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Revue juridique de l'Ouest Le Droit selon Henri Motulsky François Leborgne Cite

Revue juridique de l'Ouest Le Droit selon Henri Motulsky François Leborgne Citer ce document / Cite this document : Leborgne François. Le Droit selon Henri Motulsky. In: Revue juridique de l'Ouest, 2015-2. pp. 9-37; doi : https://doi.org/10.3406/juro.2015.4947 https://www.persee.fr/doc/juro_0990-1027_2015_num_28_2_4947 Fichier pdf généré le 24/05/2019 LE DROIT SELON HENRI MOTULSKY Par François LEBORGNE Maître de Conférences à la Faculté de Droit et de Science Politique de l ’Université de Rennes 1 Directeur de l ’Institut d’ Etudes Judiciaires de Rennes Membre de l ’IODE (UMR CNRS n° 6262) Le thème suggéré par le Professeur Richard Desgorces a fait naître chez le destinataire de l’offre un sentiment mêlé de plaisir et d’appréhension : au bonheur suscité par l’idée de « relire Motulsky » dont la découverte avait ébloui le jeune étudiant de Licence des années 1980, s’est ajoutée, en raison même du souvenir de cet enthousiasme juvénile, l’inquiétude ressentie devant la difficulté du sujet qui dépasse, de beaucoup, les compétences du conférencier. Ne serait-ce pas d’ailleurs le cas de tout juriste auquel une pareille commande serait adressée ? L’œuvre de Henri Motulsky impressionne en effet, tant par son volume et l’ampleur de ses vues, que par sa cohérence. Conjuguant dans sa personne une double culture allemande et française, Henri Motulsky a, dès sa thèse1, fixé pour le quart de siècle sur lequel allait se développer sa réflexion le sens de sa démarche qui devait guider celle-ci : l’étude des modes de réalisation du Droit ; aussi devait-il tout naturellement orienter son activité scientifique vers les grandes disciplines méthodologiques que sont le droit processuel, la procédure civile, l’arbitrage et le droit international privé, qu’il a tous illustrés par des travaux majeurs. Ceux-ci ont valu à Henri Motulsky d’être le seul auteur à posséder, sous son patronyme, une « entrée » dans le Dictionnaire de la Justice1. La notice, rédigée par Georges Bolard, qui fut son élève avant de devenir son collègue, s’ouvre par une rapide biographie dont la lecture apprend que cette œuvre exceptionnelle fut aussi celle d’un homme exceptionnel. Ici, c’est Sainte-Beuve qui a raison contre Proust ! 1 H. MOTULSKY, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé - La théorie des éléments générateurs des droits subjectifs , Paris, 1948, réed. Dalloz, 1991, rééd. Dalloz, coll. « Bibliothèque Dalloz », 2002. 2 V « Henri MOTULSKY » par G. BOLARD, in L. CADIET, (dir. ), Dictionnaire de la Justice, PUF, 2004, spéc. pp. 915 et s. 10 DOCTRINE Henri Motulsky naît en 1 905 à Grimma, près de Leipzig (Allemagne), dans une famille juive, ses parents venant de Russie. Après de brillantes études à l’Université de Heidelberg puis de Berlin, il exerce la profession d’avocat, d’abord au barreau de Neuss (Rhénanie), puis à celui de Düsseldorf, avant de quitter en 1933 son pays natal en proie aux démons du nazisme, pour s’installer en France. Il y vit d’abord difficilement, alors qu’il avait à apprendre le français3. Puis, il entre au cabinet de Maître Henry de Ségogne, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dont il deviendra le collaborateur privilégié après la guerre, avant de s’inscrire lui-même au barreau de Paris. La déclaration de la guerre le conduit, en 1939, à s’engager dans la Légion étrangère qui l’envoie en Afrique où il failli mourir de maladie. De retour en métropole en 1940, il rejoint alors le maquis de Haute-Provence, sous la couverture de l’activité de bûcheron. Simultanément, il prépare sa thèse de doctorat sous la direction du doyen Paul Roubier qui, lors de ses passages à Lyon et alors qu’il était pourchassé par la Gestapo, le cachait dans sa cave. Sa famille entière fut massacrée par les nazis, son père à Therensiendadt en 1942, sa sœur aînée et son mari, qui avaient trouvé refuge en France, à Auschwitz où ils furent déportés en 1942, à l’issue de la rafle du Vel d’Hiv. A Lyon, le 26 juin 1947, il soutenait sa thèse sous le titre « Principes d’une réalisation méthodique du droit privé », portant comme sous-titre, « la théorie des éléments générateurs des droits subjectifs »4. A l’instigation d’Henri Batiffol et de Phocion Francescakis, deux de ses plus proches amis, il passe l’agrégation des Facultés de droit en 1959. D’abord nommé professeur à Rabat et Casablanca, il enseigne ensuite à Dijon de 1961 à 1970, puis à Nanterre dont il dirige l’Institut d’Etudes Judiciaires. Frappé d’une crise cardiaque, il décède en décembre 1971 alors qu’il écrivait son dernier article « Prolégomènes pour un futur Code de procédure civile », paru post mortem , dans lequel il s’élevait avec force contre l’ajout, contraire à sa réflexion, de l’alinéa 3 à l’article du Code de procédure civile à l’élaboration duquel il avait pourtant activement participé, sous l’autorité de Jean Foyer5. 