Commentaire d'arrêt - L'interprétation stricte des textes pénaux Raphaël Florès
Commentaire d'arrêt - L'interprétation stricte des textes pénaux Raphaël Florès – L2 groupe C Bien souvent, le principe de légalité des délits et des peines se heurte à la douleur des victimes éplorées qui ne comprennent pas toujours son application rigoureuse. La Cour de cassation, dans un arrêt rendu en assemblée plénière le 29 juin 2001 (N° de pourvoi: 99-85973), s'est penchée sur le cas du décès d'un enfant à naître qui est l'exemple même de ce débat. En l'espèce, un banal accident de la circulation s'est mué en tragédie: le véhicule conduit par M. Z, alors ivre, a percuté celui conduit par Mme X enceinte. Elle fut seulement blessée, mais l'enfant qu'elle portait est par contre décédé avant même l'accouchement. La Cour d'appel de Metz a condamné le 3 septembre 1998 M. Z pour blessures involontaires sur Mme X, son état alcoolique lors de l'accident étant de plus une circonstance aggravante. Cependant, Mme X se pourvoie en cassation car M. Z n'a pas été déclaré coupable d'atteinte involontaire à la vie de son enfant à naître. Or la Cour de cassation rejette son pourvoi. De fait, Mme X. affirme que la Cour d'appel a arbitrairement limité la portée de l'incrimination d'homicide involontaire d'autrui (réprimé par l'article 221-6 du Code Pénal - CP): l'arrêt attaqué énonce que ce texte ne concerne que l'enfant en vie, et non viable. Plus qu'une nuance, c'est une profonde différence car cela impose l'accouchement de la mère comme préalable à l'homicide de son enfant. Alors, la Cour de cassation a du s'interroger quant aux limites de l'article 111-4 CP selon lequel « la loi pénale est d'interprétation stricte »: un accident de voiture entrainant le décès d'un enfant viable peut-il aboutir à une condamnation pour homicide involontaire d'autrui ? La Cour de cassation réponds que l'interprétation stricte de la loi pénale, corollaire impératif au principe de légalité (selon lequel « nul ne peut être puni pour un crime ou un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi » énonce l'article 111-3 CP), prohibe cette extension de l'incrimination d'homicide involontaire d'autrui au cas de l'enfant à naître, car ce dernier a un statut particulier. En conséquence, il semble intéressant de se demander si le recours à l'incrimination pour homicide involontaire d'autrui peut constituer une extension téléologique de l'atteinte involontaire à la vie de l'enfant à naître, ou s'il s'agit plutôt d'une analogie qui est prohibée par respect du principe d'interprétation stricte des textes pénaux. C'est pourquoi, il convient tout d'abord de rappeler que le principe de légalité s'oppose à l'extension du délit d'homicide involontaire d'autrui (I), puis il est pertinent d'étudier la nécessité réelle de l'application de l'interprétation stricte des textes pénaux au cas de l'enfant à naitre (II). I. L'extension de l'homicide involontaire d'autrui aux enfants viables, une exception au principe de légalité des délits et des peines refusée Il paraît important de souligner l'absence d'incrimination concernant l'atteinte involontaire à la vie de l'enfant à naître (A), avant de revenir en détail sur le rejet par le juge de cette extension du délit d'homicide involontaire d'autrui (B). A. L'atteinte involontaire à la vie de l'enfant à naître, la douloureuse absence d'incrimination aux yeux des victimes La Cour d'appel de Metz ne s'est pas rangée de l'avis de Mme X: M. Z a été relaxé du chef d'atteinte involontaire à la vie de l'enfant à naître. Cette décision a pour origine la portée limitée de l'article 221-6 CP qui réprime le fait de causer la mort d'autrui. En effet, ce texte ne concerne pas la mort d'un enfant à naître, mais uniquement le cas d'un enfant né, c'est-à-dire « dont le cœur battait à la naissance et qui a respiré ». Une condition d'ailleurs présente dans l'arrêt du 2 décembre 2003 (N° de pourvoi 03-82344), témoignant que le deuil de la famille n'est pas forcément compliqué par les turpitudes juridiques: Noëlle X est alors déclarée coupable d'homicide involontaire sur la personne de Yoan [car] elle a causé la mort de cet enfant qui a vécu une heure ». L'enfant de Mme Z n'ayant quant à lui jamais, littéralement, vu le jour, le juge ne peut pas lui appliquer la législation en vigueur pour les personnes bien vivantes. Ainsi, l'enfant à naître peut apparaître comme n'étant qu'une chose, ce qui est indubitablement difficile à admettre pour les parents. Il est donc logique que ces derniers invoque l'article 596 du Code de Procédure Pénal qui casse et annule les arrêts ayant « omis ou refusé de prononcer sur une ou plusieurs demandes des parties ». B. L'homicide