Rapport confié par Monsieur Jean-Jacques Urvoas, Garde des Sceaux, Ministre de
Rapport confié par Monsieur Jean-Jacques Urvoas, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice à Monsieur Kami Haeri, Avocat au Barreau de Paris Février 2017 L’AVENIR DE LA PROFESSION D’AVOCAT 2 La mission que Monsieur Jean-Jacques Urvoas, Garde des Sceaux, nous a confiée a constitué l’une des expériences les plus enrichissantes de notre parcours d’avocat, sur le plan humain comme sur celui de la connaissance de notre profession, de ses dynamiques, de ses défis et des espérances qu’elle suscite. Nous souhaitons lui exprimer toute notre gratitude pour son initiative et sa confiance. Nous avons travaillé en toute liberté et pu construire notre projet en toute indépendance. Nous souhaitons également exprimer nos plus vifs remerciements à Monsieur le Professeur Pierre Berlioz qui n’a cessé, tout au long de ce projet, de se montrer disponible pour nous apporter les éléments chiffrés et la documentation nécessaires à nos travaux. Nous avons auditionné plus de 130 personnes au cours des trois derniers mois: des observateurs de notre profession et de notre société, des juristes et des non juristes, des représentants de nos institutions professionnelles et de nos syndicats, des avocats moins exposés à notre vie institutionnelle également. Chacune des personnes sollicitées s’est montrée disponible, enthousiaste à l’idée de partager son expérience, passionnée dans le regard qu’elle porte sur les avocats, sur la pratique et la place du droit, désireuse de participer à un travail utile au justiciable et à notre profession. Nous souhaitons également remercier Philippe Lucet (Barreau de Paris) et Clémence Ploix (Barreau de New York, et bientôt Barreau de Paris) pour leur concours inestimable dans la préparation de nos travaux. Ce que chacune des personnes qui a participé à nos travaux nous a appris et transmis, toutes ces réflexions, toute cette énergie, constituent un moment précieux qui, si c’était encore nécessaire, a fortifié notre conviction que la profession d’avocat est la plus belle de toutes. Puissent nos travaux se révéler utiles pour chacun de vous, pour celles et ceux qui sont notre avenir. Kami Haeri (Barreau de Paris) Sophie Challan-Belval (Barreau de Rouen) Eléonore Hannezo (Barreau de Paris) Bernard Lamon (Barreau de Rennes) 3 Notre méthodologie L’exigence mutuellement exprimée lors de nos réflexions préliminaires avec Monsieur le Garde des Sceaux fut de constituer la Commission la plus paritaire possible : femmes/hommes, Paris/province, exercice individuel/exercice en groupe, pratique judiciaire/activité de conseil. Nous avons souhaité également constituer une Commission qui soit à égale distance de l’ensemble des institutions représentatives de notre profession. Il n’était pas question de construire un travail à coté ni, a fortiori, contre nos institutions représentatives. Nous n’avons jamais ignoré le travail formidable qui y est construit quotidiennement et l’engagement de celles et ceux qui la composent. Notre objectif était en revanche de rechercher à partir d’une grande page blanche les initiatives, les inspirations et les témoignages qui pourraient, in fine, enrichir le travail mis en œuvre par les instances de notre profession. Nous avons donc orienté notre méthodologique vers l’analyse préliminaire de témoignages – oraux ou écrits – de personnes extérieures à notre profession et qui ont consacré leurs réflexions à imaginer la société des 10 prochaines années, à anticiper l’évolution raisonnable de nos outils technologiques, de notre rapport au travail et à l’emploi, aux modes de consommation des ménages et des entreprises ; qui anticipent tout simplement les besoins de nos clients, qu’il s’agisse de personnes physiques ou d’entreprises. Il nous a semblé indispensable de nous livrer à ce travail préliminaire avant d’identifier les actions qui pourraient permettre à notre profession d’aborder cette nouvelle société dans les meilleures conditions et, partant, d’y préparer et d’y accompagner les plus jeunes confrères. À bien des égards, il nous semble que malgré les travaux de prospective qui y sont menés, notre profession conjugue encore trop peu ses réflexions avec celles de nos clients, des économistes, des démographes, des sociologues et des scientifiques. Nous avons beaucoup de choses à apprendre d’eux : qu’il s’agisse de l’anticipation de certaines données et de certains modèles utiles à nos réflexions ou plus encore de l’indispensable prise en compte du rythme de changement de la société dans laquelle, pourtant, notre profession s’inscrit si quotidiennement. Et ce sont nos institutions, nos méthodes de travail, notre apprentissage qui doivent non seulement appréhender chacun de ces changements, mais se transformer afin d’être en avance sur les prochains cycles de mutation. 