Autoras: HERMITTE, Marie-Angèle Título: La nature, sujet de droit?, en Revista

Autoras: HERMITTE, Marie-Angèle Título: La nature, sujet de droit?, en Revista Annales HSS, N°1. Ciudad y país: Paris, Francia Año: 2011 Editorial: Annales HSS La nature, sujet de droit ? Marie-Angèle Hermitte Où que nous soyons, indéniablement, l’ombre qui trotte derrière nous marche à quatre pattes. Clarissa Pinkola Estès Aux États-Unis, l’idée que les éléments constitutifs de la nature puissent être des sujets de droit et non des objets de droit 1 date d’un célèbre article de Christopher Stone qui, en 1972, posa la question : « Should trees have standing ? 2 ». Ce qui passa pour une « provocation » reste la référence originaire de mouvements de pensée divers, dont le point commun est de vouloir changer les règles du jeu des procès impliquant des questions environnementales. Confrontées à l’échec de leurs actions en justice, les associations constataient les obstacles techniques liés à la recevabilité de leur action, et une balance des intérêts jouant le plus souvent en faveur des activités économiques, des implantations humaines. Il semblait à C. Stone que, si l’on pouvait parler au nom des plantes, des animaux, de l’eau ou de l’air, les juges seraient peut-être plus sensibles à leur disparition. 1 - Je ne discuterai pas ici la manière dont le droit traite le concept de nature car c’est un immense sujet de recherche, en soi. J’utiliserai le mot dans son acception banale, y mettant l’ensemble de l’environnement et les éléments qui le composent en m’atta- chant presque exclusivement au moment vivant ; voir, toutefois, Alexandre ZABALZA, La terre, le droit. Du droit civil à la philosophie du droit, Pompignac, Éd. Bière, 2007. 2 - Christopher STONE, « Should trees have standing? Towards legal rights for natural objects », Southern California Law Review, 45-2, 1972, p. 148-157 ; on peut citer aussi Tom Regan ou Peter Singer. Plus récemment, un groupe de recherche a repris la problé- matique : Lynda WARREN (dir.), Wild law: Is there any evidence of earth jurisprudence in existing law and practice? An international research project, Londres, UK Environmental Law Association/the Gaia Foundation, 2009, à la suite des travaux de Cormac CULLINAN, Wild law: Protecting biological and cultural diversity, Foxhole, Green Books, 2003. Annales HSS, janvier-mars 2011, n°1, p. 173-212. 1 7 3 M A R I E - A N G È L E H E R M I T T E En France, Francis Caballero publiait en 1981 sa thèse sur la notion juridique de nuisance, qu’il terminait par une réflexion désabusée sur « l’indifférence au dommage écologique 3 ». Le dommage causé aux éléments non appropriés – air, eaux, faune et flore – n’entrait pas dans la définition des préjudices réparables, dont le droit exige qu’ils soient personnels et directs. Ici, point de personnes, donc point de préjudices : bêtes et plantes mouraient en dehors du principe de responsabilité. F. Caballero montrait que les solutions que l’on pouvait attendre du « droit à l’environnement » – qui n’était pas encore consacré 4 – seraient déce- vantes et, en s’appuyant sur C. Stone, affirmait que seule la reconnaissance de la capacité à agir en justice reconnue aux éléments de la nature pourrait un jour émouvoir le juge 5 ; il voyait dans la récente loi française de 1976, reconnaissant enfin l’animal comme « être sensible », un pas considérable en ce sens. En droit, les choses vont lentement. René Demogue, grand civiliste du début du XXe siècle, qui avait vu naître dans le chef des entreprises et des associations la « personnalité morale » combattue par tant de juristes de son temps, plaidait en 1909 pour que ses collègues reconnaissent enfin que le sujet de droit est un concept technique, pur point d’imputation de droits et d’obligations pouvant être défendus en justice 6. Pourtant, cette approche technique qui fait l’unanimité des juristes si on l’énonce ainsi est tout aussitôt oubliée. Les étudiants apprennent que les « personnes », généralement sans autre précision, se divisent en personnes phy- siques ou humaines et personnes morales, que l’on qualifia longtemps de « fic- tives ». Tout aussitôt, l’enseignement sépare l’étude des personnes physiques, qui relève des droits civil et pénal, de l’étude des personnes morales qui relève essentiellement du droit commercial et du droit public 7. Mais la qualité commune à ces deux catégories de personnes n’est jamais abordée. Or, si l’on veut avoir une vision achevée du système juridique, il faut se représenter dans une position première le sujet de droit 8, dont les personnes 3 - Francis CABALLERO, Essai sur la notion juridique de nuisance, Paris, LGDJ, 1981 ; la même année paraît un article de Caroline DAIGUEPERSE, « L’animal, sujet de droit, une réalité de demain », Gazette du Palais, 1, 1981, doctrine p. 60. F. Caballero revient un peu plus tard sur le comportement des juges dans un article célèbre, « Le Conseil d’État, ennemi de l’environnement ? », Revue juridique de l’environnement, 1, 1984, p. 3, avant que la même revue ne tente en 1995 un numéro spécial Le juge administratif, juge vert ? qui montre quelques progrès, encore peu convaincants. 