effet, ou plutôt des effets de sens – comme en témoigne la diversité des étiquettes par laquelle les linguistes ont baptisé cet emploi discursif : narratif, perspectif, de rupture, pittoresque... – qui résultent de l'interaction tendanciellement conflictuelle entre un cotexte qui demande une certaine représentation aspectuelle du procès et l'imparfait qui n'accède pas à cette demande. Dans la suite de ce travail, dans la mesure où mon but n'est pas d'analyser ces différents effets de sens (étudiés in Bres 1999a), je parlerai indistinctement et non spécifiquement d'effet de sens narratif ; comme je désignerai cet emploi discursif de l'imparfait par IpN (valant pour imparfait narratif). 6 Cette recherche prend appui sur un corpus de six cents occurrences d'IpN provenant de deux types de textes écrits2 : le texte journalistique (pour 1/3), le texte littéraire narratif3 (pour 2/3). Soucieux de ne pas partir d'une définition de l'IpN qui conditionnerait le recueil des données et donc les réponses apportées, je me suis fondé, pour la colllecte, sur mon seul sentiment linguistique : j'ai relevé comme IpN les occurrences d'imparfait qui me paraissaient stylistiquement marquées4, fortement saillantes. Si les faits ne parlent pas, ils permettent d'éviter quelques erreurs : comme celle, assez fréquente, de renvoyer des énoncés dans le ciel des étoiles en les stellarisant, alors que leur existence est bel et bien attestée sur la terre ferme des pratiques langagières : je les ai rencontrées. Ou bien celle d'indiquer comme indispensable à la production de l'IpN un élément qui statistiquement apparaîtra comme simplement fréquent. Ce sera donc l'occasion, au fil de l'analyse, de remettre en cause un certain nombre d'idées reçues circulant sur le fonctionnement de cet emploi discursif. 7 Je commencerai par expliciter l'analyse de l'imparfait sur laquelle je me fonde. 1. L'imparfait : approche aspectuelle et moniste 8 L'analyse que je propose se développe dans les cadres d'une approche praxématique critique de la théorisation guillaumienne du temps verbal (Bres 1997a). 9 En français, tout procès, quel que soit son mode d'action (Aktionsart), implique du temps5 (time) en langue, que les temps (tenses) (et les modes) verbaux ont pour fonction d'actualiser en discours. L'actualisation verbo-temporelle consiste à produire l'image- temps, c'est-à-dire à inscrire temporellement et aspectuellement le temps impliqué par le procès en langue, sur l'imaginaire ligne du temps que construit le discours, ce qui permet les opérations de référenciation. Je n'aborderai ici que la dimension aspectuelle de cette inscription, qui peut être représentée en français comme se réalisant (entre autres) : 10 – en seule incidence. Le temps impliqué par le procès s'inscrit sur la ligne du temps à partir de son terminus a quo jusqu'à son terminus ad quem comme seul accomplissement ; il n'est à aucun moment donné à voir comme accompli. A cette représentation aspectuelle correspond, entre autres formes, le passé simple. Cette analyse rend compte de ce que ce temps admet parfaitement l'explicitation, par un circonstant, des points d'incidence initial et terminal du temps impliqué (il pédala de 8h à 9h), mais ne peut se combiner avec un circonstant explicitant la partie accomplie du temps impliqué (*il L'imparfait dit narratif tel qu'en lui-même (le cotexte ne le change pas) Cahiers de praxématique, 32 | 1999 2 pédala depuis dix minutes). Ajoutons que le temps impliqué est représenté dans sa fluence : son inscription en seule incidence s'opère du même coup sur orientation ascendante, orientation selon laquelle le temps est vu se dérouler du passé vers le futur. Ce qui explique que le passé simple soit apte à porter la progression temporelle, qui est d'ordre ascendant [X > Y]6 : il est traditionnellement considéré comme un temps narratif. 11 – en conversion de l'incidence en décadence : le temps impliqué par le procès s'inscrit sur la ligne du temps comme transformation incessante de l'accomplissement en accompli, sans que soit donné à voir son terminus a quo (présupposé outrepassé) ni son terminus ad quem (présupposé non atteint). À cette représentation aspectuelle correspond, entre autres temps, l'imparfait. Cette forme admet parfaitement l'explicitation par un circonstant de la partie accomplie du temps impliqué (il pédalait depuis dix minutes) comme celle du terminus a quo qu'elle présuppose (il pédalait depuis 8 heures). Il lui est plus difficile – sans que pour autant cela lui soit impossible, Cf. infra 3.3. - de se combiner (en dehors de l'interprétation itérative) avec l'explicitation du terminus ad quem (il pédalait jusqu'à neuf heures) : c'est que l'imparfait présuppose que ce terme n'est pas atteint. La représentation du temps impliqué comme conversion de l'incidence en décadence l'inscrit du même coup sur orientation descendante, orientation selon laquelle le temps est vu se dérouler du futur vers le passé. Ce qui explique que l'imparfait soit peu apte à porter la progression temporelle7 : il est traditionnellement considéré comme un temps non narratif. 12 La position développée est donc résolument aspectuo-temporelle. Elle est de plus moniste : je fais l'hypothèse qu'en discours, l'imparfait ne dit jamais ni plus ni moins ni autre chose que ce que je viens de décrire comme sa valeur en langue. Le co(n)texte ne « déforme » pas, n'« enrichit » pas, n' « intercepte pas », ne « filtre » pas ladite valeur, qui reste telle qu'en elle-même (le discours ne la change pas8). Ce que je vais argumenter à propos de l'emploi discursif dit narratif. 2. L'imparfait narratif n'existe pas... 13 Prenons, à titre d'expérience, un même énoncé tout simple à l'imparfait : il/elle rentrait. Que me donne-t-il à voir ? Le temps impliqué par le procès rentrer en train de s'inscrire en traversée de la ligne du temps à partir d'un point de saisie situé dans le passé. Cet énoncé, je le « trempe » dans deux cotextes différents : (1) Au milieu d'octobre, Coriolis rentrait d'une longue promenade (...). En l'apercevant, Manette lui cria du coin du feu (...) (Goncourt, Manette Salomon). (2) Une demi-heure après uploads/S4/ imparfait-narratif.pdf

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  • Publié le Dec 23, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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