DMF 694 [ Juillet - Août 2008 ] 595 NAVIRE TRANSPORT MARITIME GENS DE MER Doctr
DMF 694 [ Juillet - Août 2008 ] 595 NAVIRE TRANSPORT MARITIME GENS DE MER Doctrine NTG La responsabilité civile du pilote > Commandant François LAFFOUCRIÈRE Capitaine de 1ère classe de la Navigation Maritime Pilote maritime de la station de pilotage du Havre-Fécamp Master 1 de droit international et européen Le pilotage maritime est une activité peu connue du grand public. Cette activité consiste à ce qu’un pilote monte à bord des navires approchant ou quittant un port afin d’assister,par les connaissances particulières qu’il a des lieux, un capitaine de façon à ce que celui-ci entame ou achève en toute sécurité l’expédition maritime. Il s’agit d’une activité à risques qui peut être l’occasion d’accidents source de dommages pour les différents intervenants comme pour les tiers. Se pose alors la question de la responsabilité des dommages occasion- nés lors d’opérations nautiques auxquelles participe le pilote maritime (1). La définition du pilotage est donnée par l’article premier de la loi du 28 mars 1928 qui dispose : « Le pilotage consiste dans l’assistance donnée aux capitaines par un per- sonnel commissionné par l’État pour la conduite des navires à l’entrée et à la sortie des ports, dans les ports, rades et eaux maritimes des fleuves et des canaux. ». Il résulte de cette définition que « Les pilotes ne sont pas des fonctionnaires mais collaborent à l’exécution d’un service public sous le contrôle du ministère chargé des services de la Marine Marchande,... » (2). Le pilotage est obligatoire (article 3 du décret n° 69-515 du 19 mai 1969).Ro- bert Rézenthel (3), le justifie de part des impératifs de sécurité, renforcée par un souci d’efficacité de la gestion de ce service public et du domaine public.Jacques Bolopion (4) précise qu’il n’y a « jamais en Europe (et dans le monde) de ports de quelque (1) L’acte de pilotage est effectué par le pilote qui n’engage que sa responsabilité personnelle. (2) C.E., 13 décembre 1929, Exbrayat: Rec.CE,p.1113,concl.Josse.(3) Robert REZENTHEL,« Le pilotage dans les eaux portuaires », DMF 1988,355.(4) Jacques BOLOPION, « Le pilotage maritime dans les pays de la CEE », Journal de la marine marchande, 27 mars 1992, pp. 752-754. 596 [ Juillet - Août 2008 ] DMF 694 importance sans un pilotage obligatoire.».Il ajoute également que :« Profession indispen- sable au transport maritime, le pilotage doit concilier deux exigences : la sécurité et la protection de l’environnement dans les voies d’accès aux ports (5) ; la productivité portuaire impliquant un écoulement rapide du trafic au moindre coût possible.» Le pilote assure donc un service public (6) mais est également un acteur de droit privé. Dans le cadre de sa mission,le pilote conclut tacitement (7) un contrat d’en- treprise sui generis avec le capitaine du navire (représentant de l’armateur). En application de ce contrat, le pilote s’engage à donner des conseils au capitaine moyennant un prix fixé à l’avance.Le pilote n’est ni le subordonné de l’armateur ou de son représentant, le capitaine, ni un préposé (8), il est « soumis seulement aux exigences de son statut propre » (9).Le capitaine,de son côté,« conserve le commandement et la direction du bâtiment et la responsabilité des manœuvres sans être tenu de se plier aux indications du pilote » (10). Il est possible de voir apparaître les deux facettes de l’activité de pilotage,celle de service public rendu au bénéfice de la collectivité en général et des installa- tions portuaires en particulier,et celle de service commercial rendu au bénéfice du navire utilisateur. C’est ce qui explique que cette activité bénéficie d’un monopole légal. Pour Robert Rézenthel, « il ne paraît pas concevable d’admettre le libre exercice du pilotage au sein de l’UE, car une concurrence effrénée pourrait mettre en péril le fonctionnement du service public » (11).Il est intéressant de noter que ces deux caractéristiques du pilotage portuaire,obligatoire et non concurrentiel,loin de repré- senter une quelconque « exception culturelle française »,se retrouvent dans la quasi totalité des pays maritimes, comme aux États-Unis d’Amérique, champions du libéralisme ;les rares cas isolés (12) où la concurrence a été introduite dévoilent de tels problèmes qu’ils n’ont point fait école. Sous tutelle de l’État,les pilotes sont tenus de servir tous les navires,ceux sou- mis à cette obligation comme ceux qui n’y seraient pas soumis, par exception, mais qui désireraient néanmoins leurs services,et ce,dans l’ordre d’arrivée (13). Le pilote doit se tenir à la disposition des usagers et porter assistance aux navires en danger (14).De plus,les tarifs de pilotage,qualifié de redevance (15),ne sont pas laissés à l’appréciation des pilotes mais fixés par arrêté préfectoral après