1 Ecole Nationale Mission de recherche de la magistrature Droit et Justice LA J

1 Ecole Nationale Mission de recherche de la magistrature Droit et Justice LA JUSTICE EN PERSPECTIVES1. L’HISTOIRE DE LA JUSTICE: LA COLONISATION, VICHY, LA GUERRE D’ALGERIE. Sous la Direction de Jean-Paul JEAN Directeur de la mission de recherche Droit et justice Substitut général près la Cour d’appel de Paris. Par Gaëlle DEHARO Doctorante à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, associée au Centre de recherche sur la Justice et le procès ATER à l’Université de Paris XI-SCEAUX 1 Le présent document rend compte des travaux de chercheurs intervenus au cours des sessions de formation continue de l’ENM, les 30 et 31 octobre 2001 et 2 et 3 mai 2002. 2 Sommaire La magistrature coloniale, B. DURAND. Doyen de la faculté de Montpellier I……………………………..………………….4 La magistrature sous Vichy, A. BANCAUD. Chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent. – CNRS..……………………7 La magistrature à Lyon sous Vichy, C. FILLON. Chercheur au centre lyonnais d’histoire du droit………………………………….9 La justice en Savoie pendant l’occupation, M. BUSSIERE. Président du Tribunal de grande instance d’Annecy…………………………….12 Les magistrats pendant la guerre d’Algérie, S.THENAULT. Chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent. – CNRS……………………15 Les juridictions extraordinaires pendant la guerre d’Algérie. S.THENAULT. Chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent. – CNRS……………………18 Le Tribunal de l’ordre public. M. TOUZET. Magistrat. ……………………………………………………………………………22 3 La magistrature contemporaine est l’héritière d’une longue évolution nourrie des vicissitudes des périodes de crise ; entre mai 1940 et juin 1962, pas moins de 19 juridictions extraordinaires sont dénombrées. Les journées sur la Justice en perspective, proposées par la Mission de recherche Droit et Justice, ont permis d’appréhender l’évolution de la justice, produit d’une histoire riche, à travers les travaux historiques sur le fonctionnement de la justice. L’éclairage porte ici sur le fonctionnement de la Justice, son histoire et son héritage ; se pose, en effet, la question de la transmission aux magistrats de la mémoire de la magistrature dont la physionomie traduit la réalité sociale et politique et reflète un phénomène générationnel modelant la « famille judiciaire ». De la colonisation à la guerre d’Algérie, la magistrature est marquée par l’existence de régimes d’exception complétant, modifiant ou concurrençant les pouvoirs de droit commun des juges « civils2 ». Il s’agit ici de voir l’influence des périodes de crise sur l’évolution du contenu et du traitement du contentieux et, plus généralement, sur l’activité des magistrats. Les travaux sur la mémoire de la justice permettent d’apprécier les effets du recours à l’exception sur l’exercice des professions judiciaires. Dans cette perspective, les regards croisés de différents chercheurs se renforcent du témoignage d’un magistrat ayant siégé dans l’une de ces juridictions ; les différents travaux ici présentés apportent un éclairage à la fois pertinent et clairvoyant sur une question essentielle permettant à la magistrature de porter un regard différent sur son histoire, sur elle-même. 2 Dans les développements qui suivent, et pour respecter la terminologie des auteurs, le terme de justice « civile » n’est pas employé par opposition à la justice pénale, mais dans le sens spécifique de justice « non-militaire ». 4 La magistrature coloniale Bernard DURAND, Doyen de la Faculté de Droit de Montpellier I. La justice a été un élément fort de l’action coloniale, notamment par les échanges entre les colonies et la métropole qui ont enrichi et adapté les concepts du droit français3. Faut-il pourtant considérer que la Justice est entrée dans le champ d’une stratégie coloniale servant un dessein déterminé ? L’étude de la magistrature coloniale sous la IIIème République est particulièrement révélatrice car elle traduit les héritages successifs de la Monarchie et de l’Empire et prédispose la situation des quatrième et cinquième Républiques et, par conséquent, l’héritage de la magistrature contemporaine. L’étude de la magistrature coloniale suppose le renouvellement des approches traditionnelles. Il faut, dans un premier temps, mettre à l’écart une vision trop idéologique de la magistrature coloniale qui aurait accompagné une colonisation et un ordre colonial perçus exclusivement comme une forme de domination. Si elle permettait de prendre acte des différences, en installant notamment à côté du droit commun un droit coutumier, elle réduisait ces différences par la transformation du droit coutumier concilié avec le droit commun. L’évolution de la Justice n’était donc pas plaquée point par point sur l’évolution de la colonisation. Elle s'alimente de la position des magistrats qui agissaient dans le respect des grands principes du droit. Il faut également écarter une vision trop pragmatique de la justice coloniale qui se bornerait à transposer l’expérience française ancienne à toute l’étendue du territoire colonial. Les ressemblances fortes entre la métropole et les anciennes colonies ont disparu avec l’extension du territoire colonial et l’évolution des relations des populations de métropole et