4 I. Nos défis, nos interrogations, notre résilience Jamais notre profession n’aura été confrontée à une série de changements aussi nombreux, aussi profonds et aussi simultanés. Elle a certes connu des révolutions techniques et technologiques, des crises politiques majeures, plusieurs fois des guerres. Elle a toujours fait preuve de résilience. C’est une force inestimable. Mais ces accidents ou ces mutations n’ont, au fond, que très modérément menacé ou altéré au cours des 150 dernières années la structure de la profession, sa capacité de croissance à long terme, l’homogénéité et la typologie des missions de l’avocat ou la perception que le justiciable pouvait avoir de ce dernier. La profession est confrontée aujourd’hui à la somme de tous les défis : morosité économique, paupérisation d’une partie de son effectif, concurrence mondialisée, intelligence artificielle, apparition d’une sous-traitance de plus en plus sophistiquée, transformation de certains de ses savoir-faire en commodités. Elle est concurrencée à ses frontières par d’autres professions, mais également par de nouvelles propositions et de nouvelles offres, formulées par des entreprises souvent plus audacieuses, parfois moins scrupuleuses. C’est donc vers une conduite du changement qu’il faut désormais concentrer nos efforts. L’identification de nouveaux modèles d’activité, de nouvelles méthodes d’organisation du travail individuel ou en équipe, la redéfinition de notre rapport à la société et au monde nous imposent toutefois, et au préalable, un examen de la société, de sa sociologie et des enjeux auxquels elle est confrontée – et que nous devons affronter à ses côtés. 1.1. SOCIOLOGIE DE LA PROFESSION D’AVOCAT 1.1.1. Ce que nous pouvons savoir La profession d’avocat a considérablement évolué au cours des deux décennies écoulées, voyant ses effectifs multipliés par deux et connaissant une croissance annuelle constante de l’ordre de 4 %, avec un taux de féminisation significatif qui a franchi la barre des 55 %. 5 Évolution des effectifs de la profession entre le 31 décembre 1996 et le 31 décembre 20151 C’est une profession jeune, 45 % de ses membres ont moins de 40 ans et 75 % moins de 50 ans, qui connait une très forte concentration à Paris et en Ile de France, qui font ainsi jeu égal avec la Province. Les chiffres révèlent une densité moyenne de 90 avocats pour 100 000 habitants, moyenne nationale, mais avec une très grande distorsion suivant les régions. Ainsi y-a-t-il 240 avocats à Paris pour 100 000 habitants contre 30 en Picardie. 1 Source : CNBF – Rapport d’activité 2015 6 Pyramide des âges au 31 décembre 2015 (affiliés, cotisants et retraités). Source : CNBF – Rapport d’activité 2015 C’est une profession particulièrement attractive, principalement pour les étudiants en droit qui fournissent le gros des troupes, mais qui séduit également, de plus en plus, les élèves des grandes écoles : Ecole de droit de Sciences Po, HEC, ESSEC, Sup de Co. Cette attractivité, dont il faut se réjouir car rien ne serait pire qu’une crise des vocations, est d’autant plus importante que le droit est l’une des seules matières universitaires non enseignées au lycée. Cette attractivité est le fruit d’une histoire, d’une perception collective du statut et de la fonction de l’avocat. Le « récit » qui s’est constitué autour de la profession, et qui se prolonge aujourd’hui notamment à travers la chronique judiciaire, genre qui a fort heureusement repris toute sa place dans l’actualité, maintient une image judiciaire de la profession. Ce récit historique crée de l’attractivité mais présente également des inconvénients : elle maintient des idées reçues dans le public, auprès des pouvoirs publics et chez les étudiants sur la réalité quotidienne de la profession et sur la richesse individuelle de ses membres. À certains égards, la mythologie qui s’est constituée autour de la profession cannibalise également les réflexions sur la transformation et l’innovation, comme si une profession si universelle, qui a plusieurs centaines d’années d’existence et qui a vécu sur un modèle assez stationnaire depuis plus de 150 ans en France était insensible, voire indifférente aux transformations de la société. Pourtant, les marqueurs de changement de la profession sont là : le nombre d’avocats augmente chaque année : une croissance entre 3 % et 4,5 % chaque année2. Cette augmentation est drainée par les Ecoles professionnelles et non par des voies parallèles : 1 807 avocats se sont inscrits au Barreau de Paris en 2015, dont 1 500 sont titulaires du Certificat d'aptitude à la profession d'avocat (ci-après « CAPA »). 2 Rapport d’activité 2015 de la CNBF, p. 21 7 C’est aussi une profession profondément hétérogène. Tout d’abord, il existe une différence dans les modes d’exercice (collaboration libérale ou salariée ; exercice à titre individuel ; association). Modes d’exercice de la profession – 2013-2015 Source : CNBF – Rapport d’activité 2015 Des uploads/S4/ rapport-de-kami-haeri-quot-l-x27-avenir-de-la-profession-d-x27-avocat-quot.pdf
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- Publié le Aoû 30, 2021
- Catégorie Law / Droit
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