LA SOCIOLOGIE DU DROIT EN FRANCE : DE DEUX SOCIOLOGIES À LA CRÉATION D'UN PROJE

LA SOCIOLOGIE DU DROIT EN FRANCE : DE DEUX SOCIOLOGIES À LA CRÉATION D'UN PROJET PLURIDISCIPLINAIRE ? Mauricio García Villegas, Aude Lejeune Université Saint-Louis - Bruxelles | « Revue interdisciplinaire d'études juridiques » 2011/1 Volume 66 | pages 1 à 39 ISSN 0770-2310 DOI 10.3917/riej.066.0001 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudes- juridiques-2011-1-page-1.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Université Saint-Louis - Bruxelles. © Université Saint-Louis - Bruxelles. Tous droits réservés pour tous pays. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 04/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.87.113.80) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 04/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.87.113.80) R.I.E.J., 2011.66 1 La sociologie du droit en France : De deux sociologies à la création d’un projet pluridisciplinaire ? Mauricio García VILLEGAS Aude LEJEUNE* Abstract : La sociologie du droit en France, au même titre que la sociologie juridique dans n’importe quel autre pays, est déterminée par les conditions historiques dans lesquelles le champ juridique s’est construit, ainsi que par les relations qui se sont établies entre le droit, le pouvoir politique et l’État. Cet article propose de présenter les enjeux auxquels fait face la sociologie du droit en portant une attention particulière au contexte social et politique dans lequel elle s’est développée au sein de l’Hexagone. Cet article pose l’hypothèse d’une faible institutionnalisation de la sociologie du droit dans ce pays, que nous proposons d’expliquer par sa construction historique « à l’ombre du droit », ainsi que par l’éclatement des différents groupes, courants et tendances qui la composent à l’heure actuelle. * Mauricio García Villegas est professeur à l'Instituto de Estudios Políticos y Relaciones Internacionales (IEPRI) de l'Université de Bogotá, Colombie et Fellow à l'Institute for Legal Studies de l'Université du Wisconsin à Madison, États-Unis. Ses travaux récents portent sur le fonctionnement de la justice et la structuration du champ juridique en France, aux Etats-Unis et en Amérique Latine. Aude Lejeune est docteure en sciences sociales et politiques. Chargée de recherches à l'Institut des sciences humaines et sociales de l'Université de Liège, elle est Visiting Scholar au département d'Anthropologie du Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, USA. Ses travaux portent sur l'accès au droit des citoyens en Europe et aux États-Unis. La traduction a été réalisée par Mauricio García Villegas, Aude Lejeune et Anne- Sophie Pillot. Les auteurs tiennent à remercier vivement Jacques Commaille pour ses conseils et remarques, ainsi que Myriam Bayet pour le travail d'édition de cet article. Il n'en reste pas moins que les réflexions présentées ici n'engagent que leurs auteurs. © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 04/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.87.113.80) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 04/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.87.113.80) R.I.E.J., 2011.66 2 La sociologie du droit en France, au même titre que la sociologie juridique dans n’importe quel autre pays, est influencée par les conditions historiques dans lesquelles le champ juridique s’est construit, ainsi que par les relations qui se sont établies entre le droit, le pouvoir politique et l’État. La conception politique du droit qui s’impose pendant la Révolution française et qui s’accompagne notamment d’une codification et d’une mythification de la loi ont contribué à modeler le champ juridique et à influencer le contenu et la portée de la sociologie du droit. Dans les pays comme la France, la Chine ou le Mexique – au sein desquels les institutions proviennent d’une grande révolution sociale et politique – le droit est envisagé comme l’un des mythes fondateurs de la Nation. Par conséquent, les perspectives socio- juridiques qui, en général, comportent une dimension critique, rencontrent plus de difficultés à prospérer que dans d’autres contextes. Le droit y est envisagé comme une création politique révolutionnaire, c’est-à-dire qu’il découlerait du nouveau pouvoir en place. Pour cette raison, il est idéalisé et placé au-dessus ou en dehors de toute forme de débat politique quotidien. Ainsi, quand la loi est associée à ce mythe fondateur, quand elle est considérée comme l’expression de ce moment créateur de la société, les perspectives critiques tendent à être disqualifiées par les protagonistes du champ juridique. Un processus similaire se produit en temps de guerre internationale, lorsque toutes les forces nationales s’unissent pour défendre la société et ses institutions1. Au contraire, dans d’autres contextes qui ne connaissent pas la même histoire et les mêmes révolutions « fondatrices » de la société, tels que les États-Unis, le droit a tendance à être envisagé comme un mécanisme destiné à résoudre les conflits, les tensions sociales et les différends politiques. Les courants de critiques du droit peuvent alors s’y développer plus