CRDF, no 7, 2009, p. 143-150 À la croisée des sources de la propriété intellect
CRDF, no 7, 2009, p. 143-150 À la croisée des sources de la propriété intellectuelle. L’article 27 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme Christophe ALLEAUME Professeur à l’Université de Caen Basse-Normandie I. L’article 27 de la DUDH, source d’élévation de la propriété intellectuelle A. L’effet d’entraînement de l’article 27 de la DUDH sur les sources nationales et européen- nes de la propriété intellectuelle B. L’intérêt de l’article 27 de la DUDH face aux conventions internationales sur la propriété intellectuelle II. L’article 27 de la DUDH, source de résolution des conflits de sources de la propriété intellectuelle? A. L’article 27, source d’interprétation de la propriété intellectuelle B. L’article 27, source directe de résolution des conflits ? L’article 27 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme (DUDH) du 10 décembre 1948 fait partie des quatorze articles de la Déclaration divisés en alinéas. L’article 27.1 proclame que « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la commu- nauté, de jouir des arts et de participer au progrès scien- tifique et aux bienfaits qui en résultent ». L’article 27.2 précise que « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur ». Ces deux alinéas, qui ont pour objet la vie culturelle, les arts et le progrès scientifique, orientent les autorités nationales ayant à légiférer sur le droit de la création, de l’innovation et de la culture, dont une branche importante est le droit de la propriété intellectuelle. La division ne doit pas tromper : s’il y a deux alinéas à l’article 27 de la DUDH, c’est parce qu’il y a deux règles de posées. La première règle (27.1) reconnaît le droit de toute personne de prendre part à la vie culturelle, aux arts et au progrès scientifique. Il s’agit là d’un « droit à », ou d’une liberté, celle de profiter des bienfaits de la créa- tion artistique et du progrès technique. La seconde règle (27.2) consacre le besoin de protection matérielle et morale des auteurs et des inventeurs sur leurs œuvres et leurs inventions. À la différence d’objet s’ajoute une différence de destinataires. Alors que l’article 27.1 vise « toute personne » souhaitant prendre part à la vie culturelle, artistique ou scientifique – c’est-à-dire le « public » –, l’article 27.2 vise le droit privatif des créateurs, auteurs ou inventeurs, sur leurs créations. La coexistence de ces deux alinéas a beaucoup tour- menté la doctrine juridique. D’éminents juristes ont vu dans les articles 27.1 et 27.2 de la Déclaration la consécra- tion de deux règles contradictoires (l’article 27.2 – droit Christophe Alleaume 144 de propriété – contredisant l’article 27.1 – droit du public) 1, tandis que d’autres, dont René Cassin 2, ont plaidé pour l’existence de deux règles complémentaires 3 (l’article 27.2 étant la contrepartie de l’article 27.1). Tel quel, l’article 27 de la DUDH est révélateur de la discus- sion qui agite, aujourd’hui encore, les spécialistes de la pro- priété intellectuelle à propos des deux «intérêts» opposés de la propriété intellectuelle : – Premier intérêt : celui des masses, du peuple, du public, des consommateurs, de la société tout entière. Ceux-ci doivent pouvoir bénéficier des progrès de la science, des arts et des techniques. Chaque élève doit pou- voir s’imprégner des œuvres de son temps comme des siècles passés. Tout être en souffrance doit pouvoir se soi- gner avec les médicaments et les techniques issus de la recherche scientifique. L’intérêt public (l’éducation publi- que, la santé publique) l’exige. – Second intérêt : celui des créateurs, qu’un lien spé- cial unit à leurs créations – lien si intime qu’il conduit naturellement à leur reconnaître un droit moral – extra- patrimonial – sur leurs créations (leur permettant au moins d’affirmer leur paternité). Ce lien fonde aussi le droit des mêmes créateurs de décider de l’exploitation de leurs créations – afin d’en tirer des revenus. C’est un inté- rêt privé qui semble ici consacré. Les deux alinéas de l’article 27 de la DUDH sont donc à la fois « opposés » 4 (plus que contradictoires) et com- plémentaires. C’est « le yin et le yang » du droit de la pro- priété intellectuelle onusien. L’article 27 de la DUDH a-t-il eu une influence sur le droit de la propriété intellectuelle? En France, une grande partie de la doctrine spécialisée l’affirme 5. Elle intègre ce texte parmi les sources du droit de la propriété intellec- tuelle. Une source indirecte, toutefois : l’article 15 du Pacte international fait à New York le 19 