1 « Religions et droit international humanitaire : histoire et actualité d’un d

1 « Religions et droit international humanitaire : histoire et actualité d’un dialogue nécessaire », in Anne-Sophie MILLET-DEVALLE (Ed.) Religions et Droit International Humanitaire. Paris, Pedone, 2008, pp. 9-45 “Religions et droit international humanitaire: histoire et actualité d’un dialogue nécessaire” Michel Veuthey ∗ Introduction L’Institut international de droit humanitaire est heureux d’organiser avec l’I.D.P.D. ce Colloque sur un thème “Religions et Droit international humanitaire”qui gagne constamment en actualité. Il y a deux semaines, le 7 juin, se tenait à San Remo une réunion de Prix Nobel de la Paix sur le dialogue inter-religieux et la paix. La semaine dernière, à Genève, en marge du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, des dirigeants spirituels, dont le Grand Rabbin Guedj, qui nous fait l’honneur de participer à ce Colloque de Nice, se réunissaient sur le thème “Religions et pauvreté”. Permettez-moi aussi d’adresser un hommage au Professeur Jovica Patrnogic, décédé le 6 mai dernier, qui a été un des fondateurs de l’Institut International de Droit Humanitaire de San Remo et qui l’a présidé pendant de longues années. Il a été un des principaux artisans de l’ « esprit de San Remo », caractérisé par un dialogue sérieux et informel à la fois, dans un respect mutuel. Il aurait certainement pu apporter une contribution importante à nos travaux. « Religions et droit international humanitaire », la juxtaposition de ces deux thèmes a semblé de prime abord difficile aux organisateurs de ce Colloque comme à plusieurs orateurs, juristes ou religieux. Le dialogue entre religions et juristes positivistes n’a en effet longtemps porté que sur des sujets particuliers, comme la protection des aumôniers, la liberté des personnes détenues et des populations occupées à exercer leur religion ou la prise en compte des rites religieux dans les sépultures en temps de conflit armé.1 Le droit international humanitaire a vécu, comme le reste de la société occidentale, l’ « éclipse du religieux ».2 ∗ Docteur en droit (Genève), Vice-Président de lʼInstitut International de droit humanitaire (San Remo), Professeur associé, I.D.P.D., Université de Nice. Lʼauteur voudrait remercier Bertrand LOZE pour ses précieux conseils sur la structure de cet article ainsi quʼAnne QUINTIN pour la mise en forme des notes de bas de page. 1 Voir notamment Jean-Luc HIEBEL, Assistance spirituelle et conflits armés, Institut Henry-Dunant, Genève,1980, 462 p.; Stefan LUNZE, The Protection of Religious Personnel in Armed Conflict, Lang, Franfurt am Main, 2004, 219 p. ; et, du même auteur, “Serving God and Caesar: Religious personnel and their protection in armed conflict”, Revue Internationale de la Croix-Rouge, No. 853 (Mars 2004), pp. 69-92. Voir aussi Captain Paul McLAUGHLIN, The Chaplainʼs Evolving Role in Peace and Humanitarian Relief Operations, Washington DC, United States Institute of Peace (USIP), 2002, 42 p. (Peaceworks 46) et CONSEIL PONTIFICAL “JUSTICE ET PAIX” et CONGREGATION POUR LES EVEQUES, Le droit humanitaire et les aumôniers militaires. Cours international pour la formation des aumôniers catholiques militaires au droit humanitaire (Rome, 25-26 mars 2003), Cité du Vatican, 2004, 166 p. 2 Voir Marcel GAUCHET, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, Paris, 1985, 457 p. ; et, du même auteur, La religion dans la démocratie, Gallimard, Paris, 1998, 127 p. 2 Et, pourtant, à l’heure du « retour du religieux »,3 ce dialogue entre religions et droit humanitaire nous semble aujourd’hui nécessaire sous trois aspects : - d’abord pour étudier les sources historiques et anthropologiques du droit international humanitaire dans toutes les civilisations, sources auxquelles les religions ne sont pas étrangères comme nous le verrons par la suite ; - ensuite, pour approfondir les motivations des parties en conflit de respecter le droit international humanitaire dans les conflits contemporains, où les convictions religieuses, occupant une place croissante, peuvent appuyer la légitimité de ce droit tout en diffusant ses fondements et son esprit au-delà des milieux juridiques ; - enfin, pour contribuer à la réaffirmation des principes fondamentaux du droit international humanitaire en ancrant ces principes à nouveau dans la conscience publique de toutes les civilisations, dans la mesure où l’aspect religieux constitue, particulièrement en dehors de l’Europe occidentale contemporaine, un aspect majeur de la conscience publique. L’étude des sources historiques et anthropologiques des limites à la violence et de la protection des victimes des conflits armés permet en effet de retracer les origines du droit humanitaire, les motivations qui peuvent amener les protagonistes aux conflits passés et