Responsabilité des intermédiaires de l'internet – Réflexions autour de quelques
Responsabilité des intermédiaires de l'internet – Réflexions autour de quelques affaires emblématiques Etienne MONTERO Professeur ordinaire aux FUNDP (Namur) Doyen de la Faculté de droit Propos liminaires 1. En quelques années, l’internet s’est imposé comme un outil de communication incontournable dans tous les secteurs de la société et dans nombre de foyers. Qui n’y recourt pas aujourd’hui, à des fins professionnelles ou privées, pour chercher des informations, vendre ou acheter des biens, réserver un billet d’avion, consulter un compte de messagerie, poster un commentaire dans un forum de discussion ou un blog, etc. ? Comme toute technologie aux mains des hommes, l’internet peut être utilisé à bon ou à mauvais escient : il favorise les échanges entre personnes éloignées, permet une diffusion des connaissances à grande échelle et offre d’infinies possibilités d’enrichissement personnel (à condition de veiller à la qualité des contenus proposés) ; mais l’internet permet aussi à la malice humaine de s’exprimer dans des formes nouvelles et de donner à ses méfaits une portée sans précédent. L’internet est au cœur d’un contentieux aux multiples facettes et qui ne cesse de croître1. Personne n’est à l’abri d’un préjudice découlant d’un usage peu scrupuleux de tel ou tel service offert par le biais de l’internet. Les exemples sont légion : atteintes aux droits à l’image et à la vie privée (photos ou vidéos diffusées dans un réseau social ou sur un site de partage de contenus à l’insu des intéressés, collecte de données à caractère personnel dans le cadre d’une campagne de marketing viral, cybersurveillance sur le lieu de travail…), violation de droits de marque (dans le contexte de la réservation de noms de domaine, du référencement ou des métatags…), atteinte à des droits d’auteurs (téléchargement sans autorisation de films, de fichiers musicaux et d’autres œuvres protégées…), atteintes à l’honneur et à la réputation des personnes, physiques ou morales (diffamation sur un blog, dans un forum de discussion, dans un journal en ligne…), cybercriminalité (intrusion dans un système d’information et destruction de données, diffusion de virus, fraudes dans des paiements en ligne…), etc. 2. Le nombre de litiges portés en justice est en claire augmentation avec l’essor des sites communautaires et participatifs tels les réseaux sociaux (Myspace, Facebook…), les mondes virtuels (Second Life…), les sites de partage de contenus (Dailymotion, YouTube…), les places de marché électroniques (eBay…), les wikis, les blogs… Tous ces sites de seconde génération – ressortissant à ce qu’il est convenu d’appeler le Web 2.0 – ont en commun qu’ils se présentent comme une structure destinée à accueillir les contenus apportés par les internautes eux-mêmes. Le fait que tout un chacun se voit ainsi offrir des facilités sans précédent pour diffuser des contenus sur le réseau des réseaux constitue, comme on peut déjà le constater, un évident facteur d’aggravation des risques d’atteintes à l’honneur, à l’image, à la vie privée, à des droits intellectuels… 1 Cf. les centaines de décisions commentées dans la « Chronique de jurisprudence en droit des technologies de l’information (2002-2008) », R.D.T.I., n° 35, juin 2009. 1 3. Comme dans tous les médias de masse, la diffusion de l’information par le biais de l’internet suppose le concours d’une pluralité d’intervenants : titulaires de sites, prestataires d’hébergement, fournisseurs d’infrastructure et d’accès au réseau, gestionnaires de réseaux, fournisseurs d’annuaires et moteurs de recherche… A cet égard, se pose la question de savoir qui, parmi les différents intervenants, peut être tenu pour responsable à l’égard d’un contenu illicite. Par exemple, en cas de propos haineux tenus dans un forum de discussion, faut-il imputer la responsabilité à l’auteur du message, à l’éditeur du forum, au modérateur, au prestataire qui assure le stockage matériel des contenus, au prestataire qui se borne à permettre l’accès au forum… ? La personne qui est à l’origine du contenu litigieux (mise sur le Web d’œuvres contrefaites, propos calomnieux publiés sur un site, message injurieux et diffamatoire posté dans un forum de discussion, commentaire à connotation raciste et xénophobe posté dans un blog…2) est bien sûr responsable en première ligne des éventuels préjudices, matériels et/ou moraux, causés par cette diffusion. On tendrait à l’oublier tant les prestataires techniques sont au centre de tous les débats relatifs à la responsabilité des acteurs de l’internet. Il est vrai que l’identification des auteurs de contenus illicites ou préjudiciables n’est pas toujours aisée dans un environnement numérique ouvert tel l’internet, où il est facile d’œuvrer à partir de l’étranger et/ou dans l’anonymat. Les prestataires intermédiaires assurant le transport ou le stockage des contenus litigieux sont, quant à eux, connus et identifiés, à portée de main de la victime et généralement solvables. C’est pourquoi ils sont très tôt et naturellement devenus la cible privilégiée des actions en responsabilité. 