84 INTRODUCTION GÉNÉRALE SUR LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF traduit du néerlandai

84 INTRODUCTION GÉNÉRALE SUR LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF traduit du néerlandais 1. INTRODUCTION Le célèbre juriste du XIXe siècle Edmond Picard a écrit pour chaque volume de son monumental ouvrage Pandectes Belges une courte introduction dans laquelle il traite de l’un ou l’autre aspect de la vie judiciaire1. Dans le prologue du quatrième volume de 1880, Picard s’étonne du fait qu’en plus du vaste appareil judiciaire, avec ses justices de paix, ses tribunaux de droit commun et du commerce, ses cours d’appel et d’assises, ses tribunaux de guerre et sa Cour de Cassation, il y ait d’autres instances judiciaires en Belgique2. Ses observations sur ces juridictions administratives de 1880 sont encore très pertinentes aujourd’hui. L’auteur s’interrogeait en effet sur le bien-fondé de ces juridictions, en marge du pouvoir judiciaire. Quelles compétences avaient-elles? Selon Picard, l’existence des juridictions de l’époque était difficilement conciliable avec les principes de la pratique du droit. Il plaidait donc pour une réorganisation des juridictions (et pour la création d’un Conseil d’État). L’objectif de ce répertoire est de soulever un coin du voile en rendant systématiquement compte de toutes les juridictions, avec leurs compétences respectives. Les juridictions administratives, qui ressortent en principe du pouvoir exécutif, sont à ce jour assez mal connues, à l’exception sans doute du célèbre Conseil d’État. Elles sont comme entourées d’un voile de mystère. Leurs jugements sont rarement publiés et leur grande diversité se prête mal à un portrait général. Dans la littérature juridique, elles sont fréquemment la cible de critiques contre leur mode de fonctionnement et de remises en cause de leur existence. Elles sont pourtant profondément ancrées dans la Constitution. On lira dans chaque syllabus ou manuel de droit public que la Constitution sépare en deux groupes les contentieux au sujet desquels un juge peut se prononcer: les contentieux sur les droits civils d’une part, les contentieux sur les droits politiques de l’autre. Les cours et les tribunaux de l’ordre judiciaire sont en principe exclusivement compétents pour les contentieux portant sur les droits civils. Les contentieux sur les droits politiques sont en principe aussi 1 Edmond Picard (1836-1924), docteur en Droit (ULB), fit un stage d’avocat auprès de Jules Le Jeune, homme de lettres et journaliste, sénateur socialiste de 1894 à 1908 et ultérieurement ministre, fut plusieurs fois bâtonnier de l’Ordre des Avocats, fonda avec l’éditeur Fernand Larcier en 1881 Le Journal des Tribunaux, fut aussi fondateur de la Libre Académie Picard et de l’Université Nouvelle. Son rôle public s’acheva après la Première Guerre mondiale. DUPONT, L., Edmond Picard, FIJNAUT, C., Gestalten uit het verleden, 97-107. 2 PICARD, Des juridictions administratives, Pandectes belges, vol. IV, 1880, XLV-LXI. 85 soumis aux cours et aux tribunaux, à moins que le législateur ait expressément confié une compétence en la matière à une juridiction administrative. Le problème, c’est que la plupart des manuels s’en tiennent à cette brève explication, esquivant ainsi une difficulté fondamentale, à savoir le fait qu’il n’existe pas de définition claire des droits civils et des droits politiques. Mais nous y reviendrons. Dans quelle mesure un citoyen peut-il contester une décision publique et à quel juge peut-il faire appel? C’est précisément dans la défense du citoyen contre le pouvoir public que les juridictions administratives jouent un rôle déterminant. Le concept de protection juridique est étroitement lié au concept d’état de droit. Le pouvoir exécutif doit en effet respecter la loi. Cela peut paraître étrange, mais le pouvoir exécutif doit protéger lui-même ses citoyens contre l’arbitraire du pouvoir exécutif. En théorie, le système doit être organisé de manière à ce que le citoyen puisse trouver auprès d’un pouvoir protection contre un autre pouvoir. Une telle protection juridique ne peut être offerte que si l’arbitrage d’un conflit est confié à un corps indépendant qui peut par sa décision annuler l’acte irrégulier des pouvoirs publics. Il est d’usage de dire que la maturité d’un État et son respect pour le citoyen se mesurent au degré de perfection de sa protection juridique. Il existe plusieurs manières d’offrir cette protection. La France a ainsi créé un Conseil d’État chargé de se prononcer sur les contentieux administratifs, ce qui a donné naissance à un droit administratif spécifique. De par la stricte séparation du droit public et du droit privé en France, un juge de droit commun est en principe habilité à prendre connaissance des contentieux administratifs. En Grande-Bretagne, l’administration est en principe soumise à la juridiction du juge au même titre que les citoyens. Le système belge est une sorte de compromis entre le système français avec son Conseil d’État et le système anglo-saxon avec la compétence globale du juge3. Les juridictions administratives sont peu, pour ne