4 - En France, il ne sera consacré qu’en 2005 par la Charte de l’environnement dont l’article premier énonce : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » 5 - Le livre de Florence BURGAT, Animal, mon prochain, Paris, Odile Jacob, 1997, est à cet égard stimulant. En effet, assurant la déconstruction du discours sur le propre de l’homme, il facilite l’émotion liée à la proximité. On notera que l’émotion est centrale dans le concept « Earth Law », note 2. 6 - René DEMOGUE, « Le sujet de droit », Revue trimestrielle de droit civil, 1909, p. 611 ; Id., Les notions fondamentales du droit privé. Essai critique pour servir d’introduction à l’étude des obligations, Paris, Éd. La mémoire du droit, [1911] 2000. 7 - Ce sont ensuite des disciplines particulières qui vont aborder les spécificités des syndicats ou des associations. 8 - Ou ses synonymes que sont la personne juridique ou la personnalité juridique. Sur le sujet de droit, voir le numéro qui lui est consacré dans Archives de philosophie du droit, 1 7 4 C A T É G O R I E S D E L A N A T U R E physiques et morales ne sont que des modalités d’existence situées à un niveau logique inférieur. Dans le cadre de cette conception technique, la qualité de sujet de droit peut être conférée en tant que de besoin, particulièrement pour tout ce qui est vivant, donc porteur de besoins propres à assurer la survie de l’individu, de la population ou de l’espèce, ce qui n’implique pas de les satisfaire tous 9. Mais dans des cas aussi divers que l’animal, la diversité biologique ou l’embryon humain, la reconnaissance d’une qualité de sujet de droit permettant de faire reconnaître par la justice des droits qui ne seraient évidemment pas tous ceux d’une personne humaine, dont l’eau, les poissons ou les orangs-outans auraient peu l’utilité, repré- senterait un enrichissement du monde juridique qui deviendrait plus chatoyant. Actuellement, même si le propos paraît moins exotique que dans les années 1970, il reste extrêmement marginal. Pourtant, quand on y regarde de plus près, on voit à l’œuvre de subtils mécanismes de personnification, quand bien même animaux, végétaux, éléments divers de la nature restent des choses : personnifica- tion substantielle, lorsque les textes et la jurisprudence dotent certaines choses de caractères qui étaient jusque-là réservés aux personnes humaines ; personnification procédurale lorsque des mécanismes d’action en justice donnent une voix plus ou moins perceptible à des non-humains. Les deux mécanismes sont à l’œuvre et se renforcent mutuellement. Pour passer de l’un à l’autre, on observera un dispositif de protection des espèces et des habitats. Au lieu de nous en tenir à son apparence banale de protection du patrimoine biologique, on montrera qu’il aboutit à un véritable partage du territoire entre humains et non-humains – assignation territo- riale qui est toujours au cœur des projets politiques. Peut-être, à l’issue de ce tour d’horizon, lirons-nous l’entrée en matière de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, avec un esprit neuf : parlant de « l’arme du droit », il se réfère à Machiavel affirmant qu’il n’y a « que deux manières de combattre, l’une par les lois, l’autre par la force : la première sorte est propre aux hommes, la seconde est propre aux bêtes 10 ». Le déploiement de force des hommes contre les bêtes et les plantes ne devrait-il pas nous inciter à passer, pour elles aussi, de la force bête à l’arme du droit ? 34, 1989. C’est surtout en droit international que les auteurs posent la question du sujet de droit, voir Francis-Amakoué Acakpo SATCHIVI, Les sujets de droit. Contribution à l’étude de la reconnaissance de l’individu comme sujet direct du droit international, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Anne-Laure VAURS-CHAUMETTE, Les sujets du droit international pénal. Vers une nouvelle définition de la personnalité juridique internationale ?, uploads/S4/ la-nature-sujet-de-droit.pdf

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  • Publié le Sep 15, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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