ARTICLE ORIGINAL La judiciarisation de la notion de dangerosité The development

ARTICLE ORIGINAL La judiciarisation de la notion de dangerosité The development of dangerousness as a legal concept A. Taleb ATER droit pe ´nal et sciences criminelles, centre de droit pe ´nal, universite ´ Jean-Moulin Lyon-3, 15, quai Claude-Bernard, 69007 Lyon, France MOTS CLÉS Droit pénal ; Procédure pénale ; Dangerosité ; Définition ; Judiciarisiation ; Évaluation ; Traitement ; Effectivité ; Politique criminelle Résumé La notion de dangerosité a intégré le champ pénal et est aujourd’hui plus que jamais au cœur des politiques criminelles dont l’objectif principal est d’assurer la protection de la société. Toutefois, le caractère incertain de cette notion suscite des interrogations tant chez les professionnels du droit que chez les experts cliniciens. L’évaluation de la dangerosité étant imparfaite en raison entre autres de l’absence de définition légale de la notion ainsi que de l’interaction des conceptions criminologique et psychiatrique de la dangerosité, le traitement de celle-ci s’en trouve nécessairement affecté. Face à ces difficultés, le législateur a toutefois exprimé sa volonté de lutter contre la dangerosité en faisant le choix d’une politique pénale sécuritaire dont la conformité aux libertés individuelles peut poser problème. # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Criminal law; Criminal justice; Dangerousness; Definition; Legal concept; Assessment; Treatment; Efficiency; Criminal policy Summary Dangerousness as a legal concept has certainly been integrated into the criminal law and criminal justice systems. This concept appears to be a topical issue within criminal policies whose main purpose is to ensure the protection of society. Nevertheless, the unpredictable nature of dangerousness has caused controversy among both legal professionals and clinical experts. Due to the lack of a specific definition of dangerousness as a legal concept and the interaction of psychiatric and criminological conceptions of dangerousness, the assessment of the concept turns out to be unreliable and consequently impairs the capacity of the legal system in treating it efficiently. Facing these difficulties, the legislator has however expressed his will to fight against dangerousness by implementing excessive security measures that threaten individual rights and whose compliance with the rules of due process of law remains questionable. # 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction La notion de dangerosité est d’abord mise en lumière par les criminologues positivistes proposant un traitement distinct selon la dangerosité du criminel1. Deux auteurs ont marqué ce mouvement de manière significative. Dans un premier temps, à l’origine de ce courant, se trouve la thèse du déterminisme individuel défendue par Cesare Lombroso La revue de médecine légale (2012) 3, 4—13 Adresse e-mail : akila_ta@yahoo.fr. 1 Les auteurs positivistes proposaient en effet l’élimination des criminels-nés par la peine de mort ou la déportation perpétuelle, la ségrégation à perpétuité des criminels fous dans des asiles ou encore la mise en œuvre de mesures restitutives à l’égard des criminels d’occasion ou des criminels par passion. Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 1878-6529/$ — see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medleg.2011.11.001 qui, dans son ouvrage « l’homme criminel », prône le posi- tivisme anthropologique. Dans un second temps, Enrico Ferri développe la thèse du déterminisme social et prône ainsi le positivisme sociologique. La notion de dangerosité est ensuite reprise par l’école de la défense sociale nouvelle au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Elle sert alors de fondement à l’élaboration d’une justice pénale plus efficace à travers la diversification des sanctions et ce par la prise en compte de la personnalité du délinquant. Le droit pénal ne se fonde alors plus seulement sur le trouble objectif causé à l’ordre social mais il repose également, de manière plus subjective, sur la personnalité du délinquant et le niveau de dangerosité qu’il représente pour la société. Il existe aujourd’hui clairement et indéniablement un phénomène croissant et constant de judiciarisation de la notion de dangerosité qui consisterait en l’intervention, voire en l’immixtion ou l’ingérence des acteurs pénaux dans la gestion du phénomène de la dangerosité. Cette intégration a été réalisée de l’intérieur [1], la notion de dangerosité ayant été d’abord conceptualisée par la doctrine puis reprise par la jurisprudence avant d’être officialisée par le législateur. L’investissement grandissant des pouvoirs publics et du gouvernement dans la lutte contre la récidive y est pour beaucoup. Depuis quelques années, le phénomène de la récidive : préoccupation au cœur des débats ne saurait être appréhendé que par l’étude préalable de la dangerosité du délinquant. Ainsi, pour lutter contre la récidive et per- mettre l’élaboration d’une justice pénale efficace, le système répressif contemporain se doit non seulement de sanctionner la