pas dire pas du tout, connues des historiens. La littérature est produite par des juristes qui s’intéressent peu au contexte de création et à l’évolution de l’organisation, et n’offre donc pas d’image générale sur le long terme. Pour combler cette lacune, notre projet d’étude adopte un point de vue historique et se concentre sur l’histoire, l’organisation, les compétences et le fonctionnement des diverses juridictions. Ces juridictions ne siègent pas de manière permanente. Elles sont souvent en veilleuse et ne se réunissent que quelques fois par an au 3 MAST, Geschillen van bestuur, 9-15. LEMASURIER, Le contentieux administratif en droit comparé. VANDE LANOTTE, Administratieve rechtscolleges, 99-151 dresse un tableau complet du système de tribunaux administratifs dans les pays voisins. Il est intéressant de noter que la Grande-Bretagne a également créé un certain nombre de juridictions administratives. 86 siège de leur administration de tutelle. Elles sont généralement constituées d’un magistrat (président) et de quelques experts ou fonctionnaires. Le secrétariat est fréquemment confié à un fonctionnaire du ministre de tutelle, qui est responsable de la conservation des archives. L’objectif de cette étude constitue une tâche complexe. Peu de juristes se sont hasardés à dresser un tableau général des tribunaux administratifs. L’expression "juridiction administrative" est en Belgique un terme fourre-tout car il existe des dizaines de juridictions dans les domaines les plus divers. Des juristes de renom ont vu dans les juridictions administratives "une collection très variée", "une gamme très confuse", "un labyrinthe", "cette mosaïque juridictionnelle, faite d’organes disparates et créés occasionnellement", "un système incohérent et chaotique", "une remarquable impression de désordre et d’incohérence" et les jugent "sans la moindre planification, très inégales et créées au gré des circonstances". Les chiffres les plus divers circulent sur le nombre exact de juridictions. Nous avons trouvé les chiffres les plus fiables dans les études de Moureau et Vande Lanotte. Moureau estime à 250 leur nombre en 1967, avant la réforme judiciaire. Vande Lanotte parle en 1995 de quelque 65 juridictions. Nous avons perdu courage en apprenant que selon Coppens "dresser leur inventaire est tâche impossible"4. Cette étude des institutions peut paraître assez rébarbative et technique, mais le lecteur ne doit pas perdre de vue que les juridictions administratives prennent des décisions dans des affaires qui peuvent avoir un grand impact sur la vie quotidienne des citoyens. À titre d’exemple, le conseil de milice, le conseil de révision et le conseil de l’objection de conscience se prononçaient autrefois sur les demandes d’exemption du service militaire pour des motifs moraux, médicaux ou éthiques. C’est donc eux qui décidaient si un jeune homme faisait ou non son service militaire. On peut s’adresser à la commission permanente de recours des réfugiés pour aller en appel du refus d’accorder le statut de réfugié politique. Les commissions de libération conditionnelle décident du sort des détenus. Les commissions de défense sociale jugent si une personne est atteinte de troubles mentaux ou non et jugent de la libération des internés. Les étudiants contestant les résultats 4 Respectivement dans: ALEN, Algemene beginselen, 240. SUETENS, Administratief recht, 42. VANDEKERCKHOVE, Geschillen van bestuur, 29. DELPEREE, Is de oprichting van administratieve rechtbanken in België gewenst? TBP, 1977, 255. VELU, La protection juridictionnelle du particulier contre le pouvoir exécutif, 74. STASSEN, Introduction à l’étude de la réforme du contentieux administratif, RJDA, 241. LESPES, Les juridictions administratives du premier degré: Annales de droit et de sciences politiques, 317. SENELLE, Grondwet, 353. MOUREAU, La réforme de l’organisation du contentieux administratif du premier degré, RJDA, 66. COPPENS, Voor wanneer administratieve rechtbanken in België? RW, 912. 87 obtenus aux examens peuvent depuis 2005 s’adresser au conseil pour les contestations d’examens. Le conseil de la concurrence décide s’il y a eu ou non abus de position économique dominante. Toute personne n’ayant pas droit à des allocations sociales comme une pension, des indemnités de chômage ou une bourse d’études peut depuis longtemps faire appel auprès d’une juridiction administrative. L’impact pratique de ces organes dans la vie courante est parfaitement illustré dans le remarquable petit livre de Geert Van Istendael et Johan Vande Lanotte intitulé De Procedure5. 2. QUEL JUGE EST COMPÉTENT? Le citoyen en quête de justice doit pouvoir s’adresser au bon tribunal, ce qui n’est pas toujours une entreprise aisée. Il faut d’abord se demander si on a affaire à un contentieux subjectif ou objectif. Un droit subjectif est un droit qui existe au titre d’un sujet de droit quand celui-ci peut exiger d’un autre sujet uploads/S4/ sir-jacobs-fr 1 .pdf

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  • Publié le Oct 02, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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