rapidement et deviennent partie intégrante du champ de la sociologie du droit. Cet argument ne permet toutefois pas d’expliquer entièrement le peu de crédit que les juristes et sociologues ont accordé au droit et la faible présence de théories critiques du droit en France. Les raisons semblent être plus complexes. Plusieurs facteurs peuvent être soulignés ici : l’absence d’une culture de lutte politique pour le droit et les droits telle qu’elle a pu se produire, par exemple, aux États-Unis ; 1 Ce qui explique, en outre, l’énorme difficulté d’instaurer un système de constitutionnalité des lois en France. © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 04/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.87.113.80) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 04/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.87.113.80) R.I.E.J., 2011.66 3 ensuite, le discrédit relatif des travaux durkheimiens – qui témoignent de l’importance des liens entre droit et sociologie (voir Lascoumes 1991) – au bénéfice d’autres courants de sociologie qui se sont différenciés de ces travaux durkheimiens en négligeant le rôle du droit dans la société ; enfin, l’importance dans la tradition scientifique et académique française accordée au respect des frontières disciplinaires et la difficulté qui en découle d’étudier des objets d’investigation pluridisciplinaire. Cependant, durant les deux dernières décennies, plusieurs phénomènes – tels que la globalisation du droit, les mutations du rapport à la norme, les mobilisations du droit à des fins politiques par les mouvements sociaux, les influences réciproques entre les traditions juridiques de Common Law et de Civil Law, ainsi que, de manière générale, le désordre et la complexité des normes qui caractérisent les régimes juridiques actuels – ont contribué à replacer les études socio- juridiques au centre de l’intérêt des chercheurs français. Cet article ambitionne de présenter les enjeux auxquels fait face la sociologie du droit française en portant une attention particulière au contexte social et politique dans lequel elle s’est développée. Pour ce faire, nous étudierons ses antécédents historiques (1). Nous expliquerons ensuite les différents groupes, courants et tendances qui la composent à l’heure actuelle (2). Nous terminerons en expliquant ses caractéristiques actuelles les plus saillantes (3)2. 1. Les pionniers de la sociologie juridique à l’ombre du droit A. Le droit chez les pères fondateurs La réflexion socio-juridique remonte au temps des pères fondateurs de la sociologie française et, en particulier, aux œuvres de Montesquieu et d’Alexis de Tocqueville (Lascoumes et Serverin 1986). Montesquieu (1689-1755) cherche à comprendre l’unité de la Nation (ce qu’il appelle l’ « esprit » de la Nation, c'est-à-dire la réunion de toutes les parties). Selon lui, l’unité de la Nation permet le maintien de l’unité des lois, c'est-à-dire, de « l’esprit des lois ». Un 2 Nous ne sommes pas les premiers à entreprendre cette démarche. D’autres essais de reconstruction de l’histoire de la SJF ont été faits par COMMAILLE (1989) ; ARNAUD (1991 ; 1998) ; NOREAU et ARNAUD (1998) ; SOUBIRAN-PAILLET (1994 ; 2000). © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 04/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.87.113.80) © Université Saint-Louis - Bruxelles | Téléchargé le 04/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 187.87.113.80) R.I.E.J., 2011.66 4 siècle plus tard, Alexis de Tocqueville (1805-1859), politologue et historien français influencé par l’œuvre de Montesquieu, propose quelques réflexions sur les relations entre droit et société. Bien que son œuvre ne soit pas reconnue par la sociologie du droit, son étude comparée de la démocratie en Amérique et en France le conduit à analyser le rôle joué par les lois dans le rétablissement de la cohésion sociale et dans la permanence du régime politique démocratique. À la différence de Montesquieu, qui conçoit les lois comme des variables dépendantes du monde social, Tocqueville les envisage comme des variables indépendantes et, de ce fait, s’intéresse à leur influence sur le système politique et sur la démocratie (Rocher 1996 : 157). À la fin du 19e siècle, à une époque où l’école de l’Exégèse exerce une influence quasi hégémonique dans le champ de la réflexion sur le droit et où les visions non dogmatiques du droit sont relativement rares, Gabriel Tarde (1843-1904) propose une réflexion nouvelle. Juriste, sociologue et philosophe français, il souhaite appliquer les lois de l’imitation, propres à la criminologie, et de la psychologie au domaine juridique. Son travail ne reçoit pas un accueil très favorable parmi les juristes parce que G. Tarde, de la même façon que les criminologues positivistes italiens – tels qu’Enrico Ferri ou Raffaele Garófalo –, se focalise sur le phénomène criminel. Ceci suppose d’adopter un point de vue individualiste, voire biologique, sans uploads/S4/ la-sociologie-du-droit-en-france.pdf

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  • Publié le Mai 19, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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