« CE QUI RÉSISTE, C'EST LA PRISON. » SURVEILLER ET PUNIR, DE MICHEL FOUCAULT Je

« CE QUI RÉSISTE, C'EST LA PRISON. » SURVEILLER ET PUNIR, DE MICHEL FOUCAULT Jean-François Bert La Découverte | « Revue du MAUSS » 2012/2 n° 40 | pages 161 à 172 ISSN 1247-4819 ISBN 9782707174963 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2012-2-page-161.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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L’ambition de Foucault était certes de donner à voir la manière dont les pouvoirs agissent au travers des corps, mais Surveiller et punir lui a permis aussi de renouer avec un problème théorique qu’il n’a cessé de poser dans son travail depuis l’Histoire de la folie (1961) et dont la radicalité le rend toujours actuel : « Un fait est caractéristique : lorsqu’il est question de modifier le régime de l’emprisonnement, le blocage ne vient pas de la seule institution judiciaire ; ce qui résiste, ce n’est pas la prison-sanction pénale, mais la prison avec toutes ses déterminations, liens et effets extra-judiciaires ; c’est la prison, relais dans un réseau général des disciplines et des surveillances ; la prison, telle qu’elle fonctionne dans un régime panoptique. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne peut pas être modifiée, ni qu’elle est une fois pour toutes indispensable à un type de société comme la nôtre » [Foucault, 1975, p. 357]. La prison n’est pas fi lle des lois mais de la norme. Elle ne sert qu’à une chose, créer de la délinquance qui, en retour, permet un contrôle de plus en plus profond des populations. Si cette institution a pu subsister jusqu’à nous, c’est parce qu’elle a été portée par un régime politique ayant pour but de rendre « docile » et « utile » © La Découverte | Téléchargé le 01/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 148.102.179.84) © La Découverte | Téléchargé le 01/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 148.102.179.84) SORTIR DE (LA) PRISON 162 l’accumulation des hommes. En d’autres termes, la prison résulte d’un choix. Elle n’a pas toujours existé et a par ailleurs été tout de suite considérée comme « boiteuse » [Foucault, ibid., p. 347], pour reprendre une autre expression de Foucault. En 1980, à l’occasion d’un débat qui l’oppose à des historiens membres de la Société d’histoire de 1848, et plus particulièrement à Maurice Agulhon, Foucault rappelle qu’il n’avait pas eu la vocation, avec Surveiller et punir, de dresser un tableau de la délinquance au XIXe siècle, mais plutôt de comprendre comment certains choix se sont opérés. C’est dans ce cadre particulier qu’il lui paraissait important d’inventorier les différents domaines qui ont informé ce choix de la prison. Il en indique trois : « 1) des manières de penser, des concepts, des thèses qui ont pu constituer, à l’époque, un consensus plus ou moins contraignant – un paradigme théorique (en l’occurrence celui des “philosophes” ou des “idéologues”) ; 2) des modèles effectivement mis en œuvre et expérimentés ailleurs (Hollande, Angleterre, Amérique) ; 3) l’ensemble des procédures rationnelles et des techniques réfléchies par lesquelles à l’époque on prétendait agir sur la conduite des individus, les dresser, les réformer » [Foucault, 1980, p. 34]. Par cette réfl exion généalogique, Foucault cherche – comme à son habitude – à mettre en crise les pratiques en questionnant les processus qui sous-tendent la constitution et la stabilisation de certains phénomènes dans le temps. Cette « histoire des singularités non nécessaires » distingue, particularise et permet ainsi de mettre au jour différentes formes ou confi gurations de pouvoir/savoir. C’était déjà son idée lorsque, durant les années 1960, il interrogeait ce qui rend possible l’« énoncé » en tant qu’« élément dernier indécomposable, susceptible d’être isolé en lui-même et capable d’entrer dans un jeu de relations avec d’autres éléments semblables à lui » [Foucault, 1969, p. 106]. Quelles sont les conditions d’apparition, de développement et de disparition des discours ? Pourquoi le contenu des discours varie-t-il de façon importante selon les époques ? Pourquoi, à une même époque, certains concepts, phrases et notions entrent et restent dans la mémoire et l’ordinaire des individus alors que d’autres sont rejetés ou passés sous silence ? Durant