contemporains à les respecter, et également d’en fonder l’acceptabilité universelle et d’en réaffirmer plus largement les normes essentielles à un moment où les normes du droit positif sont remises en cause par certains Etats – et non des moindres – ainsi que par des acteurs non- étatiques. Si l’on veut commencer par définir ce qu’est le droit humanitaire, la définition la plus simple et la plus universelle s’en trouve dans une norme fondamentale d’origine religieuse : la Règle d’Or (“Faites aux autres ce que vous voudriez que l’on vous fasse” ou, dans la formulation négative, “Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas que les autres vous fassent”), qui implique une double exigence d’interdiction et d’obligation, de réciprocité dans les limitations de l’usage de la violence et de solidarité dans l’action humanitaire. Cette Règle d’Or est contenue dans la plupart des traditions religieuses:4 Hindouisme,5 Confucianisme,6 Bouddhisme,7 Taoïsme,8 Zoroastrisme,9 Judaïsme,10 Christianisme,11 Islam,12 Bahaïsme.13 En 3 Voir notamment à ce sujet Patrick de LAUBIER, Phénoménologie de la religion. Paris, Desclée de Brouwer, 2007, 198 p. 4 Les citations qui suivent se trouvent sur le site http://prolib.net/ethique/203.000.regle_dor.htm 5 "Telle est la somme du devoir : ne fais pas aux autres ce qui, à toi, te causerait de la peine" (Mahabarata, 5; 15,17) 6 "Voici certainement la maxime d'amour : ne pas faire aux autres ce que l'on ne veut pas qu'ils nous fassent" (CONFUCIUS, Analectes, 15; 23) 7 "Ne blesse pas les autres avec ce qui te fait souffrir toi-même" (Sutta Pikata, Udanavagga 5,18) "Dans le bonheur et la souffrance, nous devons nous abstenir d'infliger aux autres ce que nous n'aimerions pas de nous voir infliger" (Mahavira, Yogashatra 2,20) 8 "Considère que ton voisin gagne ton pain, et que ton voisin perd ce que tu perds " (T'ai shang Kan Ying Pien) 9 "La nature seule est bonne qui se réprime pour ne point faire à autrui ce qui ne serait pas bon pour elle" (Dadistan-i-dinik, 94) 10 - "Ce que tu tiens pour haïssable, ne le fais pas à ton prochain. C'est là toute la Loi, le reste n'est que commentaire" (Rabbin HiLLEL, Talmud, sabbat, 31-A) - "Aime ton prochain comme toi-même" (Lévitique 19; 18) 3 outre, sacré et interdit ont plus que le mot arabe “haram” ou le terme, d’origine polynésienne, “tabou”,14 en commun. Ainsi, dans l’Antiquité européenne, grecque et latine, comme le montre Fustel de Coullanges, le droit a une origine religieuse.15 Héraclite et Cicéron l’expriment de la manière suivante : “Ceux qui parlent avec intelligence doivent tenir ferme à ce qui est commun à tous, de même qu’une cité tient ferme à sa loi, et même plus fortement. Car toutes les lois humaines sont nourries par une seule loi divine. Elle prévaut autant qu’elle le veut, suffit à toutes choses sans même s’épuiser.” (Héraclite)16 “Il existe une loi conforme à la nature, commune à tous les hommes, raisonnable et éternelle, qui nous commande la vertu et nous défend l'injustice. Cette loi n'est pas de celles qu'il est permis d'enfreindre et d'éluder, ou qui peuvent être changées entièrement. Ni le peuple, ni les magistrats, n'ont le pouvoir de délier des obligations qu'elle impose. Elle n'est pas autre à Rome, autre à Athènes, ni différente aujourd'hui de ce qu'elle sera demain ; universelle, inflexible, toujours la même, elle embrasse toutes les nations et tous les siècles. Cette loi, on ne peut l'infirmer par d'autres lois, ni la rapporter en quelque partie, ni l'abroger en entier ; il n'est ni sénatus-consulte, ni plébiscite qui puisse délier de l'obéissance que nous lui devons ; elle n'a pas besoin du secours d'un interprète qui l'explique et la commente à nos âmes." (Cicéron)17 La limite de ces règles religieuses imposant des normes d’humanité en temps de conflit armé sur des fondements très proches est qu’elles n’étaient ordinairement applicables qu’entre membres de la même civilisation (voire du même peuple ou de la même tribu) : Platon lui- même écrit qu’il fallait observer certaines limitations dans les guerres entre cités grecques, mais que ces limites n’avaient plus cours dans les guerres contre les Perses…18 Chaque civilisation a ainsi formé des « îles d’humanité »19 à l’intérieur desquelles certaines règles 11 - " Ainsi, tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le de même pour eux : voilà la Loi et les Prophètes" (Matthieu, 7; 12) - "Comme vous voulez que les gens agissent envers vous, agissez de même envers eux" (Luc 6; 31) 12 "Nul de vous n'est un croyant s'il ne désire pour son frère ce qu'il désire pour lui-même" (13e des 40 Hadiths de Nawawi) 13 "Ne souhaitez pas aux autres ce que uploads/S4/ religions-et-droit-international-humanitaire.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Oct 12, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.5178MB