Présente : L’Internet et le droit international privé : un mariage boiteux ? A
Présente : L’Internet et le droit international privé : un mariage boiteux ? A propos des affaires Yahoo ! et Gutnick Par Bertel De Groote Université de Gand avec la collaboration de Jean-François Derroitte Avocat au barreau de Liège Date de mise en ligne : 26 décembre 2003 Revue Ubiquité – Droit des technologies de l’information – n° 16/2003 L’Internet et le droit international privé: un mariage boiteux ? À propos des affaires Yahoo! et Gutnick Bertel DE GROOTE1 avec la collaboration de Jean-François DERROITTE2 1. Introduction 1. Le réseau mondial Internet jouera sans doute un rôle important dans l’éco- nomie globalisée du XXIe siècle. Cha- que entreprise se rend compte des atouts des technologies de communica- tion toujours en évolution. La force en est surprenante. La multiplication et l’importance des contacts et contrats transfrontaliers devient de plus en plus une évidence. Malheureusement cette médaille a aussi un revers. Sans en être conscient, l’entrepreneur qui veut pro- fiter des avantages commerciaux d’Internet, risque de s’empêtrer dans une réalité juridique complexe. Il sera ainsi confronté à des questions pré- alables de souveraineté. Les utilisateurs de ce réseau mondial sont donc ame- nés à s’interroger notamment quant à savoir: – quels juges, ou plus précisément à quel ordre judiciaire appartien- dront les juges qui pourront pren- dre connaissance des litiges concernant le contenu qu’ils hébergent par exemple sur leurs sites web; – de quel(s) ordre(s) juridique(s) ces sites doivent-ils respecter les règles de droit matériel qui per- mettront en outre de les juger; – quelle sera la valeur d’une déci- sion relative au contenu d’un site, de l’information publiée sur le web rendue par le juge d’un pays différent de celui dans lequel l’exécution du jugement devra être intervenir. Par conséquent les questions de compétence internationale (1), de con- flits de lois (2) ainsi que de reconnais- sance et d’exécution des jugements (3) méritent un examen attentif. 2. Raisonnons simplement et logi- quement. L’information accessible au public du réseau « Internet », disponi- ble de n’importe quel coin du monde, permet d’envisager un grand nombre de « points de rattachements » à divers ordres juridiques. En théorie, chacun des ordres juridiques avec lequel une connexion est créée lors de la consulta- tion d’un site Internet peut revendiquer l’exercice de sa souveraineté. Afin d’éviter un chaos, où règneraient des conflits (positifs) de souveraineté, les Etats ont fixé dans leur droit internatio- nal privé les contacts qu’ils estiment être suffisamment déterminants pour justifier l’application de leurs règles juridiques. 1. Université de Gand. 2. Avocat au barreau de Liège. Extrait de la Revue Ubiquité - Droit des technologies de l'information n°16, septembre 2003, pp. 61-82, reproduit avec l'aimable autorisation des Éditions Larcier, Bruxelles. Revue Ubiquité – Droit des technologies de l’information – n° 16/2003 62 3. Les caractéristiques d’Internet soulignent l’importance des questions précitées. Elles font appel à l’aptitude du droit international privé à gérer le trafic transfrontalier incité par les réseaux électroniques. Le citoyen, con- fronté aux effets « internationaux » de l’usage d’Internet, dont il est souvent peu conscient, risque de se perdre dans un labyrinthe juridique. La complexité, conséquence de l’extranéité d’Internet, ne lui permet guère de prévoir le cadre législatif auquel il doit conformer son comportement sur le web. Selon les critiques, le mariage entre l’Internet et le droit international privé est boiteux, puisque celui qui envisage l’usage d’Internet verra son comporte- ment confronté à toutes les législations du monde et doit se préparer à se défendre en justice n’importe où. Un entrepreneur qui veut user du web pour faire connaître son entreprise ou qui a l’intention d’installer un réseau de distri- bution sera contraint de procéder à des investissements majeurs en matière de conseil juridique. A quoi bon alors l’Internet? 2. Analyse critique des relations entre l’Internet et le droit international privé 4. Qu’en est-il de ce spectre ? Réflé- chissons-y à la lumière d’une décision récente de la Cour supérieure d’Austra- lie dans l’affaire Gutnick3 et des ensei- gnements de l’affaire Yahoo!, une affaire médiatique qui s’inscrit dans le débat. Dans un esprit critique la décision Gutnick pourrait être placée dans le prolongement de l’affaire Yahoo!, appellation courante d’une série de décisions françaises déjà vivement débattues et dont la dernière date du 20 novembre 2000. Il semblerait que la High Court of Australia ait définitive- ment mis un terme à une possible coexistence entre l’Internet et le droit international privé. Pour assurer sa via- bilité, l’Internet aurait par conséquent besoin d’une approche nouvelle par le droit international privé soucieuse des spécificités d’Internet. Raison de plus pour tenter une approche plus nuancée et constructive, prenant acte des pre- mières réactions – souvent négatives – sur cette jurisprudence. Cette contribution propose, humble- ment, quelques idées. 