les années 1970, Foucault déplace ce questionnement épistémologique vers les pratiques, mais sans pour autant lâcher © La Découverte | Téléchargé le 01/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 148.102.179.84) © La Découverte | Téléchargé le 01/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 148.102.179.84) 163 « CE QUI RÉSISTE, C'EST LA PRISON. » SURVEILLER ET PUNIR… son ambition théorique première1. Ce qui lui importe, toujours, c’est de comprendre la manière dont le pouvoir se transforme en un savoir qui, à son tour, s’installe comme vérité dans la société. Ce nouveau travail de sape l’oblige à démasquer, comme dans Surveiller et punir, la complaisance des individus à l’endroit de leur situation sociale. Pourquoi acceptons-nous si allégrement la situation présente, pourquoi obéissons-nous aussi facilement à des formes de pouvoir délirantes dont l’effet est de nous rendre toujours plus dociles ? Les généalogies de Surveiller et punir Surveiller et punir. Naissance de la prison, publié en février 1975, est fortement marqué par les formes de contestation nées en 1968 qui, en France, continuent à avoir leur infl uence dans les universités et les lycées (mouvement des lycéens en 1973), ainsi que dans différents mouvements sociaux qui agitent les entreprises ou le monde rural (Lip en 1973). Depuis 1971, Foucault est largement engagé au sein du GIP2 (Groupe information prisons), au point de décider d’explorer dans ses premiers cours au Collège de France 1. Pour s’en convaincre, on peut se reporter à son cours « Il faut défendre la société » (1974-1975), contemporain de la sortie de Surveiller et punir. C’est en tant qu’historien des systèmes de pensée que Foucault décide d’interroger la postérité des théories du contrat social dans l’histoire de la philosophie politique. Comment expliquer, par exemple, que de nombreux modèles de pensée se fondent sur la métaphore hobbesienne du Léviathan qui donne de l’homme l’image d’une matière muette, « contre laquelle viendrait frapper le pouvoir qui soumettrait les individus ou les briserait » [Foucault, 1997, p. 27] ? Quand et comment, se demande-t-il, ces modèles l’ont-ils emporté dans la tradition philosophique et pourquoi, encore maintenant, lorsqu’on pose la question de l’exercice du pouvoir, on continue à s’y référer ? 2. Si Foucault a été attentif à ce problème, c’est que le travail qu’il a mené au sein du GIP lui a permis de « sortir de la bibliothèque » au profit de « l’intervention et de l’action » en participant à l’élaboration et à la distribution aux portes des prisons, parmi les familles de détenus, des « enquêtes intolérance ». Son dessein était de recueillir mais aussi de révéler ce qui est de l’ordre de l’intolérable : « Le GIP ne se propose pas de parler pour les détenus des différentes prisons. Il se propose au contraire de leur donner la possibilité de parler eux-mêmes, et de dire ce qui se passe dans les prisons. Le but du GIP n’est pas réformiste, nous ne rêvons pas d’une prison idéale : nous souhaitons que les prisonniers puissent dire ce qui est intolérable dans le système de la répression pénale. Nous devons répandre le plus vite possible et le plus largement possible ces révélations faites par les prisonniers eux-mêmes ; seul moyen pour unifier © La Découverte | Téléchargé le 01/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 148.102.179.84) © La Découverte | Téléchargé le 01/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 148.102.179.84) SORTIR DE (LA) PRISON 164 (« Théories et institutions pénales » de 1971-1972, mais surtout « La société punitive » de 1972-1973) les technologies de pouvoir modernes à partir de la genèse de la prison, genèse sinueuse et complexe. C’est dans ces deux cours, aussi, qu’il pose pour la première fois ce qui deviendra la question centrale de Surveiller et punir : pourquoi l’emprisonnement, la détention ont-ils été considérés comme préférables alors même que ce système connaît de nombreux dysfonctionnements ? Pourquoi la prison surgit-elle au début du XVIIIe siècle comme une institution sans justifi cation théorique ? Dans « La société uploads/S4/ rdm-040-0161.pdf

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  • Publié le Mar 06, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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