3 Et le droit français, collaborant avec un avocat dont la clientèle était en partie allemande. 4 La version préparée dans le maquis comptait 600 pages, la version soutenue et publiée, 183. 5 H. MOTULSKY, « Prolégomènes pour un futur Code de procédure civile : la consécration des principes directeurs du procès civil par le décret du 9 septembre 1971 », D., 1972, Chr., pp. 17 et s., reproduits in Écrits - Études et notes de procédure civile, (préf. G. CORNU et J. FOYER), Dalloz, 1973, réimp. Dalloz, coll. « Bibliothèque Dalloz », 2010, préf. G. BOLARD. DOCTRINE 11 Ce dernier article figure dans les « Écrits », regroupant en trois volumes les articles et notes publiés par Henri Motulsky et publiés entre 1 973 et 1 976, respectivement consacrés à la « Procédure civile »6, à « L’arbitrage »7 et au « Droit international privé »8. S’ajoute à cette œuvre doctrinale le cours de « droit processuel » professé à la Faculté de droit de Nanterre, publié en 1973 grâce aux notes de Mme Capel, qui développait pour la première fois en France une analyse comparée des procédures civile, pénale et administrative9. Fait remarquable, sa thèse a été rééditée en 2002 dans la collection « Bibliothèque Dalloz » qui se présente elle-même comme ayant pour vocation « la réédition d’œuvres qui, bien qu’appartenant déjà à l’histoire de la pensée politique, juridique ou économique, conservent une actualité incontestable »10. Il serait impossible de mieux caractériser la thèse de Henri Motulsky ! Ainsi que l’écrit en effet le Professeur Frison-Roche, dans son «Avant-propos », remarquable par la compréhension de l’œuvre qu’il exprime, « la thèse de Henri Motulsky ne ressemble pas aux autres travaux du genre (...). Tout d’abord, elle plus ambitieuse que les travaux que nous autorisons à entreprendre et à proposer (...); elle se distingue encore en ce qu’elle est simple et délié »n. Le travail de recherche peut en effet surprendre dans sa forme, assez éloignée des canons habituellement suivis : trois Parties, un Titre Second (de la Deuxième partie) constitué d’un chapitre unique, pas d’annonces des subdivisions, une conclusion de deux pages et pratiquement pas de notes de bas de pages... aurait-elle franchi la porte étroite du Conseil National des Universités ? U est permis de l’espérer tant le propos qui y est développé est exceptionnel car le premier travail universitaire de Henri Motulsky porte sur la façon dont le droit peut et doit se fabriquer. Rien de moins ! Pour Henri Motulsky, en effet, « le droit est fait pour la réalisation journalière dans les cas 6 H. MOTULSKY, Écrits - Études et Notes de procédure civile, préf. Gérard CORNU et Jean FOYER, Ie éd., Dalloz, 1973, 2e éd., Dalloz, coll. « Bibliothèque Dalloz », 2010, préf. Georges BOLARD. 7 H. MOTULSKY , Écrits- Études et Notes sur l’arbitrage : Dalloz, L'éd., 1974, préf. Berthold GOLDMAN et Philippe FOUCHARD, 2e éd., Dalloz, coll. « Bibliothèque Dalloz », 2010, préf. Claude REYMOND. 8 H. MOTULSKY, Écrits - Études et Notes de droit international privé, Dalloz, 1978, préf. H. BATIFFOL et Phocion FRANCECAKIS. 9 H. MOTULSKY, Droit processuel, texte recueilli par M.-M. CAPEL, Les Cours du droit, Montchrestien, 1973. 10 H. MOTULSKY, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé - La théorie des éléments générateurs des droits subjectifs », nouvelle édition présentée par M.-A. FRISON-ROCHE : Dalloz, coll. « Bibliothèque Dalloz », 2002. 1 1 M.-A. FRISON-ROCHE, « Avant-Propos », préc. 12 DOCTRINE d’espèce »12, l’auteur empruntant à Ihering cette formule saisissante que « la réalisation du droit est la vie et la vérité du droit » ; mais à la différence de ce grand jurisconsulte allemand, il ne se satisfait pas de cette formule et « cherche à établir les bases d’une nouvelle science, celle de la méthode d’application du droit »13. L’ouvrage se présente ainsi comme un œuvre de technique juridique ou, comme l’a écrit le professeur Oppetit, comme une œuvre de « théorie générale du droit, comprise comme la branche de la science juridique qui s’assigne comme objet d’étude l’ensemble des moyens de réalisation et des concepts du droit »14. Et c’est cette même volonté de faire œuvre utile pour ses contemporains, juges ou auxiliaires de justice, qui anime tous les écrits postérieurs de l’auteur. Le droit uploads/S4/ le-droit-selon-henri-motulsky.pdf