Imane BENMOHAMED : La terminologie traductionnelle juridique : Cas des pays du
Imane BENMOHAMED : La terminologie traductionnelle juridique : Cas des pays du maghreb Cnplet/MEN www.cnplet.net Timsal N Tamazight N°7, Septembre 2016 -1- La Terminologie Traductionnelle Juridique : Cas des Pays du Maghreb Par Imane BENMOHAMED Institut de Traduction et d’interprétariat, Université Alger-2- Cette contribution se propose de jeter une lumière sur la terminologie traductionnelle dans le domaine juridique en Algérie, au Maroc et en Tunisie, en se focalisant sur ses origines, ses caractéristiques et ses retombées. En effet, on distingue deux approches différentes en matière d’aménagement terminologique : « Une approche fondamentalement terminologique » pour ce qui est des langues dominantes et des pays développés qui se trouvent en situation de disponibilité terminologique, et « une approche principalement traductionnelle » relative aux langues dominées et aux pays en voie de développement, qui sont généralement en situation de « vacance terminologique » dans plusieurs domaines (Reguigui, 282.) C’est, à tout le moins, ce que semble affirmer F. Gaudin (p. 181) : En effet, les langues véhiculaires d’Afrique ont été longtemps tenues à l’écart du développement technologique, et les langues dominantes occidentales ont souvent été les sources privilégiées d’enrichissement linguistique. Imane BENMOHAMED : La terminologie traductionnelle juridique : Cas des pays du maghreb Cnplet/MEN www.cnplet.net Timsal N Tamazight N°7, Septembre 2016 -2- Devant une telle situation, il n’est donc pas étonnant de tenter de combler ce fossé technico-scientifique entre les pays développés et ceux en développement particulièrement par le biais de la traduction. « Dans ce cas, la traduction implique nécessairement une activité terminologique qui aura une fonction néonymique conduisant à l’élaboration du lexique technico-scientifique de la langue » (Reguigui, 287.) Sous cet angle, la traduction recouvrira plus qu’une fonction traductionnelle et sera l’outil de création et d’aménagement par excellence. Faisant partie de la deuxième catégorie, la langue arabe dans les pays du Maghreb, en particulier, opte ainsi pour la démarche traductionnelle comme moyen d’action au service de la création et de la formation des termes techniques et scientifiques. La traduction demeure, pour elle aussi, le moyen le plus rapide et le plus sûr pour créer ou enrichir son corpus lexical. Mais quelles sont les particularités de la terminologie traductionnelle dans ces trois pays, essentiellement en matière juridique ? Et quels sont ensuite ses résultats ? Afin de pouvoir répondre à cette problématique, l’accent sera principalement mis sur trois axes : les origines, surtout historiques et idéologiques, de la terminologie traductionnelle au Maghreb, ses propriétés dans le domaine du droit et, enfin, ses conséquences, aussi bien positives que négatives. Imane BENMOHAMED : La terminologie traductionnelle juridique : Cas des pays du maghreb Cnplet/MEN www.cnplet.net Timsal N Tamazight N°7, Septembre 2016 -3- Nul ne peut négliger, dans un contexte semblable à celui du Maroc, de la Tunisie ou de l’Algérie, l’impact de la culture juridique française sur la culture juridique maghrébine –justifié à la fois par la colonisation qui a su imposer, à des degrés divers, son système juridique dans presque tous les domaines, et par le manque, après l’indépendance, de cadres arabophones. En outre, c’est dans le « stock » de notions et de modes de raisonnement juridiques en langue française que vont puiser les nouveaux « techniciens » pour dire le droit. Ainsi, la situation linguistique au Maghreb qui se résume en un unilinguisme de façade, cache en réalité un bilinguisme de terrain. Tout au plus, les textes juridiques sont dans leur majorité conçus et rédigés en français, puis traduits vers l’arabe. C’est dans ces conditions complexes que la terminologie traductionnelle s’est imposée comme le seul moyen pour dire le droit contemporain en arabe et combler ainsi la vacance terminologique en matière juridique. Par conséquent, la traduction a eu pour mission principale d’élaborer un lexique juridique dans la langue arabe. Elle devient donc l’outil de création et d’aménagement par excellence. Avant de poursuivre, il nous semble opportun de commencer, par un bref rappel quant aux principaux facteurs engendrant cette terminologie traductionnelle en matière juridique dans ces pays. Les Origines De La Terminologie Traductionnelle Juridique Au Maghreb : Imane BENMOHAMED : La terminologie traductionnelle juridique : Cas des pays du maghreb Cnplet/MEN www.cnplet.net Timsal N Tamazight N°7, Septembre 2016 -4- D’abord l’occupation française de l’Algérie (1830-1962) et la mise sous protectorat français de la Tunisie (1881-1956) et du Maroc (1912-1956) ont eu un effet direct tant sur la langue arabe que sur la culture juridique locale. Vu la violence et la durée de la colonisation hexagonale distinguant l’Algérie de la Tunisie et du Maroc, la domination linguistique française est assurément beaucoup plus importante en Algérie que