des colonies. Le regard porté sur la magistrature coloniale ne doit pas non plus être trop républicain. Dès 1880, les colonies n’étaient plus considérées comme des extensions assimilées à la métropole, mais comme des « possessions » coloniales impliquant l’adaptation du droit aux diversités de population et de territoire. Il faut enfin veiller à tempérer les exotismes ; les débats qui ont traversé la IIIème République ont affecté de la même façon la métropole et les colonies4. Problèmes d'inamovibilité, d'unicité du juge, d'extension des compétences, de coût, etc… Parallèlement, la justice coloniale était pourtant soumise à des contraintes spécifiques, notamment géographiques. L’étendue de l’empire colonial et l’installation des magistrats, assortis des difficultés de déplacement, constituaient des contraintes importantes qui affectaient le respect de la procédure. Ces difficultés se renforçaient d’une réticence de l’Etat français à prendre en charge le coût de la justice coloniale. Les magistrats se trouvaient donc confrontés à des difficultés géographiques, financières mais aussi ethniques qui leur imposaient de prendre en charge deux catégories de justice et deux catégories de justiciables éparpillés sur un territoire immense. La tâche était d’autant plus difficile que l’activité de la magistrature coloniale était entravée par l’absentéisme des magistrats rentrés en métropole. L’application du droit se 3 La justice et le droit : instrument d’une stratégie coloniale, Rapport remis à la mission de recherche droit et justice, 2001. – V. également, B. Durand, Les Avocats défenseurs aux colonies. Entre déontologie acceptée et discipline imposée in Rechtsprechung Max-planck Institut, Officium Advocati, 2000, p. 55-100. – Le Parquet et la Brousse, à paraître, même collection. Observer la justice coloniale, La Documentation française, à paraître. 4 J.-P. Royer, L’histoire de la justice, Puf, 3ème éd. 2002. 5 heurtait, au-delà des lacunes et des obscurités des textes, à la diversité des situations, des règles et des solutions applicables. I. Adapter les contraintes et les libertés coloniales. Installés dans les colonies, les magistrats devaient appliquer les textes élaborés par le Président de la République et les gouverneurs des colonies, qui détiennent également le pouvoir de promulgation. Placée sous l’autorité du Ministère des colonies, la justice coloniale était étroitement encadrée par les autorités politiques ; le gouverneur en était le chef et pouvait révoquer ou déplacer les magistrats. Ce pouvoir important de l’administration se doublait d’une intervention directe de l’administrateur-juge dans les jugements de première instance ou les sentences des tribunaux indigènes. Le fonctionnement de la justice coloniale traduisait un effort important pour quadriller le territoire colonial ; en pratique, l’activité des magistrats ne s’avérait pourtant pas satisfaisante. Les magistrats ressentaient une incompréhension, voire un mépris, de la part de la métropole. La vocation de la magistrature coloniale ne justifiait qu’une moindre proportion des orientations de carrières ; c’était l’attrait financier ou, de façon plus nuancée, la recherche d’horizons nouveaux, voire, de façon plus mesurée encore, la naissance sur les colonies qui justifiait les rares candidatures à la magistrature coloniale. L’étanchéité entre les magistratures métropolitaine et coloniale ne permettait pas aux magistrats coloniaux de revenir en métropole. Une fois affectés dans les colonies5, ils se révélaient magistrats ambulants, répartissant leurs carrières sur les différents territoires coloniaux 6. La date de la prise de fonctions restait théorique en raison de la durée des déplacements entre les différents territoires et de la difficulté à accéder à la loi pour laquelle ils ne disposaient que d'une documentation médiocre, voire inexistante. L’adaptation des magistrats à la culture du territoire se compliquait encore de la discontinuité dans le traitement des affaires ; les difficultés de déplacement affectaient les échanges entre les territoires coloniaux et la Cour de cassation dont la jurisprudence ne parvenait que difficilement aux Tribunaux locaux. Fonctionnant souvent à juge unique, les juridictions locales se trouvaient encore paralysées par les congés des magistrats en métropole : c’était un fonctionnaire ou un magistrat détourné de son poste, désigné par le gouverneur, qui venait alors assurer la mission de justice7. Le gouverneur recevait un pouvoir de fait important en désignant ces remplaçants ; il disposait, par ailleurs, du contrôle des avocats qu’il nommait, révoquait, sanctionnait et dont il fixait le nombre dans les colonies8. 5 Majoritairement, les magistrats étaient affectés en Afrique occidentale, équatoriale et Afrique du Nord. L’Asie comptait moins de magistrats, mais ils présentaient la particularité d’être peu mobiles, de pérenniser leurs fonctions. Il s’agissait de colonies riches, dont la connaissance du droit était plus accessible. Attirés par la rentabilité de l’avocature, uploads/S4/ la-memoire-de-la-justice.pdf

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  • Publié le Jui 28, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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