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10/05/11 11:58 Le droit musulman en pratique : genre, filiation et bioéthique Page 1 sur 21 http://droitcultures.revues.org/1923 Droit et cultures Revue internationale interdisciplinaire 59 | 2010 : Actualités du droit musulman : genre, filiation et bioéthique Le droit musulman en pratique : genre, filiation et bioéthique Islamic Jurisprudence in Practice: Gender, Filiation and Bioethics CORINNE FORTIER p. 15-40 Résumés Les modifications récentes des Codes de statut personnel ou pénal de certains pays musulmans qui touchent en particulier au mariage, au divorce, à l’adultère et aux crimes d’honneur réinterrogent les notions fondamentales que sont la dot, le lien conjugal, l’autorité des hommes, le contrôle de la sexualité des femmes. De plus, les réformes législatives liées à « l’adoption », aux procréations médicalement assistées, au désaveu et à la reconnaissance de paternité, à l’usage de tests ADN, font apparaître le rapport du biologique et du social dans la détermination de la filiation en islam. Par ailleurs, les nouvelles questions de bioéthique comme la contraception, l’avortement, ou encorele don d’organes, ont amené les juristes musulmans à émettre des avis juridiques (fatâwâ) sur ces questions inédites en puisant leurs réponses dans l’esprit des textes de droit musulman classique. Le droit musulman (fiqh) loin d’être intangible et immuable, comme on a tendance à le penser, se situe dans une dynamique pragmatique et évolutive permanente ainsi que le montre la diversité des avis juridiques produits par les juristes musulmans sur des questions sans cesse renouvelées. Islamic Jurisprudence in Practice: Gender, Filiation and Bioethics Recent modifications of personal status and of penal codes in some Muslim countries question fundamental patriarchal ideas and practices about marriage such as bridewealth, conjugal relations, male authority and sexual control of women. These modifications specifically concern weddings, divorce, adultery, and honor crimes. Furthermore, legislative reforms connected to «adoption», medically assistedprocreation, denial or recognition of paternity, use of genetic tests, illustrate the relation of biological and social in the determination of filiation in Islam. Besides, new questions of bioethics such as contraception, abortion, or organ donation, have led Muslim jurists to express legal opinions (fatâwâ) on these new questions while referring their interpretations to classic Islamic texts of jurisprudence. Islamic jurisprudence (fiqh) far from being inviolable and unchanging as is often assumedis continually undergoing changes, as a pragmatic response to contemporary challenges. This is made evident by thediversity of legal opinions produced by Muslim jurists on issues that are ceaselessly re-emerging before the scene. 10/05/11 11:58 Le droit musulman en pratique : genre, filiation et bioéthique Page 2 sur 21 http://droitcultures.revues.org/1923 Entrées d'index Mots-clés : filiation, droit musulman, domination masculine, adoption, contraception, avortement, procréations médicalement assistées, don d’organes Keywords : filiation, Islamic jurisprudence, gender, adoption, contraception, abortion, assisted medical procreation, organ donation Texte intégral Adaptabilité et pragmatisme du droit musulman Au cours de cette dernière décennie, de nouvelles réformes du statut personnel et du Code pénal ont vu le jour dans de nombreux pays musulmans. Ces réformes touchent en particulier au mariage (nikâh ou zawaj)1, à la répudiation (talâq), au divorce féminin (khul‛), à la filiation (nasab), à « l’adoption » (kafâla) et aux peines relatives à l’adultère (zinâ), au viol (zinâ) et aux crimes dits d’honneur (yusamma jarâ’am ash- sharaf). Dans un contexte migratoire comme celui de la France, la manière d’appréhender des institutions musulmanes inconnues du droit français, telles la répudiation, la polygamie, ou la kafâla, a également évolué. Par ailleurs, des nouvelles questions de bioéthique issues du développement de la science et des techniques comme la contraception, l’avortement, le diagnostic prénatal, les procréations médicalement assistées, les tests ADN, le clonage, les cellules souches, ou encoreles greffes d’organes, ont amené les juristes musulmans (fuqâhâ’, ‘ulamâ’, muftî) à émettre des avis juridiques (fatâwâ,sg : fatwâ) sur ces questions inédites du point de vue du droit musulman classique tout en puisant leurs réponses dans l’esprit même de ces textes. 1 Ce livre regroupe un ensemble de contributions en français et en anglais d’anthropologues, de juristes, et d’historiens qui traitentde ces évolutions juridiques dans les communautés musulmanes de différents pays (Algérie, Tunisie, Maroc, Mauritanie, Sénégal, Niger, Nigéria, Égypte, Liban, Jordanie, Palestine, Pakistan, Iran, France). Les contributions concernent le contenu de ces réformes, le contexte au sein duquel elles sont apparues, les débats qui les ont accompagnées, ainsi que les résistances éventuelles à leur mise en œuvre. Les évolutions législatives récentes diffèrent localement selon les pays, leur histoire, leur culture, leur gouvernement ainsi que selon l’influence de mouvements plus globaux qu’ils soient féministes, islamistes, humanitaires. Parallèlement à la ratification de conventions internationales inspirées des droits de l’homme, de la femme, et de l’enfant, la référence à la loi islamique (Sharî‛a) demeure essentielle dans les pays musulmans, en tant qu’elle possède un caractère sacré et reste constitutive de leur identité. 