LE POUVOIR DE RELEVER DES MOYENS D’OFFICE AU REGARD DES PRINCIPES DIRECTEURS DE

LE POUVOIR DE RELEVER DES MOYENS D’OFFICE AU REGARD DES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA PROCEDURE EN ARBITRAGE INTERNATIONAL « Ce sont souvent les problèmes les plus pratiques qui postulent le recours aux concepts fondamentaux », écrit le professeur Moltusky1. Or, quel principe processuel pourrait être plus fondamental que celui de la protection des droits de la défense ? Sans remonter jusqu’au livre de la Genèse qui affirme que « [Dieu] ne condamne pas sans entendre », ni s’appuyer sur l’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 1828 dont l’attendu déclare que les droits de la défense sont une « garantie naturelle », admettons que ce principe naisse de la conscience humaine avant de se soumettre à la loi des hommes. Admis dans le cénacle des tribunaux de toutes les démocraties, le principe de protection des droits de la défense est essentiel en arbitrage. Le principe de contradiction qui en est directement issu fait même l’objet d’une attention particulière de la part de l’arbitre dans la mesure où la légitimité de celui-ci naît de la volonté des parties. Par conséquent, peut-être même plus qu’un juge étatique, l’arbitre doit respecter les droits des parties, et leur accorder la place qu’elles méritent dans la procédure. Cette liberté des parties semble plénipotentiaire, car de leurs dires et de leurs désirs dépend l’existence de la procédure même. Cependant, si le procès arbitral peut être considéré comme « la chose des parties », l’arbitre n’est pas le coryphée de leurs intérêts. Il est également dépositaire d’une liberté certaine, assumée par les deux piliers de son intégrité : impartialité et indépendance. Son rôle n’est évident qu’en apparence. Certes, il doit trancher un litige entre deux parties, mais doit-il le trancher comme un simple prestataire 1 « Études et notes sur l'arbitrage », Dalloz, 2007 (rééd.) de services ou comme un juge ? En d’autres termes, comment peut-il et doit-il conjuguer les attentes des litigants et la nécessité morale d’une bonne justice ? Nombreux sont les cas où ces deux objectifs se confondent. Le même arbitre est face à une aporie lorsque, par exemple, l’une des parties ne soulève pas un argument qui lui aurait permis de servir sa cause, mais aussi (et surtout) de faire respecter le bon droit. Si les affaires sont souvent complexes, tout manichéisme étant alors malvenu, parfois l’antithèse est essentiellement intrinsèque à la qualité des conseils des parties. Dans quelle mesure l’arbitre peut-il pallier le déséquilibre entre les litigants sans contrevenir au principe fondamental de contradiction ? On peut s’interroger sur la portée de la liberté qu’ont octroyée les parties à l’arbitre. Car ce sont bien deux libertés distinctes qui sont mises face à face, la liberté de l’arbitre et celle des parties. L’on pourrait même extrapoler en disant que ce sont deux conceptions de l’arbitrage qui se retrouvent dos à dos : l’arbitrage considéré comme juridiction et l’arbitrage considéré comme enchaîné aux dires des parties. S’interroger sur l’impact du moyen relevé d’office sur la procédure arbitrale revient donc à repenser les grands principes procéduraux de l’arbitrage international au travers du prisme de l’initiative de l’arbitre. L’identification de ces principes n’est pas aisée dans la mesure où selon l’article 1494 du Code de procédure civile, « dans le silence de la convention, l'arbitre règle la procédure, autant qu'il est besoin, soit directement, soit par référence à une loi ou à un règlement d'arbitrage ». Comme l’arbitrage mis en œuvre ne doit pas violer les droits des parties, « en l’absence de règles ponctuelles, les principes directeurs du procès ont devant l’arbitre une portée plus décisive encore que devant le juge étatique »2. Les auteurs3 sont à peu près unanimes sur une poignée de grands principes directeurs qui lient l’arbitre : la contradiction dans les débats, la soumission à un ordre public procédural, la non-exigence du « jura novit curia », l’interdiction de statuer « ultra petita », et l’impartialité de l’arbitre. 2 G. Bolard, « Les principes directeurs du procès arbitral », Rev. Arb. 2004 n°3, p.517. 