consul- tation d’une assemblée commerciale (16). (5) La réduction de la zone obligatoire de pilotage du terminal de Valdez en Alaska a été suivi six mois plus tard par l’échouement, le 24 mars 1989, du navire pétrolier « Exxon Valdez » dans le détroit du Prince William, auparavant zone de pilotage obligatoire. Cet échouement provoqua le déversement de 38500 tonnes de pétroles brut à la mer, et les conséquences que l’on connait. (6) C.E. Section, 2 juin 1972, « Fédération française des syndicats professionnels de pilotes maritimes », Rec. CE, p. 407; AJDA 1972, p. 647, conclusions M. Rougevin-Baville. (7) Il s’agit d’un contrat d’adhésion non écrit dont les termes sont fixés par la loi. (8) Voir Infra. (9) T.G.I. Rouen, 22 février 1965, navire Marie-Louise Schiaffino, DMF 1965, 676, et la note R. Jambu-Merlin. (10) Cour d’appel de Rouen (2e Ch.), 29 avril 1966, navire Marie-Louise Schiaffino, DMF 1966, 426, et la note P. EMO.Voir aussi Cour d’appel d’Alger, 11 février 1957, DMF 1957, 423. (Seul le paiement est obligatoire.). (11) Robert REZENTHEL, op. cit., p. 362. (12) Les exemples de libéralisation du service de pilotage, en Argentine où il a fallu revenir à la législation antérieure, ou en Australie en ce qui concerne le pilotage à travers la « Grande barrière de Corail », ont, par des considérations commerciales primant la sécurité, dévoilé une diminution de la qualité du service pour une diminution de coût qu’il reste encore à établir. Dans ce dernier cas la législation et la réglementation sont en constante évolution du fait des problèmes rencontrés et des accidents survenus. (13) Article 6 alinéa 3 du décret n° 69-515 du 19 mai 1969. (14) Articles 6 et 15 de la loi du 28 mars 1928. (15) Robert REZENTHEL, op. cit., p. 360. (16) Article 15 du décret n° 69-515 du 19 mai 1969. Doctrine DMF 694 [ Juillet - Août 2008 ] 597 NTG Cette tutelle de l’État se retrouve dans l’organisation de ce service public (17). Le pilote,après avoir réussit un concours,est commissionné par l’État.Depuis la loi relative à la décentralisation n° 82-213 du 21 juillet 1982, c’est le préfet de région,et par délégation le directeur régional des affaires maritimes (18) qui pro- cède à la nomination des pilotes. Si le pilotage maritime a été reconnu comme un service public en droit interne, il a également été reconnu service d’intérêt général sur le plan communau- taire (19).L’activité de pilotage reste cependant soumise au droit communautaire (20), et notamment au droit de la concurrence. Cependant, une entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général peut déroger aux règles de la concurrence si l’application de celle-ci fait échec à l’accomplissement,en droit ou en fait, aux obligations particulières qui incombent à cette entreprise. Les dérogations sont également possibles par rapport aux règles intéressant la libre circulation (21) dans la mesure où elles sont nécessaires pour l’accomplissement des missions de service d’intérêt économique général. C’est dans ces conditions que la Communauté Européenne reconnaît la légalité du caractère obligatoire du pilotage et le monopole dont bénéficient les pilotes. Le pilotage maritime est une institution, très ancienne mais modernisée, qui a un double objectif ou un double caractère,de service public et de service à un armateur, pour lequel un certain équilibre doit être conservé. Cette activité à risques pouvant causer des dommages,il est nécessaire de s’interroger également sur la responsabilité qu’elle engendre. La responsabilité contractuelle est celle qui nous préoccupera dans les rap- ports entre le pilote et le capitaine du navire ou l’armateur puisqu’ils sont liés par le contrat de pilotage.Ce dernier est un contrat d’entreprise qui a pour ob- jet une prestation de nature intellectuelle qui comporte des aléas.A ce titre, est mise à la charge du pilote une obligation de moyen (22) : c’est-à-dire que pour engager la responsabilité du pilote, il faut démontrer qu’il a commis une faute. Cependant,le pilote a des devoirs dont le non respect engage systématiquement sa responsabilité ; il en est ainsi s’il n’a pas respecté les usages professionnels, son devoir d’information,son devoir de prudence et de surveillance,ou son obliga- tion de sécurité. La responsabilité délictuelle, en l’absence de tout contrat, est celle qui nous préoccupera dans les rapports entre le pilote et les tiers. Il s’agira alors de déterminer si le pilote pourrait être considéré comme ayant la garde du navire et donc se voir appliquer l’article 1384 alinéa 1 du code civil. Il s’agira égale- ment d’examiner si sa faute,sa négligence ou son imprudence pourrait engager uploads/S4/ rc-du-pilote.pdf
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- Publié le Jul 04, 2021
- Catégorie Law / Droit
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