L’islam : source d’inspiration du droit marocain LAHOUSSINE BELLOUCH * Comme av
L’islam : source d’inspiration du droit marocain LAHOUSSINE BELLOUCH * Comme avaient dit Bouderbala et Pascon « le droit positif marocain actuel est un système complexe dans lequel on reconnait un petit nombre de strates juridiques déposées par l’histoire ».1 Effectivement, durant son histoire le Maroc a connu le passage de plusieurs dynas- ties musulmanes. Les Arabes venus de l’orient, porteurs de l’islam, ont cohabité avec les Amazighs (les berbères). Il a été l’objet, de 1912 à 1956,2 d’un double pro- tectorat espagnol au nord et au sud et français au centre. Cet état de choses a généré le développement d’un système juridique complexe et difficilement accessible. La complexité que revêt l’ordre juridique est dû à l’existence de nombreuses interférences entre plusieurs ordres normatifs différents. Cette complexité ne peut être comprise sans analyser les registres et répertoires juri- diques dont il s’est inspiré. Ce qui nous amène à étudier les sources du droit maro- cain (I) avant de se lancer dans le vif du sujet qui est l’influence du Droit musulman sur le droit marocain (II). JURISMAT, Portimão, n.º especial, 2014, pp. 15-31. * Professeur, Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, Université Ibn Zohr d’Agadir. 1 Bouderbala N.et Pascon P., Le droit et le fait dans la société composite, essai d’introduction au système juridique Marocain, B.E.S.M., n° XXXII-117-avril-juin 1970. V. aussi: Messaoudi L., Grandeurs et limites du droit musulman au Maroc, Revue internationale de droit comparé, Vol. 47, n° 1, janvier-mars 1995, pp. 146-154. 2 Le protectorat est le fruit du traité franco-marocain, conclu à Fès, le 30 mars 1912. Il dura jusqu’à 1956. LAHOUSSINE BELLOUCH 16 I Les sources de droit marocain Au Maroc, comme partout ailleurs, les sources de droit diffèrent d’une discipline juridique à une autre. Si la loi prend une grande place dans toutes les disciplines, chaque branche a ses sources spécifiques : en droit social, il existe les normes négo- ciées, en droit pénal, on tient compte du principe de la légalité, en droit commercial il est question d’usages, et en droit administratif, l’intérêt est porté à l’acte régle- mentaire et à la jurisprudence.3 Néanmoins, le droit musulman continue à être la source de référence du droit marocain bien que ce dernier connait d’autres sources d’inspiration qui sont la coutume et le droit français et européen. 1) Le droit musulman4 A l’origine, la charia désigne tout ce qui se rapporte à l’acte de tracer une voie vers une destination donnée. Ibn Al Athir a défini la charia comme étant « ce que Dieu a tracé comme préceptes à observer ». L’objet de ces préceptes est tout ce qui se rap- porte aux actes individuels du musulman dans ses rapports avec Dieu et avec ses semblables. Le droit musulman obéit à des principes qui sont connus sous l’appellation : ousul al fiqh. La première source du droit musulman est le Coran, qui est la parole de Dieu. La deuxième source est la Sunna, qui regroupe les dires ou Hadith et les faits du prophète Mohammed. Lorsque le Coran et la Sunna ne fournissent pas la solution d’une difficulté donnée, on fait appel au consentement unanime de la communauté (umma) musulmane (l’ijmaa), et si ce dernier fait défaut, on recourt au raisonnement par analogie ( kiyas) On est en présence de l’ijmaa lorsque la communauté musulmane guidée par ses savants, affirme que telle est la règle de droit .Tout se passe comme si cette commu- nauté avait été inspirée par Dieu. Le Kiyas est un procédé par lequel une règle posée par un texte – verset, hadith ou ijmaa – est appliquée à des cas non compris dans ces textes, mais commandée par la même raison (illa). 3 Voir les difficultés qu’il y’a à cerner les sources de doit privé et à enseigner l’introduction à l’étude du droit dans: Deumier P., La mutation des sources du droit privé et l’introduction à l’étude de droit, RDA, février 2012, p. 31 et s. 4 Pour plus amples détails sur le droit musulman, v. Milliot L., Introduction à l’étude du droit musulman, Paris, 2001; Blanc F.