3 Fouchard, E. Gaillard, Goldman, « Traité de l’arbitrage commercial international », LItec, 1996, n°362-3 ; J-P Ancel, « La Cour de cassation et les principes fondateurs de l’arbitrage international », Mélanges P. Drai, p. 161 et suivants. CONTRADICTION Le principe de la contradiction est visé à l’article 1495 lequel renvoie à l’article 1460 qui lui-même renvoie à l’article 16 du Code de procédure civile. Malgré les attendus répétés et catégoriques formulés par les juges étatiques4, une relative incertitude règne, au moins quant aux modalités d’application de ce principe en arbitrage international5. La jurisprudence est stricte en ce qui concerne le relevé de moyens d’office : en 1981, la Chambre mixte de la Cour de cassation a posé le principe selon lequel les arbitres doivent soumettre aux parties tout moyen de droit ou de fait, même d’ordre public, relevé d’office6. C’est ce principe qui est répété à l’envi par les juges de la Cour d’appel de Paris ou de la Cour de cassation. Les parties ne sont pas censées connaître toutes les règles de droit qu’elles ont choisies. Si l’arbitre entend appliquer une règle de droit non spécialement invoquée par les parties, il doit instaurer un débat contradictoire. Récemment, les juges parisiens ont durci plus encore leur position par un arrêt du 25 mars 2010, « Sté Commercial Caribbean Niquel c/ Sté Overseas Mining Investments Ltd »7. A la suite de la résiliation par l’une des parties d’un accord de coopération, l’autre partie avait demandé une indemnisation au titre du gain manqué. Le tribunal arbitral avait préféré accorder un dédommagement fondé sur la perte de chance, moyen jugé plus pertinent. La Cour décide qu'en substituant à l'indemnisation fondée sur la perte de gain qui leur paraissait en l'espèce inadéquate, une indemnisation fondée sur la perte de chance de voir se concrétiser un projet qui n'avait pas été invoquée, les arbitres avaient soulevé un moyen de droit nouveau. Selon la Cour, cette substitution ne constitue pas une simple modalité d'évaluation du préjudice mais modifie le fondement de l'indemnisation demandée. Par conséquent, « en omettant d'inviter les parties à s'expliquer sur ce point, les arbitres ont méconnu le principe de la contradiction », quand bien même l'une des parties avait, à l'occasion de sa demande reconventionnelle, évoqué, en ce qui la concerne, la perte de chance. Cette sévérité accrue pose notamment 4 Par exemple, Cass. Civ. 2°, 2 juin 1995, Bull. civ. II, n°189, p. 109 : « Attendu que les arbitres ont l'obligation de mettre les parties en mesure de débattre contradictoirement de toute information qu'ils ont recueillie et utilisée » ; plus récemment, Cass. Civ. 1ère , 14 mars 2006. 5 S. Guinchart, « L’arbitrage et le respect de la contradiction (à propos de quelques décisions rendues en 1996) », Rev. Arb. 1997, p.187. 6 Ch. Mixte, 10 juillet 1981, deux arrêts, D. 1981, J 637 ; RTD Com. 1981.677, obs. J. Normand. 7 CA Paris, 25 mars 2010, n° 08/23901. un problème pratique, celui de la distinction souvent incertaine entre fondement juridique, raisonnement juridique et moyen de droit en arbitrage international. En effet, si le contradictoire s’applique à l’encontre des moyens de droit, il n’a pas sa place dans la motivation et dans le raisonnement juridique des arbitres8. La possible confusion ne sera pas dissipée par des attendus de principe tel celui de l’arrêt « Malicorp c/ Egypte » 9 qui tente de concilier les deux solutions jurisprudentielles : « si les arbitres n’ont pas l’obligation de soumettre au préalable leur motivation à une discussion contradictoire, ils doivent cependant respecter le principe de la contradiction ». Le caractère accru du contrôle du juge national est d’autant plus radical que, lorsque rien dans les énonciations de la sentence ne permet de contrôler si les parties ont été en mesure de débattre contradictoirement de tous les points de fait et de droit, l’annulation de la sentence doit être prononcée10. ORDRE PUBLIC PROCEDURAL Si dans le silence de la convention d’arbitrage, les arbitres disposent d’une certaine latitude pour déterminer les règles de la procédure à l’instance, ces prérogatives sont tempérées par les contraintes de l’ordre public international, en particulier les droits de la défense et le principe de la contradiction11. Certes, le respect des droits de la défense revêt un caractère d’ordre public international12. Cependant, la notion d’ordre public procédural ne vise ici que les principes élémentaires du procès équitable, et non l’ensemble des garanties spécifiques à chaque droit national, comme par exemple l’obligation de motiver la sentence13. L’obligation de verser aux débats tout motif relevé d’office par l’arbitre fait a priori partie de cet ordre public procédural. Il faut noter qu’il s'apprécie in concreto. En effet, en droit international privé, la 8 Par exemple, CA Paris, 22 mai 2003, Rev . Arb. 2004.132, ou encore CA Paris, 25 mars 2004, Rev. Arb. 2004 p. 671, note J. Ortcheidt. 9 CA Paris, 19 juin 2008. 10 CA Paris, 25 janvier 1991, Rev. Arb., 1991.651, cité par C. Kessedjian, « Principe de la contradiction et arbitrage », uploads/S4/ le-pouvoir-de-l-x27-arbitre-de-relever-des-moyens-d-x27-office-jeanrobin-costargent.pdf

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  • Publié le Sep 17, 2021
  • Catégorie Law / Droit
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