2 En outre, le fait que des membres des populations civiles en Afghanistan, en Iraq et en Palestine aient été tués au nom d’une cause prétendue juste et démocratique qui se réclame des droits de l’homme, ont amené certainsmusulmansà ne plus croire en ces valeurs universalistes et à se tourner vers des valeurs religieuses qui incarnent une résistance à ce qui est parfois vécu comme une hégémonie et une ingérence de pays occidentaux. Or la référence à la Sharî‛a, dont le terme même est devenu synonyme de régression et d’obscurantisme en Occident, après l’application stricte et 3 10/05/11 11:58 Le droit musulman en pratique : genre, filiation et bioéthique Page 3 sur 21 http://droitcultures.revues.org/1923 intransigeantequ’en ont faite les Talibans en Afghanistan, n’est pas toujours aussi sclérosée et immuable qu’on a tendance à le croire mais porte en elle une certaine plasticité ainsi qu’une logique pragmatique2. Le rappel du caractère pragmatique et non dogmatique du droit islamique est d’autant plus important aujourd’hui que l’islamisme gagne les consciences de nombreux musulmans de par le monde. On voit fleurir une littérature islamiste peu onéreuse qui envahit les étals des vendeurs ambulants des mosquées des pays musulmans comme les rayons des librairies musulmanes dont on peut constater le nombre croissant à Paris. Or, ces ouvrages donnent souvent une vision étriquée du statut des femmes, beaucoup plusrégressive que les textes de droit musulmans anciens qui sont sur ce pointplussubtils et complexes. 4 Le droit musulman classique ou fiqh constitue le socle de référence de nombreux pays musulmans bien que ceux-ci connaissent d’autres sources de droit (coutumier, ottoman, napoléonien, international…). Le droit musulman n’est pas homogène, variant selon les rites (mâdhâhib), en particulier sunnite et shiite, le sunnisme étant lui-même divisé en plusieurs rites qui sont assez similaires malgré quelques « petites différences ». Le Liban, formé de diverses communautés religieuses, comme d’autres pays arabes, connaît un pluralisme juridique surtout en matièrede divorce, de garde d’enfant, et de succession, pluralisme qui conduit parfois, comme le montre l’article d’Alexa Hechaime, à des conversions de complaisance, par exemple lorsquedes familles sunnites qui n’ont pas d’enfants de sexe masculin se convertissent au shiisme pour protéger les droits successoraux de leurs filles. 5 En dépit de cette diversité interne,le droit musulman obéit à des principes (usul al- fiqh) unitaires dans son fonctionnement et il s’est constitué sur un socle scripturaire commun. La première source est le Coran qui jouit d’un statut incomparable auprès des musulmans sunnites ou shiites en tant que parole même de Dieu. La deuxième source est la Sunna, regroupant les dits ou hadith (hadîth) et les faits du Prophète (Muhammad) (m. 632 J.C.), ainsi que son assentiment parfois implicite (taqrîrât) aux actes de ses compagnons et de ses épouses. La Sunna constitue un modèle de conduite pour tout musulman, bien que les textes de référence en la matière diffèrent selon les sunnites et les shiites. Enfin, le droit musulman intègre la coutume (‘urf) comme source du droit, ce qui autorise une certaine spécificité juridiquepropre à chaque société. 6 De plus, dans le droit musulman, à côté du corpus de traités juridiques propre à chaque rite, il existe des principes guidant l’usage de ce droit (usul al-fiqh), qui permettent d’appréhender ce corpus de façon dynamique et éclairée, et nonde façon littérale et dogmatique. Par exemple, un principe juridique classique du droit musulman est souvent mis en œuvre par les acteurs musulmans – qu’ils appartiennent à des autorités religieuses (muftî), ou même qu’ils soient de « simples » croyants (mûminîn) habitués à la logique jurisprudentielle islamique – afin de tolérer des pratiques habituellement interdites (harâm) mais qui, lorsque les circonstances l’imposent, peuvent être exceptionnellement admises, ce principe peut se résumer en ces mots : « nécessité fait loi » (ad-darûrat tubîhu al-mahzûrât). Ce principe de nécessité (darûra) est tiré d’un verset du Coran (VI, 119) qui autorisele croyant à manger une viande illicite dans la mesure où il y est contraint par les circonstances. Après avoir rappelé le principe religieux général selon lequel tout musulman doit suivre les commandements de Dieu, le verset cite néanmoins une clause d’exception : « Il a détaillé ce qu’Il vous interdit sauf en cas de nécessité »3. Ce principe juridique accorde une relative souplesse d’interprétation par rapport à la lettre de la loi en permettant au croyant d’avoir recours uploads/S4/ le-droit-musulman-en-pratique-genre-fil.pdf
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- Publié le Nov 26, 2021
- Catégorie Law / Droit
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