involontaire de l'enfant à naître, une thèse révoquée par la rigueur judiciaire Plus précisément, Mme Z clame que son enfant « était viable au moment des faits quand bien même il n'aurait pas respiré lorsqu'il a été séparé de la mère ». En vain, puisque la Cour de cassation confirme la décision de la juridiction précédente en refusant d'étendre l'incrimination précédemment citée au décès accidentel d'un fœtus. Bien qu'il est évident que l'enfant à naître de Mme Z est décédé « des suites du choc » avec M. X, ce dernier ne peut pas être incriminé pour homicide involontaire d'autrui. Une décision confirmée par l'arrêt du 25 juin 2002 (N° de pourvoi: 00-81359) qui note que les atteintes à l'enfant à naître « ne sont susceptibles d'aucune qualification pénale ». Pourtant, cet enfant aurait vécu sans l'intervention de M. X et pourrait alors être qualifié d' « autrui ». Certes, M. X a été condamné sévèrement pour les blessures causées à Mme Y, mais l'exonérer de responsabilité pénale concernant la mort de l'enfant à naître ne semble guère approprié eu égard à l'affliction de sa mère. La cause d'un tel manque de compassion et même de justice est « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale »: ce pilier théorique prohibe le concept d'une large et autonome équité de la part du juge, puisqu'il doit se cantonner au sens exact de la norme pénale. II. La restriction de l'homicide involontaire d'autrui aux enfants nés, une interprétation excessivement stricte des textes pénaux La création normative pénale par analogie que suppose le retrait d'une condition obligatoire à l'incrimination est prohibée par le principe d'interprétation stricte des textes pénaux (A), cependant le traitement de l'enfant à naître peut paraître inapproprié tant une simple interprétation téléologique de l'homicide pour autrui est souhaitable dans ce domaine spécifique (B). A. Le retrait d'une condition obligatoire à l'incrimination, une intolérable création par analogie de la norme pénale La Cour de cassation, garde-fou juridictionnel de la rigueur judiciaire, justifie laconiquement son rejet du pourvoi par l'obligation d' « une interprétation stricte de la loi pénale ». C'est donc à tort que Mme Z accuse la Cour d'appel d'avoir « ajouté une condition non prévue par la loi » en refusant de déclarer M. Z coupable d'homicide involontaire de son enfant à naître. En somme, l'arrêt du 3 septembre 1998 ne viole pas les articles 111-3 et 111-4 CP relatifs à l'interprétation stricte des textes pénaux: en vérité, et contrairement à ce qu'affirme Mme Z, il le défends même car la condition de naissance (présente dans le terme « autrui ») existe déjà dans l'article 221-6 CP. Dès lors, le juge se contente de déclarer que ce principe de légalité « s'oppose à ce que l'incrimination […] réprimant l'homicide involontaire d'autrui soit étendue au cas de l'enfant à naître ». En d'autres termes, il est très fermement interdit au juge (coupable d'un terrible arbitraire sous l'Ancien Régime et encadré dès l'appendice du Code pénal de 1791), de créer une incrimination ou même d'étendre un texte incriminateur à des cas voisins à celui que la loi règlemente mais qu'elle ne prévoit pas explicitement. Or, il existe une réelle distinction entre l'enfant à naître (viable) et autrui (vivant), comme le souligne la Cour de cassation: « le régime juridique [de l'enfant à naître] relève de textes particuliers sur l'embryon ou le fœtus ». Il est donc impossible pour le juge d'incriminer par analogie l'homicide involontaire de l'enfant à naître comme s'il s'agissait d'un homicide involontaire d'autrui. B. Les inoffensives conséquences de l'interprétation téléologique quant au décès de l'enfant à naître Un tel jugement suscita bien entendu la sincère réprobation de l'opinion public, le député Garraud, créateur d'un amendement rejeté au Sénat créant le délit d'interruption involontaire de grossesse, qualifia même cette attitude de « nouvelle injustice par la non reconnaissance par l’État de leur situation ». Il est vrai que le refus de considérer l'enfant à naître autrement que comme une chose est très malvenu puisque les morts et même les animaux à naître bénéficient d'une protection pénale (respectivement: en vertu de l'article L415-3 du Code de l'environnement; arrêt du 20 octobre 1998). Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue l'objectif louable et nécessaire en toute situation que poursuit le principe de légalité des délits et des peines: assurer la sécurité juridique à tout uploads/S4/ td-9 1 .pdf
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- Publié le Fev 27, 2022
- Catégorie Law / Droit
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