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est plus souvent cité comme LA véritable source onusienne du droit moderne de la propriété intellectuelle à laquelle s’ajoutent, depuis la signature des Accords de Marrakech le 15 avril 1994, les textes adoptés dans le cadre de l’OMC. Cela étant, il est significatif de relever que la plupart des juristes citant l’article 15 du Pacte de New York comme source directe du droit de la propriété intellectuelle se plaisent à mentionner que ce texte n’ajoute rien… sur le fond… à ce qui était déjà écrit à l’article 27 de la DUDH6… faisant donc de celui-ci l’esquisse de celui-là ! À la réflexion, l’article 27 de la DUDH est probable- ment plus qu’une esquisse. Il a eu, et continuera proba- blement à avoir, une double utilité. Par l’immense valeur morale attachée à la Déclaration universelle des Droits de l’homme, il a contribué à élever la propriété intellectuelle au niveau des droits fondamentaux, ce qui était loin d’être acquis, notamment au niveau international, en 1948. C’est une source d’élévation de la propriété intellec- tuelle. En outre, on s’interroge aujourd’hui sur la possi- bilité de l’utiliser pour résoudre les probables conflits de sources annoncés en raison de la multiplication des tex- tes internationaux. Si tel était le cas, l’article 27 devien- drait une source de résolution… des conflits de sources de la propriété intellectuelle. L’article 27 de la DUDH serait alors à la croisée des sources : source d’élévation (I) et source de résolution des conflits de sources de la propriété intellectuelle (II). I. L’article 27 de la DUDH, source d’élévation de la propriété intellectuelle L’article 27.2 de la DUDH est souvent présenté comme l’un des tout premiers textes officiels à ranger le 1. A. Kéréver, « Authors’ Rights are Human Rights », Copyright bulletin, vol. 32, 1988, p. 27 et, du même auteur, « Le droit d’auteur : acquis et conditions du développement de la culture juridique européenne », Droit d’auteur, 1980, p. 146. Pour une présentation générale du débat, voir R. Cassin, « L’intégration, parmi les droits fondamentaux de l’homme, des droits des créateurs des œuvres de l’esprit », Mélanges Marcel Plaisant, Paris, Sirey, 1960, p. 230, qui dévoile que la contradiction, ou l’opposition, entre les deux alinéas, avait été soulignée par certaines délégations lors de la discussion du texte. 2. Ibid. 3. G. Béguin, « La Déclaration universelle des Droits de l’homme (du 10 décembre 1948) et la protection de la propriété intellectuelle », Droit d’auteur, 1963, p. 318 ; Cl. Colombet, « La protection des intérêts moraux et matériels des auteurs (art. 27 al. 2) », Droits d’auteur et droit de l’homme, Paris, INPI, 1990, p. 44 ; M. Vivant, « Le droit d’auteur, un droit de l’homme ? », RIDA, n˚ 174, octobre 1997, p. 69 ; R. Cassin, « L’intégration, parmi les droits fonda- mentaux de l’homme… », p. 225. 4. Utilisant ce mot, J. Lesueur, « Les droits opposés dans le champ des propriétés incorporelles », Comm. comm. électr., Études, 15, juillet-août 2008, p. 5. Généralement, voir A. Jeammaud, Les oppositions de normes en droit privé interne, thèse, Lyon III, 1975 (dactyl.). 5. Sans prétendre à l’exhaustivité, citons au moins R. Cassin, « L’intégration, parmi les droits fondamentaux de l’homme… », p. 225 ; A. Dietz, « La place du droit d’auteur dans la hiérarchie des normes : la question constitutionnelle », in Regards sur les sources du droit d’auteur. Exploring the Sources of Copyright, Actes du Congrès ALAI, Paris, 2007, p. 43 sq., not. p. 53, ainsi que, du même auteur, « Le concept d’auteur selon le droit de la Convention de Berne », RIDA, n˚ 155, janvier 1993, p. 45 ; M. Ficsor, « La place des organisations internationales dans l’élaboration du droit d’auteur : le plan d’action de l’OMPI pour le développement et les mouvements de “copyleft” », in Regards sur les sources…, p. 95 sq., not. p. 103. Parmi les auteurs de manuels récents, E. Derieux avec la collaboration de A. Granchet, Droit des médias, 5e édition, Paris, LGDJ, 2008, n˚ 156 ; C. Caron, Droit d’auteur et droits voi- sins, Paris, Litec, 2006, n˚ 10 ; P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 6e édition, Paris, PUF (Collection droit fondamental), 2007, n˚ 323 ; A. Lucas et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, 3e édition, Paris, Litec, 2006, n˚ 327. Enfin, parmi les thèses, C. Geiger, Droit d’auteur et uploads/S4/ le-nantissement-des-droits-de-propriete-intellectuelle.pdf
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- Publié le Apv 20, 2022
- Catégorie Law / Droit
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