dans les deux pays voisins. Mais globalement, « c’est une différence de degrés, et non de nature » (Jerad, 527.) En fait, la politique linguistique de la France colonialiste était particulièrement claire en Algérie : officialiser la langue de Molière dans tous les domaines, tout en marginalisant puis en éradiquant l’utilisation de la langue arabe. « Le français marche avec nos soldats et puis quand ils auront vaincu, on consolidera cette victoire, car la langue demeure l’instrument le plus sûr de la colonisation » (Jerad, 527.) Afin de lutter contre ce colonialisme basé notamment sur le français comme moyen de domination, les mouvements de libération considéraient l’arabe comme le symbole de l’identité et de la souveraineté du colonisé. Ensuite, à l’indépendance, les Etats maghrébins ont opté pour l’arabe comme langue officielle et/ou nationale en excluant, formellement, le français. Ils ont opté également pour l’arabisation comme politique linguistique reflétant « la face culturelle de l’indépendance », selon Imane BENMOHAMED : La terminologie traductionnelle juridique : Cas des pays du maghreb Cnplet/MEN www.cnplet.net Timsal N Tamazight N°7, Septembre 2016 -5- l’expression de G. Grandguillaume (1983). L’arabe standard devait donc se substituer au français comme langue de travail dans l’éducation, les institutions étatiques, la justice, les médias, etc. Bref, dans la vie publique en général. Or, l’indépendance de ces pays, ainsi que l’application de cette opération intensive d’arabisation n’ont pas déstabilisé les positions du français ; au contraire, il reste prépondérant dans les organes officiels, l’administration, la culture, les médias et le monde de l’économie. Son enseignement a même quantitativement progressé du fait de sa place dans le système éducatif algérien. Cette langue « étrangère » demeure ainsi la langue dominante au Maghreb et celle de la réussite sociale. En décrivant la situation linguistique tunisienne, N. Jerad (2004) constate que « la politique linguistique d’arabisation telle qu’elle a été conçue, contrairement à son principe même de réhabilitation de l’arabe, a plutôt renforcé le français. » Concernant le Maroc – ce qui n’est pas moins valable pour les deux autres pays –, on remarque que la langue française y bénéficie, depuis la proclamation de l’indépendance, d’un statut particulier : « Ce n’est ni une langue officielle, ni une langue étrangère à proprement parler », puisqu’« elle est toujours présente dans la vie et la société marocaines non seulement comme résidu de la domination coloniale, mais aussi comme langue d’ouverture sur le monde occidental » (Benzakour, 70.) Imane BENMOHAMED : La terminologie traductionnelle juridique : Cas des pays du maghreb Cnplet/MEN www.cnplet.net Timsal N Tamazight N°7, Septembre 2016 -6- Bref, « les pays maghrébins n’ont jamais été aussi francophones qu’aujourd’hui » (Babadji : 208.) Objectivement, les séquelles de la France coloniale ne sont pas uniquement d’ordre linguistique. C’est en effet ce qu’affirme G. Grandguillaume : « La profondeur de l’implication du français dans la société maghrébine était telle que le changement de langue ne se réduisait pas à une opération linguistique, mais entraînait des conséquences sociales, politiques, culturelles (…). » A de telles conséquences, nous pouvons en rajouter d’autres ayant trait à la Loi. En effet, après plus d’un siècle de domination en Algérie, 75 ans en Tunisie et 44 ans au Maroc, un constat s’impose : L’influence de la culture juridique française sur les systèmes de droit maghrébins ne fait pas de doute tant sur le plan de la langue (acculturation linguistique) que sur celui du contenu même de ces législations (acculturation juridique). Une influence qui s’est traduite notamment par un bilinguisme juridique et un bi-juridisme, et qui se confirme par le recours de concepteurs maghrébins au « stock » de notions et de modes de raisonnement juridiques français. Pour compléter les principales causes ayant accéléré le recours à la traduction au Maghreb, il nous semble nécessaire d’aborder, enfin, la question du manque, variable d’un pays à l’autre, de cadres arabisants capables de concevoir et de rédiger les textes officiels de l’Etat contemporain postcolonial. Imane BENMOHAMED : La terminologie traductionnelle juridique : Cas des pays du maghreb Cnplet/MEN www.cnplet.net Timsal N Tamazight N°7, Septembre 2016 -7- Afin d’illustrer cette réalité, nous citons l’exemple de l’Algérie, la plus affectée par les effets du colonialisme. Sur les dix millions d’habitants recensés en 1962, seulement 300.000 Algériens savaient lire l’arabe littéraire (soit 3‰), contre un million pouvant lire le français (10‰) et six millions (60‰) le parler. « En 1963, on comptait 19908 enseignants dans le cycle primaire répartis comme suit : 3452 « Arabisants » et 16456 « Francisants ». Comparé aux uploads/S4/ la-terminologie-traductionnelle-juridique-cas-des-pays-du-maghreb.pdf
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- Publié le Jul 28, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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