-P., Le droit musulman, connaissance du droit, 2e éd., 2007. L’ISLAM: SOURCE D’INSPIRATION DU DROIT MAROCAIN 17 Le droit musulman n’est pas un droit figé dans le sens où il encourage l’ijtihad qui est l’effort d’interprétation ou de pénétration dans le sens intime du coran et de la sunna pour y puiser la règle applicable au cas à résoudre. L’ijtihad a généré un amas de livres de doctrine (fiqh), qui est le fruit des siècles de l’interprétation des oulémas ou docteurs de droit musulman. Le droit Musulman intègre la coutume (ourf ) comme source de droit , ce qui permet une certaine spécificité juridique propre à chaque société. Un ensemble de règles juridiques dites al quawaid al fiqhia5 est le fruit d’ousul al fiqh, telles que :6 - la nécessité rend licite le réprouvé, - le proscrit pour soi devient licite en cas de nécessité, - le proscrit pour un tiers devient licite en cas de besoin, Le droit musulman permet de ne pas se conformer à certaines prescriptions lors- qu’elles s’opposent aux intérêts supérieurs qu’il convient avant tout de préserver. Le droit musulman peut tenir compte du bien commun (maslaha), et ce dans trois domaines :7 - le domaine qui n’est l’objet d’aucun texte de la charia, - le domaine où domine la diversité jurisprudentielle et d’opinions, - le domaine qui favorise la réalisation d’une réelle action de bien. Ces domaines peuvent faire l’objet de textes législatifs en prenant en compte l'intérêt général. 5 Pour plus ample connaissance sur l’application des règles juridiques dites al quawaid al fiqhia par les tribunaux marocains, consulter: Hamidi A., al quawaid al fiqhia et ses applications judi- ciaires en droit foncier et civil à la lumière du code des droits réels et du droit des obligations et contrats et du fiqh, éditions Najah, Al Jadida, 2013 (en arabe). 6 Le Conseil supérieur des ulama a cité 13 de ces règles dans sa réponse se rapportant à l’intérêt de libre examen, à savoir : - la nécessité rend licite le réprouvé ; - le proscrit pour soi devient li- cite en cas de nécessité ; - le proscrit pour un tiers devient licite en cas de besoin ; - le répréhen- sible (al-karahia) s’annule devant le besoin ; - le besoin est cause du licite originel ; - le besoin est cause de la permission ; - les besoins fondamentaux de l’homme ne sont pas des biens su- perfétatoires ; - le besoin requiert le recours au substitut en cas de défectuosité de la source ; - le besoin relègue le profit (al-manfaa) en cas de simultanéite ; - le besoin général s’assimile à la nécessité particulière ; - l’appréciation de la nuisance réprouvée est commandée par le besoin requérant la permission (al-idn) ; - l’ampleur du besoin détermine le degré du licite ; - la priva- tion n’abroge pas le droit d’autrui. V. dans ce sens : le Conseil supérieur des ulama, réponse du Conseil supérieur des ulama à la consultation du commandeur des croyants (amir al-moumi- nine), portant sur l’intérêt réputé de libre examen dans son rapport aux questions de la gestion des affaires publiques, 2007. 7 V. le Conseil supérieur des ulama, réponse du Conseil supérieur des ulama, op. cit. LAHOUSSINE BELLOUCH 18 Pour ce faire, il faut tenir compte de cinq fins (ou buts) supérieures (maqasids) que tout croyant se doit de conserver, les maqassids de la charia représentent l’esprit et la philosophie de du droit musulman. Ces maqassids ou buts sont : - La religion (din), - La vie ou l’âme (nafs), - La filiation ou la descendance (nassab), - La raison ou la dignité (aql), - Les biens ou la propriété (mal). 2) La coutume La coutume est une règle de droit qui découle d’une pratique ancienne, d’un usage qui est prolongé dans le temps.8 Les docteurs musulmans et les juges ont introduit la coutume «l’orf» dans l’ordre juridique Marocain en recourant au raisonnement par analogie «al kiyas» et en se basant sur le procédé du bien commun « al maslaha » et ce dans le but de résoudre certains litiges et affronter les cas nouveaux.9 Les domaines qui avaient fait l’objet de la coutume étaient la sécurité des tribus, les souks (marchés) hebdomadaires, les moussems (festivals) annuels, la distribution de l’eau, la gestion des greniers collectifs (igoudars), les rapports au sein des corporations artisanales, la répression des crimes et des délits, la gestion des parcours communs et les règles de gestion et d’entretien des lieux de culte.10 Au temps du Protectorat Français, certains juristes français, qui relevaient de l’école d’Alger, recommandaient les coutumes et les usages des tribus dans l’Afrique du nord et ce au détriment du droit musulman.11 8 Pour plus de détail sur ce sujet, v. Essaid M. J., L’introduction à l’étude du droit, 3e édition, 2000, collection connaissances, p.142 et s. 9 V. Idelfeqih A., Le droit Marocain entre le trio: la coutume, le chraa et la législation, uploads/S4/ l-islam-source-d-inspiration-du-droit-marocain.pdf
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- Publié le Jui 08, 2021
- Catégorie Law / Droit
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