Les acteurs face à la constitutionnalisation du droit de l’environnement Yann A

Les acteurs face à la constitutionnalisation du droit de l’environnement Yann AGUILA - Avocat au barreau de Paris NOUVEAUX CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 43 (LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET L'ENVIRONNEMENT) - AVRIL 2014 Résumé : Les effets de la constitutionnalisation du droit de l'environnement se sont propagés dans la société tels des « cercles concentriques », depuis l'adoption de la Charte de l'environnement en 2005. Tous les acteurs ont ainsi été amenés à prendre leur part de responsabilité. Le juge a donné un plein effet à ces sources constitutionnelles, en impulsant une nouvelle dynamique jurisprudentielle. La nécessaire remise à niveau des textes existants au regard des principes constitutionnels du droit de l'environnement a créé pour sa part une dynamique réformatrice, dans laquelle le législateur, sous l'impulsion du Conseil constitutionnel, joue un rôle de premier plan. Enfin, dans le cadre d'une « démocratie environnementale », le citoyen est le principal destinataire non seulement des droits mais aussi des devoirs affirmés par la Charte de l'environnement. À l’instar des phénomènes dont les conséquences, initialement circonscrites, se propagent ensuite par « cercles concentriques », les effets de la constitutionnalisation du droit de l’environnement se sont manifestés, depuis bientôt dix ans, à plusieurs niveaux(1). Les acteurs du droit de l’environnement ont ainsi été conduits à se positionner face à trois séries d’enjeux, apparus successivement. Le juge, d’abord, a eu pour mission d’assurer le plein effet de la Charte de l’environnement (I). Puis les autorités normatives, en particulier le législateur, ont la responsabilité de la remise à niveau du corpus de textes en vigueur face aux nouvelles exigences issues de la Charte (II). Enfin, la Charte a placé les citoyens au cœur du droit de l’environnement (III). À l’aune de ces éléments, il est permis d’identifier un renforcement du rôle de certains acteurs du droit de l’environnement, tels que le juge constitutionnel, le législateur et, surtout, le citoyen. I – La réception de la Charte de l’environnement par le juge L’émergence de sources constitutionnelles du droit de l’environnement a d’abord produit ses effets sur les juridictions chargées d’en assurer l’intégration dans l’ordre juridique français. Depuis 2005, le juge a ainsi été conduit à assurer le plein effet de la constitutionnalisation de la Charte de l’environnement (A). Plus profondément, l’adoption de la Charte a créé une nouvelle dynamique jurisprudentielle (B). A. Le plein effet de la constitutionnalisation des principes du droit de l’environnement 1/ Alors qu’elles auraient pu en limiter les effets par des jurisprudences neutralisantes, les différentes juridictions chargées de l’application de la Charte de l’environnement ont, au contraire, tiré toutes les conséquences de son intégration dans le bloc de constitutionnalité. Le juge a d’abord confirmé tant la valeur constitutionnelle que la portée normative de l’ensemble des dispositions de la Charte de l’environnement. Selon une formule suffisamment solennelle pour être relevée, et retenue aussi bien par le Conseil constitutionnel(2) que par le Conseil d’État(3) : « Les dispositions [des différents articles de la Charte], comme l’ensemble des droits et devoirs [qui y sont] définis, ont valeur constitutionnelle [et] s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif ». Puis, prenant acte de la nécessité de garantir le plein effet de ces dispositions, il en a tiré un certain nombre de conséquences juridiques. Plusieurs juridictions administratives ont ainsi accepté, dès 2007, de voir dans le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » proclamé à l’article 1 de la Charte, dont la portée normative aurait pourtant pu paraître limitée, une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative(4). Enfin, la nécessité d’assurer le plein effet des dispositions de la Charte de l’environnement a parfois conduit le juge à faire preuve d’audace dans son interprétation des dispositions de la Charte, à l’instar du Conseil er constitutionnel déduisant des articles 1 et 2 combinés de la Charte(5) l’existence d’une « obligation de vigilance » environnementale à la charge de « chacun », et allant même jusqu’à préciser que « s’il est__loisible au législateur de définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation, [ ] il ne saurait, dans l’exercice de cette compétence, restreindre le droit d’agir en responsabilité dans des conditions qui en dénaturent la portée »(6). B. La création d’une dynamique jurisprudentielle La première originalité de la Charte de l’environnement tient sans doute à sa forme : l’adoption d’un texte autonome, consacrant un catalogue constitutionnel de principes fondamentaux en matière environnementale, est sans précédent. Or, cette forme est loin d’être anodine, surtout du point de vue de la jurisprudence. Elle crée une dynamique d’interprétation. Ce er texte constitue un tout : les principes se répondent les uns aux autres ; son préambule éclaire par une grande hauteur de vue l’interprétation – qui reste encore, pour l’essentiel, à venir – de ses articles. On commence seulement à entrevoir les premiers effets de cette dynamique jurisprudentielle. 