VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.FR - 15/05/2020 11:14 | UNIVERSITE DE SAVOIE

VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.FR - 15/05/2020 11:14 | UNIVERSITE DE SAVOIE La lente évolution du statut international de l'individu en Afrique Issu de Revue du droit public - n°1 - page 277 Date de parution : 01/01/2020 Id : RDP2020-1-014 Réf : RDP 2020, p. 277 Auteur : Par Ibrahim Moumouni, Maître-assistant en droit public de l'Université de Tahoua (Niger) Chercheur associé au CREDESPO de l'Université de Bourgogne SOMMAIRE I. — L’AFFAIBLISSEMENT DE L’EMPRISE ÉTATIQUE SUR L’ÉVOLUTION DU STATUT INTERNATIONAL DE L’INDIVIDU EN AFRIQUE A. — La progression internationale du statut de l’individu en Afrique 1. L’ouverture du prétoire régional à l’individu en Afrique 2. L’avènement des chambres africaines extraordinaires B. — L’émergence d’une protection pénale internationale 1. La responsabilité de protéger les civils 2. Les poursuites pénales internationales domestiquées II. — LES RÉSISTANCES ÉTATIQUES À L’ÉVOLUTION DU STATUT INTERNATIONAL DE L’INDIVIDU EN AFRIQUE A. — Les entraves étatiques à l’accès direct des individus à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples 1. L’exigence de la déclaration d’acceptation étatique 2. Le retrait des déclarations d’acceptation ex tunc B. — Les refus étatiques de coopérer avec la Cour pénale internationale 1. Des refus de coopérer incompatibles avec le principe de la bonne foi 2. Des refus de coopérer contraires aux normes impératives du jus cogens Mettant l’accent sur les fins qu’ils poursuivent, le Professeur Koskenniemi écrivait que « les droits de l’homme sont comme l’amour, à la fois nécessaires et impossibles »1. Les États, tout en voulant se conformer aux exigences des instruments internationaux de protection des droits de l’homme, peinent dans leur mise en œuvre concrète, voulant toujours garder un pan de leur souveraineté au plan interne. Pendant longtemps, l’individu2, pourtant élément déterminant de l’État, a été exclu du champ réglementaire du droit international classique3. On le qualifiait même d’usager subalterne4 du droit international, du fait que les seuls véritables sujets étaient les États forts de leur souveraineté. Toutefois, avec le développement des mécanismes de protection des droits de l’homme à l’échelle internationale et régionale5 qui sont devenus désormais des normes transversales6, on assiste à un amenuisement, voire à une restriction du domaine réservé de l’État qui porte sans aucun doute un changement important dans la structure de l’ordre juridique international7. En effet, depuis l’adoption de la Charte des Nations unies en 1945, on a pu distinguer deux modèles de droit international qui rivalisent. D’une part, l’ancien modèle classique qu’on a pu qualifier d’étatiste ou westphalien selon l’expression de la Professeure Tourmet-Jouannet8, prônant une conception purement souverainiste de l’État et, d’autre part, le nouveau modèle érigeant les individus en véritables sujets de droit international9. Ce qualificatif, osé pour les individus, n’est pas récent en droit international10. Ainsi, la Cour permanente de justice internationale a, dès 1928, posé les conditions selon lesquelles les individus peuvent se voir accorder la personnalité internationale dans un avis rendu le 3 mars 192811. Pour la Cour, rien ne s’oppose, ou ne fait obstacle à ce que les particuliers soient reconnus comme sujets de droit international si telle est l’intention des États parties à un accord12. Défini en droit international13 comme une « entité susceptible d’être titulaire de droits et d’obligations trouvant leur source dans l’ordre international »14, le sujet de droit international se caractérise par sa diversité quant à la nature et l’étendue des droits et obligations susceptibles de le caractériser15. C’est en ce sens que la Cour internationale de justice a insisté sur le fait que dans un système juridique donné, les sujets de droit ne sont pas nécessairement identiques quant à leur nature ou à l’étendue de leurs droits16. On se retrouve ainsi entre deux modèles de droit qui s’entrecroisent. L’ancien modèle fondé sur la souveraineté étatique résistant au nouveau modèle 17 qui entend ériger l’individu en sujet de droit international afin de l’émanciper de la tutelle étatique, à telle enseigne qu’on a pu parler de « l’ère du décloisonnement »18. Mieux, il est question de privilégier les droits de l’homme sur les droits de l’État souverain, d’octroyer à la personne humaine le statut d’un véritable sujet de droit international19. Ce paradoxe est d’abord constaté en Europe où le droit international général influence le droit international des droits de l’homme et inversement20. On assiste alors insidieusement à ce que nous qualifions « d’obsolescence programmée » de la tutelle étatique sur l’individu21 qui échappe de plus en plus à son emprise22. Les États tout en acceptant progressivement l’émergence de l’individu comme sujet de droit international, perçant ainsi « l’écran étatique et [modifiant] la structure du droit international »23, ont du mal à céder