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La Revue des droits de l’homme Revue du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux Actualités Droits-Libertés | 2017 Mort et résurrection du principe de nécessité pénale : A propos de la décision du Conseil constitutionnel du 10 février 2017 Liberté d’expression et droit pénal (Constitution) Vincent Sizaire Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/revdh/3038 DOI : 10.4000/revdh.3038 ISSN : 2264-119X Éditeur Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux Référence électronique Vincent Sizaire, « Mort et résurrection du principe de nécessité pénale : A propos de la décision du Conseil constitutionnel du 10 février 2017 », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 27 mars 2017, consulté le 19 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/revdh/3038 ; DOI : 10.4000/revdh.3038 Ce document a été généré automatiquement le 19 avril 2019. Tous droits réservés Mort et résurrection du principe de nécessité pénale : A propos de la décision du Conseil constitutionnel du 10 février 2017 Liberté d’expression et droit pénal (Constitution) Vincent Sizaire 1 Il est des jours où, à contempler l'abîme qui sépare la figure éthérée du « législateur » qui peuple nos manuels de la réalité du processus d'adoption de la loi, l'on est rapidement pris de vertige. 2 Bien sûr, il s'est trouvé de longue date des voix pour démontrer que la rationalité de nos faiseurs des lois n'est pas forcément celle de Solon ou même, simplement, celle de Descartes. Mais si le parlement est régulièrement présenté comme une arène ou un cirque – et, accessoirement, un lieu de débats législatifs – il arrive également qu’il se mue en une véritable scène de théâtre. Ainsi, les derniers jours de la quatorzième législature nous auront offert le spectacle d’une tragi-comédie en trois actes, mettant en exergue de façon expressionniste sinon ubuesque l’impasse dans laquelle nous enferme la logique répressive sécuritaire. 3 Premier acte : redécouvrant le principe de nécessité des délits et des peines, le Conseil constitutionnel censure le délit de consultation habituelle d’un site internet faisant l’apologie d’actes de terrorisme tel qu'institué par la loi du 3 juin 2016 1 (1). Deuxième acte : s’asseyant presque ouvertement sur cette décision, les députés et sénateurs rétablissent immédiatement l’incrimination en une version à peine retouchée (2). Dernier acte : le juriste en général et le juge en particulier se trouvent désormais confrontés à une situation inédite et des plus épineuses : que faire d'une loi qui, pour être explicitement inconstitutionnelle, n'en demeure pas moins en vigueur (3) ? Mort et résurrection du principe de nécessité pénale : A propos de la décisio... La Revue des droits de l’homme , Actualités Droits-Libertés 1 1°/- La redécouverte du principe de nécessité par le Conseil constitutionnel 4 Au rang des piliers de l'ordre pénal républicain, le principe de nécessité demeure de loin le plus méconnu. Énoncé par l'article V de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 17892, il est pourtant tout aussi essentiel à l'effectivité de l'Etat de droit que les principes de légalité des délits et des peines et de proportionnalité de la répression proclamés de concert3. Ceux qui s'en souviennent évoquent généralement l'obligation faite aux pouvoirs publics de n'édicter que des peines strictement nécessaires. Mais, dans une société où la liberté est le principe, il exprime d'abord l'idée selon laquelle la loi ne peut prohiber tel ou tel comportement qu'à titre exceptionnel, s'il apparaît indispensable d'user de coercition pour faire cesser une atteinte aux droits et libertés d'autrui4. 5 Bien évidemment, cette exigence de subsidiarité de l'incrimination pénale est totalement méconnue par le législateur contemporain qui, depuis plus de vingt ans, n'aura eu de cesse d’augmenter le domaine du pénalement répréhensible, en multipliant les infractions et, plus encore, leurs circonstances aggravantes5. A sa décharge, il faut relever que le Conseil constitutionnel ne se montre guère tatillon dans le contrôle qu'il fait du respect de cette exigence. S'il applique régulièrement le principe de nécessité à la détermination des sanctions pénales, c'est pour mieux lui ôter presque toute portée quand il s'agit d'apprécier la constitutionnalité d'un nouveau crime ou délit. Ainsi peut- on lire sous sa plume qu'il « est loisible au législateur de prévoir de nouvelles infractions en déterminant les peines qui leur sont applicables »6. C'est pourquoi il ne contrôle de la validité d'une nouvelle incrimination au regard de sa nécessité mais par la mise en balance commode de « la garantie des droits constitutionnellement protégés »7 et le besoin auquel est censé répondre le nouveau texte, sans que jamais la réalité de ce besoin ne soit questionnée. 