violation de l’interdit pénal symbolisé par le passage à l’acte, mais il se doit également d’éviter le renouvellement de ce dernier. Il faut donc prévenir la réci- dive. Et pour cela, il est un préalable indispensable : celui de l’évaluation de la dangerosité de l’individu. Mais la dangerosité, notion insaisissable dont la définition demeure incertaine, déroute le monde judiciaire. Ainsi, la judiciarisation de la notion de dangerosité ne s’est pas faite sans difficultés et emporte encore beaucoup d’interroga- tions. Quelle place occupe aujourd’hui la notion de dange- rosité en droit pénal ? Si la notion de dangerosité dépasse largement la sphère répressive liée au maintien de l’ordre public, elle est une notion fuyante et évolutive alors même que l’objet du droit pénal consiste à réprimer un comporte- ment pénalement répréhensible commis à un moment précis. Dans ce contexte, comment le droit pénal doit-il aborder le phénomène de la dangerosité ? Quelle politique criminelle le gouvernement doit-il insuffler afin de gérer le phénomène de la dangerosité sans que la justice pénale ne perde en légitimité ? Face à ces questionnements, il serait intéressant de s’interroger sur l’avenir de la notion de dangerosité particulièrement dans ses relations avec la matière pénale. Il est vrai que traditionnellement, la notion de dangero- sité fondée sur la très forte probabilité de commettre un acte infractionnel en raison de la personnalité de l’individu s’oppose à la culpabilité fondée sur la faute de l’individu compte tenu de l’acte infractionnel commis. S’agissant des sanctions pénales, à la peine visant à punir le coupable s’oppose généralement la mesure de sûreté visant à soigner la personne dont l’état dangereux est constaté ou dont la dangerosité est diagnostiquée, voire même pronostiquée. Ainsi, il serait possible d’identifier un droit pénal dont la tendance oscillerait entre culpabilité et dangerosité. Pour le citoyen dit « normal », le concept de culpabilité dominerait, la notion de dangerosité permettant simplement de compléter l’arsenal législatif. En revanche pour l’individu dangereux, le concept de dangerosité tendrait à dominer et à l’emporter sur celui de la culpabilité. Dans certains cas la dangerosité existerait même indépendamment de toute culpabilité. Si la dangerosité agit dans un premier temps comme complément de la notion de culpabilité, elle tend donc parfois à se substituer à cette dernière. Mais s’il est incontestable que la notion de dangerosité est au cœur des préoccupations de la politique criminelle actuelle en ce qu’elle génère des conflits de société gérés au sein même de l’enceinte judiciaire, la réalité est toutefois plus complexe. Les concepts de culpabilité et de dangerosité se recoupent et les objectifs de rétribution et de prévention spéciale peuvent se cumuler si l’intérêt général le justifie. Quoi qu’il en soit, qu’elle agisse comme complément ou substitut vis-à-vis de la notion de culpabilité, il apparaît essentiel que la notion de dangerosité puisse être maitrisée par le droit pénal, ce qui ne semble pas pour l’instant être le cas, compte tenu des difficultés rencontrées. En effet, la judiciarisation de la dangerosité implique que celle-ci puisse être évaluée et traitée par le droit pénal avec efficacité. Or force est de constater qu’un certain nombre d’obstacles apparaissent dans ces domaines. Ainsi, le manque d’effecti- vité constaté tant au niveau de l’évaluation que du traite- ment de la dangerosité par le droit pénal résulte d’un manque d’efficacité du dispositif légal introduit par ce der- nier qui ne permet pas d’appréhender aisément le phénomène de la dangerosité. Il serait donc intéressant, afin d’appréhender le phénomène de judiciarisation de la notion de dangerosité et pouvoir ainsi se positionner relativement à son intégration au sein du droit pénal, d’étudier dans un premier temps les critères ainsi que les techniques juridiques d’évaluation de la dangerosité (I) pour s’intéresser dans un second temps, aux solutions proposées par l’étude des moyens et donc des outils juridiques posés au traitement pénal de la dangerosité (II). (I) L’évaluation de la dangerosité en droit pénal Bien que l’évaluation de la dangerosité demeure pour certains un mythe [2], elle est rendue possible en raison de l’existence de critères légaux permettant à la justice pénale de détecter la dangerosité d’un individu (A). Si ces critères constituent un point de départ nécessaire dans l’évaluation des comporte- ments dangereux, ils n’apparaissent pas toujours suffisants en ce qu’ils n’offrent pas de certitude absolue quant à l’existence de cette dangerosité. En conséquence, la question de la capacité du système pénal à évaluer la dangerosité mérite d’être posée et permet de mettre en évidence les difficultés rencontrées en la matière (B). (A) Les critères légaux relatifs à l’évaluation de la uploads/S4/ la-judiciarisation-de-la-notion-de-dangerosite.pdf

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  • Publié le Dec 01, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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