Revue de droit public algérien et comparé Volume 05, N 02/ 2019 9 Le Décret en
Revue de droit public algérien et comparé Volume 05, N 02/ 2019 9 Le Décret en droit algérien Rachid KHALOUFI Professeur de droit public à l’Ecole nationale d’administration. Résumé: le décret constitue un instrument juridique très puissant; il permet, parfois ou souvent, de réinterpréter totalement ou partiellement une loi, en insistant sur un aspect de celle-ci ou en écartant un autre. Le décret peut se traduire aussi en action politique concrète en indiquant des priorités. Cependant, cette latitude connait un certain nombre de limites. Mots clés: le décret - la constitution - la loi - le pouvoir réglementaire - le contrôle. Abstract: the decree is a very powerful legal instrument; it allows, sometimes or often, to completely or partially reinterpret a law, by insisting on one aspect of it or by discarding another. The decree can also be translated into concrete political action by indicating priorities. However, this latitude has a number of limits. Keywords: decree - constitution - law - regulatory power - control. Revue de droit public algérien et comparé Volume 05, N 02/ 2019 10 Introduction. Tout système juridique repose sur le principe de la hiérarchie des normes et de la hiérarchie des textes juridiques. Dans le système juridique algérien, cette hiérarchie s’articule, à l’instar d’autres systèmes1, en 4 niveaux. Le premier niveau est constitué par la Constitution située au sommet2 de la hiérarchie de l’ordre juridique3. Le deuxième niveau contient les traités que la Constitution4 place au dessus des lois. Le troisième niveau comprend : - les lois5 adoptées par le Parlement; - les ordonnances pris par le Président de la République. Le quatrième niveau renferme les décrets et les arrêtés. Il ne s’agit pas, dans ce travail, de faire une étude, quoique tout aussi importante, sur l’ordre juridique ou le système juridique, sur la hiérarchie des normes ou sur la hiérarchie des textes juridiques mais d’avancer quelques réflexions sur un texte juridique spécifique qui occupait, à l’origine, un rang et une place relativement secondaires mais qui a pris, à l’instar de certains systèmes juridiques, des dimensions qui reposent le questionnement sur des sujets comme la répartition entre le domaine de la loi et du règlement et donc le principe de la séparation des pouvoirs6 ou comme la place de l’exécutif dans le schéma constitutionnel7 ; il s’agit du « décret ». 1 Les systèmes, marocain, tunisien et français notamment 2 Cette place est clairement indiquée dans le préambule de la Constitution lors de son amendement en 2016 qui mentionne clairement « La Constitution est au-dessus de tous, elle est la loi fondamentale » 3L’expression «ordre juridique » est employée également au même titre que l’expression « système juridique » ou l’expression « ordonnancement juridique » ; Jacques Chevallier considère dans son ouvrage intitulé "L'Etat post moderne" (LGDJ, 2008), que "l'ordre juridique symbolise l'ordre social". L’ordre juridique se compose de la Constitution, des traités, des lois, de la jurisprudence et des règlements. 4Dans la Constitution de 1963 cette question n’est pas réglée ; dans la Constitution de 1976 l’article 159 dispose que les traités ont force de loi ; les constitutions de 1989 (article 123) et 1996 (article 132) ont précisé que les traités sont supérieurs à la loi. 5 Le terme loi fait l’objet d’une multitude de définitions qui s’appuient sur un ensemble de critères juridique, scientifique, social et théologique ; ce terme est employé dans la perspective de ce travail comme étant : - Au sens large, une disposition normative et abstraite posant une règle juridique obligatoire ; - Au sens étroit, une disposition prise par une délibération du Parlement. A ce propos, la Constitution de 1996 a introduit la distinction entre la loi organique et la loi ordinaire. 6 Le principe de la séparation des pouvoirs qui pouvait être déduit de la Constitution de 1989, a été expressément consacré dans la Constitution de 1996 lors de l’amendement de cette dernière en 2016 dans son article 15 qui dispose : « L'Etat est fondé sur les principes d'organisation démocratique, de séparation des pouvoirs et de justice sociale ». De ce fait, la séparation des pouvoirs passe du stade de principe constitutionnel à celui d’une Revue de droit public algérien et comparé Volume 05, N 02/ 2019 11 A ce propos, les autorités étatiques détentrices du pouvoir d’édicter des décrets, en l’occurrence le Président de la République et/ ou le Premier Ministre (ou le Chef du gouvernement), ont recours à cet outil pour la mise en place de leur politique, car le décret constitue un instrument juridique très puissant ; il permet, parfois ou souvent, de réinterpréter totalement ou partiellement une loi, en insistant sur un aspect de celle-ci ou