4. Aussi, dès la fin des années 90, la question de la responsabilité des intermédiaires techniques eu égard aux contenus illicites transmis ou stockés par leur soin a-t-elle été au cœur des discussions lors de l’adoption de la directive sur le commerce électronique3. A l’instar du Digital Millenium Copyright Act du 28 octobre 1998, dont elle s’inspire4, la section 4 de cette directive entend réaliser un compromis équilibré entre les intérêts des prestataires de service d’intermédiation de l’internet et ceux de l’industrie des contenus (créateurs et titulaires de droits sur les logiciels, musiques, vidéos, films…). Il est à noter qu’à la différence de la loi américaine qui, s’inscrivant dans une optique verticale, vise uniquement les atteintes au copyright, la section 4 de la directive 2000/31 couvre, elle, de façon horizontale tous les types d’activités illicites exercées en ligne par des tiers5. Les deux textes ont en commun d’établir une série d’exonérations de responsabilité, sous conditions, au profit de certaines activités exercées par des prestataires intermédiaires, à savoir le « simple 2 Pour des références jurisprudentielles, E. MONTERO et H. JACQUEMIN, « La responsabilité civile des médias », in Responsabilités – Traité théorique et pratique, Livre 26ter, vol. 3, Bruxelles, Kluwer, 2004, p. 27 et s., n° 211 et s. ; C. SCHÖLLER, « Chronique de jurisprudence en droit des technologies de l’information (2002-2008) − IV. B. Liberté d’expression », R.D.T.I., n° 35, 2009, spéc. p. 118 et s. 3 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), J.O.C.E., n° L 178 du 17 juillet 2000, p. 1. 4 Pour une comparaison des deux systèmes, E. MONTERO et H. JACQUEMIN, « La responsabilité civile des médias », op. cit., p. 18 et s., n° 189 et s.; R. JULIA-BARCELO, « On-line Intermediary Liability Issues : Comparing E.U. and U.S. Legal Framework», E.I.P.R., 2000, pp. 106-119 ; V. SEDALLIAN, « La responsabilité des prestataires techniques sur Internet dans le Digital Millenium Copyright Act américain et le projet de directive européenne sur le commerce électronique », Cahiers Lamy droit de l’informatique et des réseaux, n° 110, 1999, pp. 1-4. 5 Cette directive a été transposée en droit belge par deux lois distinctes : la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information visés à l’article 77 de la Constitution, M.B., 17 mars 2003, p. 12960 et la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information, M.B., 17 mars 2003, p. 12963 (citée LSSI). 2 transport » qui consiste à transmettre des informations sur un réseau de communication ou à fournir l’accès à un tel réseau6, le stockage des données sous forme de cache (copies temporaires)7 et l’hébergement consistant à stocker des informations fournies par un 8 estinataire du service . es tiers parmi lesquels les titulaires de droits intellectuels – victimes d’une diffusion illicite. 1), vant d’illustrer sa mise en œuvre à travers quelques affaires emblématiques (section 2). ection 1. Aperçu du régime de responsabilité des intermédiaires de l’internet ligeable –, tout en les éloignant de tentation de pratiquer des formes de censure préalable. d A la base du régime de responsabilité mis en place gît un double constat. D’un côté, les prestataires intermédiaires – cantonnés dans un rôle purement technique – ne sont pas supposés prendre connaissance des contenus dont ils assurent le transport ou le stockage ; par ailleurs, si leur responsabilité pouvait être facilement engagée, ils se montreraient forcément peu enclins à prêter leur concours à la fourniture de services potentiellement risqués tels ceux destinés à accueillir des contenus divers fournis par les usagers de l’internet ; la liberté d’expression s’en serait trouvée bridée et l’on aurait pas vu émerger les sites participatifs et communautaires qui fleurissent aujourd’hui sur la Toile. D’un autre côté, les prestataires intermédiaires sont idéalement placés et les mieux outillés pour prévenir ou faire cesser les activités illégales exercées par le biais de leurs services. L’on n’aurait pas compris que leur position privilégiée ne puisse être utilement exploitée dans l’intérêt des utilisateurs et d – Le souci de réaliser un « équilibre entre les différents intérêts en jeux uploads/S4/ responsabilite-internet.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 05, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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