1/ Le Conseil d’État a été conduit à procéder à une relecture de certaines jurisprudences à l’aune des principes consacrés par la Charte de l’environnement. Au-delà de la sanction du non-respect de la Charte par le législateur ou le pouvoir réglementaire, plusieurs décisions mettent en lumière l’existence d’effets indirects de la constitutionnalisation du droit de l’environnement. La constitutionnalisation de la Charte de l’environnement a par exemple conduit le juge administratif à accepter d’en appliquer les dispositions au contentieux des autorisations d’urbanisme(11), aménageant une solution, traditionnelle, et fondée jusqu’alors sur le principe d’indépendance des législations(12). La Charte, par son large champ d’application, est susceptible de concerner toutes les politiques publiques et, par suite, l’ensemble des actes administratifs. Cette constitutionnalisation a également été l’occasion, pour le Conseil d’État, de revisiter sa jurisprudence relative à la théorie du bilan. Saisi d’un moyen relatif à la violation, par une déclaration d’utilité publique, du principe de conciliation dégagé par le Conseil constitutionnel(13) à partir des dispositions de l’article 6 de la Charte(14), le Conseil d’État a en effet choisi d’enrichir le contrôle du bilan coûts- avantages qu’il exerce depuis 1971 sur de tels actes(15), en y intégrant les exigences mentionnées à l’article 6 de la Charte(16). Si la protection de l’environnement faisait déjà partie des intérêts publics pris en compte par le juge dans son contrôle du bilan(17), l’article 6 de la Charte pourrait néanmoins conduire le juge administratif à pondérer un peu différemment les atteintes portées à l’environnement, voire lui offrir, à terme, l’occasion d’accepter d’apprécier l’opportunité du tracé choisi au regard d’autres tracés envisageables (appréciation à laquelle le juge administratif s’est toujours refusé jusqu’à présent(18)). Cette relecture de la théorie du bilan à l’aune du principe de conciliation peut donc permettre un enrichissement de la jurisprudence. 2/ L’analyse de la jurisprudence judiciaire invite au même constat. Moins saisie que le juge administratif(19), la Cour de cassation s’est montrée attentive à l’application de la Charte. Certes, certains arrêts ont montré que la Charte de l’environnement devait être invoquée avec discernement devant le juge judiciaire. En matière de responsabilité civile, la Cour de cassation, par une décision du 18 mai 2011, a confirmé ma règle selon laquelle la démonstration d’un lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice, sans exiger nécessairement de « preuve scientifique », supposait l’établissement de « présomptions graves, précises, fiables et concordantes »(20), précisant « que la charte de l’environnement et le principe de précaution ne remettaient pas en cause les règles selon lesquelles il appartenait à celui qui sollicitait l’indemnisation du dommage à l’encontre du titulaire de la servitude d’établir que ce préjudice était la conséquence directe et certaine de celui-ci ». De même, en matière de responsabilité pénale, le juge judiciaire a refusé toute influence des dispositions de la Charte de l’environnement (notamment ses articles 1 , 2 et 5) sur la caractérisation de l’état de nécessité, cause d’irresponsabilité (décision dite des « faucheurs d’OGM ») (21). Cette prudence ne l’a toutefois pas empêché de transmettre au Conseil constitutionnel, par une décision du 27 janvier 2011, une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 112- 6 du code de la construction et de l’habitation(22) et à la théorie du trouble anormal de voisinage (la première, er d’ailleurs, qui ait été transmise au Conseil, concernant la Charte)(23). De fait, il est aujourd’hui clairement jugé que la Charte de l’environnement est invocable dans les rapports de droit privé, ou qu’elle a, pour le dire autrement, un « effet horizontal »(24). Si, en pratique, le juge judiciaire se réfère peu souvent à la Charte, c’est qu’il trouve plus directement dans la loi de nombreux dispositifs qui mettent en œuvre les devoirs de prévention ou de réparation. Mais il n’en reste pas moins que la Charte de l’environnement peut constituer un facteur, même indirect, de dynamisme de la jurisprudence judiciaire. L’affaire de l’Erika l’illustre parfaitement : la Cour de cassation a consacré la notion de préjudice écologique, dans une inspiration jurisprudentielle qui n’est pas sans lien, même si c’est implicitement, avec la uploads/S4/ les-acteurs-face-a-la-constitutionnalisation-du-droit-de-l-x27-environnement-conseil-constituti.pdf

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  • Publié le Jui 30, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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