en écartant un autre. Le décret peut se traduire aussi en action politique concrète en indiquant des priorités, une ligne à suivre ou une autre à écarter. Sa force provient de la spécificité qui lui est attachée ; il ne dépend pas des parlementaires, ni pour un vote, ni même pour un débat ; c'est l’auteur du décret qui décide seul de ce qu'il entend impulser comme dynamique. Cependant, cette latitude connait un certain nombre de limites. En effet, les Constitutions dont l’objet est d’organiser les pouvoirs, distribuent et délimitent les compétences entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire et aménagent les modalités de leurs relations et par conséquent le domaine du décret. Selon les systèmes juridiques des Etats, cette séparation des pouvoirs et plus particulièrement la répartition entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, encadre le domaine d’intervention du décret. Dans cette optique, le Chef de l'Etat ne peut pas décider d'une nouvelle loi ; le droit de créer une loi appartient exclusivement aux institutions parlementaires ; les « aménagements » que pourrait introduire un décret à une loi déjà existante ne doivent pas conduire à sortir du cadre voulu par cette loi, y compris de l'intention qui y était attachée ; cette tache d’encadrement et de contrôle est généralement dévolue aux Conseils constitutionnels8. En outre, dans les Etats ayant opté pour la dualité juridictionnelle, le juge administratif, participe à cette limitation en faisant valoir la primauté du principe de légalité. Malgré ces limites, le décret demeure le moyen privilégié utilisé par le pouvoir exécutif pour peser, notamment, sur l’activité juridique de l’Etat. D’ailleurs, l’étude sur le décret, principale manifestation juridique du pouvoir réglementaire exercé par le pouvoir exécutif, peut servir de mesure à l’organisation et au fonctionnement d’un Etat et notamment, à la délimitation et à la détermination du domaine de la loi et du domaine du règlement et par conséquent le poids de l’exécutif dans la gestion des affaires de l’Etat. Le décret en droit algérien qui s’inscrit largement dans cette problématique suscite une attention particulière dans la mesure où, s’il figure comme instrument juridique dans toutes règle constitutionnelle. Cette consécration est également mentionnée dans son préambule qui indique que : « La Constitution permet d'assurer la séparation des pouvoirs ». 7 Pour cela voir notamment, Mohamed Ridha Hammed, « Le pouvoir exécutif dans les pays du Maghreb : étude comparative » ; Centre d’études, de recherches et de publications, Tunisie 1995 8 La dénomination de cette institution diffère d’un Etat à un autre, les Constituants algérien et français utilisent l’expression « Conseil constitutionnel » alors que les Constituants marocain et tunisien utilisent l’expression « Cour constitutionnelle ». Revue de droit public algérien et comparé Volume 05, N 02/ 2019 12 les constitutions9 ayant régies l’Etat algérien depuis son indépendance en 1962, il a néanmoins servi, d’une manière uniforme, dans ces constitutions renfermant pourtant des projets sociétaux différents10. L’analyse du statut constitutionnel du décret algérien, notamment à partir de la Constitution de 1989, révèle, par ailleurs, une certaine influence, voire une influence certaine11 des principes adoptés par le Constituant français en la matière. En tout cas, si l’analyse12 du statut du décret en droit algérien révèle un décret régi par un statut constitutionnel commun (Chapitre 1) elle permet également et surtout de constater que le décret est un instrument exceptionnellement puissant entre les mains de leurs auteurs (Chapitre 2). Chapitre 1er : Le décret : un statut constitutionnel commun13. Le statut constitutionnel du décret ne présente pas d’aspect inédit, spécifique ou particulier en droit algérien ; il s’inscrit dans une sorte de continuité imposée par les contingences, les exigences et les contraintes de la période post-indépendance et qui, dans une large mesure, se perpétuent encore. Cet aspect se retrouve aussi bien dans ses principales caractéristiques (§1) que dans sa typologie (§2) malgré une légère évolution. 9 L’Algérie a connu 04 Constitutions: - celle de 1963, approuvée par référendum du 08/09/1963 et publiée au journal officiel n° 64 du 10/09/1963 ; - celle de 1976 approuvée par référendum du 19/11/1976 et publiée au journal officiel n° 94 du 24/11/1976 ; - celle de 1989 modifiée et complétée, approuvée par référendum le 23/02/1989 et publiée au JO n° 09 du 01/03/1989 ; - enfin celle de 1996 modifiée et complétée approuvée par référendum le 28/11/1996 et publiée au JO n° 76 du 08/12/1996. uploads/S4/ le-decret-en-droit-algerien.pdf
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- Publié le Jan 03, 2022
- Catégorie Law / Droit
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