6 Dans une telle perspective, il suffit que l'objectif poursuivi par l'infraction soit jugé (très formellement) légitime, pour ôter toute borne à la créativité incriminatrice du législateur. Au bénéfice d'un tel raisonnement, il devient facile d'affirmer que « le racolage public est susceptible d'entraîner des troubles pour l'ordre public, notamment pour la tranquillité, la salubrité et la sécurité publiques. En privant le proxénétisme de sources de profit, la répression du racolage sur la voie publique fait échec au trafic des êtres humains. La création par le législateur d'un délit de racolage public ne se heurte dès lors à aucune règle, ni à aucun principe de valeur constitutionnelle »8. Ou encore de considérer que « les dispositions contestées du premier alinéa de l’article L. 3124-13 du code des transports punissent le fait de mettre en relation des clients avec des chauffeurs non professionnels d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. En instituant l’incrimination prévue par ces dispositions, le législateur a entendu assurer le respect de la réglementation de l’activité de transport public particulier de personnes à titre onéreux »9. 7 Dans un tel contexte, la décision du 10 février 2017, par laquelle le Conseil a censuré le délit de consultation d'un site faisant l'apologie d'actes de terrorisme, pourrait bien constituer une petite révolution. Saisi de la constitutionnalité de l'article 421-2-5-2 (sic.) du code pénal, il a en effet censuré l'infraction non seulement au visa, classique, des principes de proportionnalité et de prévisibilité de la loi pénale, mais également à celui du principe de nécessité de l'incrimination. Dans un considérant dépourvu d'ambiguïté, le Mort et résurrection du principe de nécessité pénale : A propos de la décisio... La Revue des droits de l’homme , Actualités Droits-Libertés 2 juge constitutionnel rappelle ainsi qu'au « regard de l'exigence de nécessité de l'atteinte portée à la liberté de communication, les autorités administrative et judiciaire disposent, indépendamment de l'article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie et réprimer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d'exécution »10. 8 En d'autres termes, le délit de consultation de sites « terroristes » s'avère inconstitutionnel non seulement parce que le texte d'incrimination ne présente pas les garanties de proportionnalité et de précision suffisantes, mais encore et surtout parce que, en tout état de cause, il n'était pas nécessaire de l'instituer eu égard aux très nombreuses prérogatives dont disposent les autorités répressives pour lutter contre le phénomène délictueux qu'il prétend saisir – en l’occurrence, la préparation de crimes terroristes. Pour la première fois, le Conseil semble redécouvrir ce principe fondateur de l'ordre pénal républicain et en tirer toutes les conséquences. En serait-ce fini de cette pénalité d'empilement et de comblement11 qui fait le lit de la paradoxale impuissance répressive de notre temps ? A observer la réaction des parlementaires à cette décision, il est permis d'être à tout le moins prudent.... 2°/- L'enterrement du principe de nécessité par le parlement. 9 Largement inattendue, la décision du 10 février 2017 a cueilli nos législateurs en pleine commission mixte paritaire (CMP), réunie pour l'examen du projet de loi relatif à la sécurité publique. Dernier fait d'arme du gouvernement, ce texte confirme, s'il était besoin, l'adoption d’une logique répressive sécuritaire totalement débridée, prévoyant, entre autres, l'extension du droit d'usage des armes des services de police, leur anonymisation en procédure, le doublement des peines encourues du chef d'outrage à agent ou, encore, l'armement des gardes de sécurité privée12. C'est peu dire que l'examen d'un tel projet ne rend guère réceptif au message d'apaisement (tout relatif) de la répression du Conseil constitutionnel... 10 L'analyse des travaux de la commission montre en effet, sinon une mauvaise volonté caractérisée, du moins une réticence certaine des députés et sénateurs à tirer les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité du délit de consultation d'un site « terroriste ». Bien que le président de la CMP juge « très difficile son rétablissement »13, et que personne ne se satisfait de la rédaction supposée tirer les conséquences de la décision du Conseil, c'est une version à peine retouchée de l'infraction qui sera finalement adoptée. Ainsi, il semble que l'ait emporté la volonté de passer complètement outre « cette décision du uploads/S4/ revdh-3038.pdf
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- Publié le Mar 29, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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