1. Yahoo! a. Le jugement 5. Tout d’abord, remémorons-nous l’affaire Yahoo!4 Yahoo! Inc. est un 3. Dow Jones & Company Inc. v. Gutnick, [2002] HCA 56 (10 december 2002), http://www.worldlii.org/cgi-worldlii/ disp.pl/au/cases/cth/high%5fct/2002/56.html?query=%7e+gutnick (20 décembre 2002). Pour un commentaire récent: A. VAN HOEK, « Australia’s High Court upholds local (private law) jurisdiction in case of defamation over the Internet », International Enforcement Law Reporter, 2003, 167-170. Sur la problématique, voy. aussi B. DE GROOTE, « Onrechtmatige daad en Internet - Een rechtsvergelijkende analyse van art. 5, sub 3 EEX- Verordening en de Amerikaanse bevoegdheidsregeling aan de hand van het internet » (tekst van de inleidende uiteen- zetting op de verdediging van het gelijknamige doctoraal proefschrift aan de Universiteit Gent, Faculteit rechtsgeleerd- heid), 24 janvier 2003, 15 p., ainsi que B. DE GROOTE, « Onrechtmatige daad en Internet - Een rechtsvergelijkende analyse van art. 5, sub 3 EEX-Verordening en de Amerikaanse bevoegdheidsregeling aan de hand van het internet » (doctoraal proefschrift, onder leiding van prof. dr. R., de Corte, verdedigd aan de Universiteit Gent, Faculteit rechts- geleerdheid), 24 janvier 2003, 441 p. Le lecteur peut se renseigner sur ces documents, ou trouvera de plus amples références, auprès d’un des auteurs (Bertel.DeGroote@UGent.be). 4. Y., POULLET, « L ’affaire Yahoo! Inc. ou la revanche du droit sur la technologie », Revue Ubiquité, 2001/9, pp. 81-86. Extrait de la Revue Ubiquité - Droit des technologies de l'information n°16, septembre 2003, pp. 61-82, reproduit avec l'aimable autorisation des Éditions Larcier, Bruxelles. Revue Ubiquité – Droit des technologies de l’information – n° 16/2003 63 prestataire de services d’Internet améri- cain très connu. La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (L.I.C.R.A.) et l’Union des étudiants juifs de France (U.E.J.F.), plus tard soutenues par le Mouvement contre le racisme et l’antisémitisme et pour la paix (M.R.A.P.), assignent Yahoo! en justice devant le tribunal de grande instance de Paris. Sur le site de vente aux enchè- res de Yahoo! (« Auction »), accessible en France par le site Yahoo.com, des memorabilia du nazisme sont mis en vente. En plus, Geocities, un service de Yahoo!, héberge des sites sur lesquels des extraits de Mein Kampf sont mis à la disposition du public. 6. Par jugement du 22 mai 2000 le juge français ordonne à Yahoo! Inc. de prendre les mesures requises afin de déconseiller au public, et même de ren- dre impossible, la consultation des sites nazis, absolument inacceptables du point de vue de l’ordre juridique fran- çais. Cette décision donne lieu à une discussion relative aux mesures qu’il s’impose dès lors de prendre pour res- pecter cette exigence. Plus tard, lors de l’audience du 24 juillet 2000, Yahoo! Inc. se défend en soulignant qu’il est techniquement impossible d'atteindre aux exigences prescrites par le juge Gomez. Bien qu’un collège d’experts, nommé par le tribunal, souscrive à cette thèse ou se montre du moins sceptique concernant l’existence d’un filtrage technique par- fait, le tribunal de grande instance de Paris confirme sa décision de mai 2000 par décision du 20 novembre 2000. 7. Précisément, l’inefficacité des mesures techniques ou plus exactement l’inexistence de mesures techniques totalement efficace, contribue à l’impor- tance juridique de l’affaire Yahoo!. Par conséquent, Yahoo! se trouve- rait dans une impasse. L’Internet rend la souveraineté française « sur-effective » ou « sous-effective ». Illustrons-le. Si Yahoo! Inc. a l’intention de se conformer au jugement du tribunal de grande instance, l’intermédiaire se voit obligé de rendre inaccessibles les sites contestés et ce d’où que provienne la contestation et que l’on souhaite consul- ter l’information. Le contenu n’est pour- tant pas nécessairement illégitime par- tout. Pensons in casu aux Etats-Unis où le contenu d’un site est protégé par le premier amendement à la Constitution, garantissant la liberté d’expression. En fait, l’ordre juridique le plus sévère ser- virait de norme minimale à respecter pour les sites hébergés sous le portail de Yahoo!. Il s’ensuivrait que le pouvoir technique d’Internet serait tout à fait contre-productif. A la suite des enjeux juridiques, le médium entraverait la communication au lieu de la stimuler. 8. Il est évident que la décision doit toutefois être lue et comprise en fonc- tion de la place du nazisme dans la mémoire collective européenne. La sen- sibilité du contenu n’a pas permis un réel examen et une analyse totalement neutre par le juge Gomez des argu- ments uploads/S4/ l-x27-internet-et-le-dip-un-mariage-boiteux.pdf
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- Publié le Fev 03, 2021
- Catégorie Law / Droit
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