La Revue des droits de l’homme Revue du Centre de recherches et d’études sur le
La Revue des droits de l’homme Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux 1 | 2012 Revue des droits de l'homme - N° 1 Chapitre 3. La justiciabilité de l’obligation alimentaire entre parents et alliés Quels enseignements pour la justiciabilité des droits sociaux ? Marc Pichard Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/revdh/155 DOI : 10.4000/revdh.155 ISSN : 2264-119X Éditeur Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux Édition imprimée Date de publication : 1 juin 2012 Pagination : 426-439 Référence électronique Marc Pichard, « Chapitre 3. La justiciabilité de l’obligation alimentaire entre parents et alliés », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 1 | 2012, mis en ligne le 30 juin 2012, consulté le 21 septembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/revdh/155 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.155 Tous droits réservés Droits des pauvres, pauvres droits ? Recherches sur la justiciabilité des droits sociaux 426 CHAPITRE 3 LA JUSTICIABILITE DE L’OBLIGATION ALIMENTAIRE ENTRE PARENTS ET ALLIES : QUELS ENSEIGNEMENTS POUR LA JUSTICIABILITE DES DROITS SOCIAUX ? MARC PICHARD « Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin »1220 ; « les gendres et les belles-filles doivent également, et dans les mêmes circonstances, des aliments à leur beau-père et belle-mère »1221 ; « les obligations résultant de ces dispositions sont réciproques »1222. A lire le Code civil, les secours en cas de besoin sont à attendre non pas de la collectivité mais de la famille ou, plus précisément, des parents et alliés1223. Et l’impression sort renforcée de la consultation d’autres sources. L’article L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles ne dispose-t-il pas que « les personnes tenues à l’obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à l’occasion de toute demande d’aide sociale, invitées à indiquer l’aide qu’elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais », illustrant de la sorte le principe traditionnel de subsidiarité de l’aide de la collectivité par rapport à l’aide familiale ?1224 Or, au premier abord, cette origine en principe familiale des aliments semble éloigner la question du thème des droits sociaux1225. On a en effet du mal à concevoir que l’obligation alimentaire entre parents et alliés puisse être un vecteur de la justice sociale. Parfois, l’effet pourrait même être contraire. Car il n’est certes pas rare que les parents et alliés du pauvre soient pauvres, les parents et alliés du riche, riches. Or la mesure de l’obligation est le rapport 1220 C. civ., art. 205. 1221 C. civ., art. 206, qui précise : « mais cette obligation cesse lorsque celui des époux qui produisait l’affinité et les enfants issus de son union avec l’autre époux sont décédés ». 1222 C. civ., art. 207, al. 1er. 1223 Le droit civil raisonne bien plus en termes de liens interindividuels que de droit contre un groupe, de sorte qu’il est assez discutable de parler d’obligation alimentaire familiale : v. Dominique EVERAERT-DUMONT, « Le paradoxe des obligations alimentaires ou comment concilier principe de solidarité et obligation personnelle », RDSS, 2008, p. 538 et s., spéc. p. 541 et s. 1224 Sur la question v., outre les références citées supra, pp. 377-378, Jean HAUSER, « La famille récupérée », in Le droit privé français à la fin du XXe siècle, Etudes offertes à Pierre Catala, Litec, 2001, p. 327 et s. 1225 Supra, p. 5. Droits des pauvres, pauvres droits ? Recherches sur la justiciabilité des droits sociaux 427 entre les besoins du créancier et les ressources du débiteur1226. À celui qui a besoin de beaucoup, car son train de vie est assez élevé, et dont les débiteurs ont beaucoup, il sera beaucoup fourni. À celui qui, pour avoir toujours été pauvre, a besoin de peu, et dont les parents et alliés n’ont guère, il sera peu promis1227. La fixation judiciaire de l’obligation alimentaire prend parfois des allures de droit de classe. L’objection ne semble toutefois pas dirimante. Car, incontestablement, fait partie du corpus de l’étude, le droit à des moyens convenables d’existence1228 - et la mise en œuvre de l’obligation alimentaire peut permettre de les obtenir. Or ce serait restreindre arbitrairement la question des débiteurs de ce droit social que de poser, ab initio, qu’il ne pourrait contraindre que la collectivité. Personne ne conteste que, par la reconnaissance d’un effet horizontal aux stipulations de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour de Strasbourg a amélioré l’effectivité des droits, en particulier civils et politiques. Les