une quote-part de leur souveraineté pour assurer l’effectivité totale de la protection de l’individu. Or, comme le note la doctrine, l’effectivité de la norme juridique constitue la condition nécessaire de l’existence même de l’État de droit24. Un tel phénomène est particulièrement ressenti dans les jeunes démocraties africaines où le peuple tente de s’émanciper de la dictature des régimes autoritaires en s’appuyant sur le libéralisme des droits de l’homme. Mais il n’est pas sans conséquences sur la souveraineté de ces États qui tentent, au nom du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, de résister aux assauts d’un nouveau modèle de droit international qui se veut de plus en plus dominant25, même si certains de ces États ont intégré ces droits de l’homme dans leur constitution 26. Pourtant la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples avait été conçue comme une réponse à l’individualisme des droits de l’homme en situant cet individu dans une 1/11 communauté populaire, d’où le rajout du terme « Peuple » pour signifier que ces droits ne sont pas qu’individuels27. La résistance des États africains face à ce nouveau modèle qui n’est pas neutre 28 – puisqu’il impose un type de traitement des individus compatible avec les exigences de la démocratie libérale et l’État de droit –, se concrétise soit par un rejet idéologique sur la base d’un droit imposé ou importé, soit par un refus délibéré de coopérer avec les juridictions internationales comme la manifestation d’une souveraineté politique. Cette dernière est presque systématiquement brandie par ces États, dès que leurs visées politiques « se heurtent ou ne peuvent pas être conciliées avec le droit international en vigueur »29. Il en va ainsi de la recrudescence du refus de coopérer avec la Cour pénale internationale 30, voire de la menace de retrait du Statut de Rome par certains États africains31. L’impossibilité d’aller jusqu’au bout de la logique de l’effectivité de la protection des droits de l’homme est inhérente à tous les États souverains. Là où les États africains entendent se libérer de la conquête et de la domination étrangère au nom de leur souveraineté, les individus eux, en revanche, réclament les droits de l’homme – conquête interne – contre l’autoritarisme et l’arbitraire des autorités politiques. Cette contradiction vient du fait que les États entendent garder une souveraineté indéterminée, c’est-à-dire une souveraineté-liberté, alors que les mécanismes de protection des droits de l’homme ne se concilient qu’avec la souveraineté fonctionnelle, c’est-à-dire une « souveraineté fonctionnalisée, ordonnée autour de certaines fins humaines qu’elle se doit de réaliser et pouvant aller jusqu’à l’instauration d’un État de droit »32. Avec les droits de l’homme, on assiste désormais à la limitation de la puissance étatique pour plus de libertés individuelles, limitant aux États l’exercice abusif de leur souveraineté33. La relation tumultueuse existant entre l’ordre juridique interne et l’ordre juridique international – notamment avec l’avènement des droits de l’homme – est une relation à la fois de coexistence mais aussi de concurrence puisque les deux ordres sont amenés à s’imposer aux mêmes sujets dans une même relation sociale, ils sont dès lors condamnés à une coopération de loyauté34. L’évolution du droit international par le biais des mécanismes de protection des droits de l’homme en Afrique, n’est-elle pas de nature à conférer progressivement et timidement la qualité de sujet du droit international à l’individu en Afrique ? Entre un droit international émergent qui tend à extirper l’individu de son statut interne et la réclamation d’une conception classique de la souveraineté défensive35 de la part des États africains, l’émancipation de l’individu en Afrique ne s’avère-t-elle pas étroite, quand bien même nécessaire ? L’intérêt de cette étude est d’appréhender la réception de l’évolution du droit international à travers sa reconfiguration dans le contexte africain. Cette évolution produit, d’une manière exponentielle de nouvelles normes internationales qui ne cessent de remettre en cause les anciennes avec lesquelles elles sont appelées à coexister. Ce panjuridisme, quoique fragmentant le droit international, participe à sa complexification et traduit dans une certaine mesure le rétrécissement des marges de manœuvre étatiques sur l’individu en Afrique. Au demeurant, on peut constater d’une part, que les mécanismes régionaux et internationaux de protection des droits de l’homme constituent des éléments favorables à cette émancipation internationale de l’individu en Afrique (I) et que d’autre part, la résistance des États africains face à un ordre juridique international évoluant dans le sens du respect et de la protection pénale de la dignité humaine est de nature uploads/S4/ la-lente-evolution-du-statut-international-de-lindividu-en-afrique-15-05-2020-11-14-56.pdf

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  • Publié le Jan 10, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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