États, pour respecter leurs engagements internationaux, doivent donc protéger les droits consacrés y compris des atteintes des particuliers. Tout pareillement, en imposant à des personnes privées la charge de la satisfaction d’un droit social, et dès lors que son intervention ne se limite pas à cela, un État œuvre à sa garantie, puisqu’il améliore la situation de son titulaire. À cet égard, la consécration du droit à l’habitat puis du droit au logement dans la législation française est éclairante : ce sont des lois relatives aux baux d’habitation qui, les premières, les ont portés1229, et dont l’objet est d’accroître la contrainte pesant sur le propriétaire – irréfragablement présumé en situation de force, mais qui peut ne pas l’être – au bénéfice du locataire – irréfragablement présumé dans une situation moins confortable. Que cette législation participe à la protection du droit au logement, comme l’affirment les textes, est plus que probable : l’instauration de charges et contraintes sur les personnes privées est un des modes de garantie d’un droit social. Or, en matière d’obligation alimentaire, contrainte il y a. L’obligation alimentaire n’est pas abandonnée par l’État aux relations familiales privées, elle n’est pas une obligation naturelle1230 : son exécution peut être imposée en justice. 1226 C. Cass., C. civ., art. 208, al. 1er : « Les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit ». 1227 Philippe MALAURIE et Hugues FULCHIRON, La famille, 3e éd., in Philippe MALAURIE et Laurent AYNES, Droit civil, Defrénois, 2009, n° 1748 : « Le montant des droits alimentaires […] est apprécié en tenant compte du genre de vie et de la condition sociale des intéressés ; dans certains cas, la pension alimentaire est donc inférieure au salaire minimum, dans d’autres, elle est très élevée ». Le besoin est irréductible à la pauvreté : Diane ROMAN, Le droit public face à la pauvreté, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 2002, n° 146 et s. – qui, en particulier, souligne la subjectivité de l’appréciation des besoins du créancier dans le cadre de la détermination du quantum de l’obligation alimentaire. 1228 Supra, p.5. 1229 V., toujours en vigueur, la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, dite Mermaz (JO 8 juillet 1989, p. 8541), et son article 1er : « Le droit au logement est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent ». 1230 Sur la définition de l’obligation naturelle, v. supra, p. 379, note 17. Droits des pauvres, pauvres droits ? Recherches sur la justiciabilité des droits sociaux 428 Et le souci de voir cette obligation alimentaire respectée par ses débiteurs personnes privées a donné lieu à des interventions très spécifiques. Non seulement le législateur a conféré à la créance alimentaire la protection du juge à laquelle tous les droits reconnus par la législation civile peuvent prétendre, mais l’obligation alimentaire bénéficie d’une justiciabilité accrue car sa satisfaction se révèle entourée de garanties procédurales propres : « le but spécifique de l’obligation alimentaire, qui est d’assurer la subsistance du créancier, ainsi que son fondement particulier, qui est le devoir de charité et de solidarité familiales, expliquent qu’elle soit soumise à un régime juridique très spécial qui, sur de nombreux points, se distingue de celui qui vaut pour les obligations ordinaires »1231. Sa réalisation en justice est facilitée par diverses solutions et dispositions qui ne s’appliquent qu’à elle. De fait, cette justiciabilité accrue peut s’expliquer par les difficultés spécifiques de recouvrement des créances en question : elle est probablement le produit d’une ineffectivité elle- même non négligeable1232. Son étude est d’autant plus importante. Confrontés à une forme d’ineffectivité de la créance alimentaire, mode de satisfaction du droit à des moyens convenables d’existence, les pouvoirs publics ont posé des règles qui tendent à favoriser sa justiciabilité, c’est-à-dire l’exercice d’une contrainte contre les parents et alliés. Se pose alors la question de savoir si, de ce régime spécifique, des enseignements à portée plus générale pourraient être tirés : ces modes originaux de garantie de la créance alimentaire peuvent-ils nourrir la réflexion sur la justiciabilité des droits sociaux ? En matière d’obligation alimentaire entre parents et alliés, deux voies d’une justiciabilité meilleure sont empruntées : le recours au juge est favorisé ; le recouvrement de la créance est facilité. uploads/S4/ revdh-155.pdf
Documents similaires










-
289
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 30, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.2705MB