M. le Professeur Gérard Cohen- Jonathan L'arbitrage Texaco-Calasiatic contre Go

M. le Professeur Gérard Cohen- Jonathan L'arbitrage Texaco-Calasiatic contre Gouvernement Libyen; décision au fond du 19 janvier 1977 In: Annuaire français de droit international, volume 23, 1977. pp. 452-479. Citer ce document / Cite this document : Cohen-Jonathan Gérard. L'arbitrage Texaco-Calasiatic contre Gouvernement Libyen; décision au fond du 19 janvier 1977. In: Annuaire français de droit international, volume 23, 1977. pp. 452-479. doi : 10.3406/afdi.1977.2048 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1977_num_23_1_2048 L'ARBITRAGE TEXACO-CALASIATIC CONTRE GOUVERNEMENT LIBYEN (Sentence au fond du 19 janvier 1977) Gérard COHEN JONATHAN Une importante sentence arbitrale en matière pétrolière a été prononcée le 19 janvier 1977 par l'Arbitre Unique désigné par le Président de la Cour Inter nationale de Justice dans un litige opposant le Gouvernement de la République Arabe de Libye d'une part, et les sociétés concessionnaires California Asiatic Oil Company et Texaco Overseas Petroleums Company, d'autre part(l). Les deux sociétés américaines contestaient la légalité des mesures de national isation décrétées à leur endroit en 1973 et 1974 (2) . Elles invoquaient à cet égard les garanties contenues dans leurs contrats de concession conclus en 1955 puis confirmés par le gouvernement actuel et dont les termes reproduisaient d'ailleurs ceux d'un contrat-type joint en annexe à la loi libyenne sur les pétroles de 1955. Elles se fondaient particulièrement sur les clauses d'intangibilite et de stabilisation prévues à l'article 16 des concessions (3) . Dès le 2 septembre 1973, les sociétés demandaient au gouvernement libyen que leur litige soit réglé par arbitrage conformément à l'article 28 des contrats. Devant le refus du gouvernement de nommer son arbitre, elles sollicitaient, en vertu de la clause compromissoire, la désignation d'un Arbitre unique auprès du (*) Gérard Cohen-Jonathan, professeur à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Strasbourg, Doyen honoraire. (1) Cette sentence au fond a été presque intégralement reproduite dans le Journal de droit international, 1977, pp. 350-389 avec un commentaire de J.F. Lamve. (2) La loi du 1er septembre 1973 nationalisait au taux de 51 % tous les biens, droits et avoirs en relation avec les contrats de concession dont les deux sociétés étaient titulaires. La loi du 11 février 1974 s'étendait à la totalité de cet actif. V. Lauve, op. cit., p. 322. (3) La version finale dudit article amendé par un accord de 1966 entre les contractants se lit ainsi : « Le Gouvernement de Libye prendra toutes les dispositions nécessaires pour garantir à la société la jouissance de tous les droits qui lui sont conférés par la présente convention. Les droits contractuels expressément créés par la présente concession ne pourront être modifiés si ce n'est par accord mutuel des parties. Tant qu'elle demeurera en vigueur, la présente concession sera interprétée en conformité de la loi sur les pétroles et des règlements en vigueur à la date de signature de l'accord adoptant l'amen dement par lequel le présent paragraphe 2 a été incorporé dans le contrat de concession. Toute modification ou abrogation desdits règlements sera sans effet sur les droits con tractuels de la société sans son consentement ». 453 Président de la Cour Internationale de Justice. Celui-ci appela à ces fonctions le Professeur René-Jean Dupuy. Parmi les pièces remises à l'Arbitre, le seul document important émanant du gouvernement libyen consistait en un mémorandum dont l'essentiel de l'argument ation visait à démontrer qu'il n'y avait pas lieu à arbitrage dans la présente affaire. Scindant la procédure arbitrale en deux phases le Tribunal prononça le 27 novembre 1975 une sentence préliminaire par laquelle il se déclarait com pétent pour connaître du litige au fonds (4) . Le gouvernement refusa de participer à la procédure. Il devait persister dans cette attitude au cours de la seconde phase de la procédure. Le Tribunal arbitral devait alors décider que ce défaut n'em pêchait nullement les sociétés demanderesses comparantes «de demander à l'Ar bitre unique de leur adjuger leurs conclusions» étant entendu que celui-ci ne pourrait le faire que «dans la mesure où ces conclusions sont fondées en fait et droit» conformément au règlement de procédure. H est évident que le défaut du défendeur rend toujours plus délicate la tâche de l'Arbitre. Cela explique peut-être la prudence dont il a témoigné à propos d'allégations — telles que le caractère discriminatoire et politique des mesures de nationalisation — qui auraient exigé un véritable débat contradictoire sur les faits incriminés. Par ailleurs, cela permet de comprendre pourquoi en plus des objections présentées par le gouvernement dans le mémorandum de 1974, l'Ar bitre et les sociétés demanderesses aient tenu à envisager d'autres arguments que le gouvernement défendeur aurait pu présenter s'il avait accepté de participer à la procédure. Dans sa sentence au fond, l'Arbitre unique devait pour l'essentiel adjuger aux demanderesses leurs conclusions en décidant : — que les contrats de concession litigieux ont un caractère obligatoire pour les parties — que le gouvernement libyen, en adoptant des mesures de nationalisation en 1973 et en 1974, a manqué aux obligations qui résultaient pour lui de ces contrats, — que le gouvernement libyen est en droit tenu d'exécuter ces contrats et de leur donner plein effet. Arbitrage entre un Etat et deux sociétés privées, cette affaire s'inscrit dans une catégorie juridique bien connue sinon bien définie (5). L'Arbitre saura d'ailleurs reconnaître cette parenté puisqu'il invoquera souvent ces précédents dits «trans nationaux» et en particulier la sentence de l'Aramco par rapport à laquelle la présente sentence représente à la fois un prolongement et un approfondissement. (4) Pour l'analyse de la sentence préliminaire, on se reportera à l'article précité de J.F. Laltve, p. 325. A l'effet de montrer qu'il n'y avait pas matière à arbitrage, le gou vernement avait notamment prétendu que les mesures de nationalisation ayant eu pour conséquence de mettre à néant les contrats de concession eux-mêmes, leur effet devait s'étendre à la clause compromissoire prévue à l'article 28. Un argument semblable avait été présenté par les gouvernements défendeurs dans les affaires Losinger (C.P.J.I., série C, n° 78, p. 110) et Lena Goldfields (op. cit. infra, p. 31) ainsi que dans l'affaire de l'Anglo-Iranian. L'arbitre a bien entendu repoussé une telle allégation au nom du principe de l'autonomie de la clause compromissoire. C'est en effet un principe général du droit de l'arbitrage international que l'accord compromissoire, qu'il soit conclu séparément ou inclus dans l'acte juridique auquel il a trait, présente toujours une complète autonomie juridique, excluant qu'il puisse être affecté par une éventuelle invalidité de cet acte. (5) Principales sentences arbitrales en matière de concession : Sentence ARAMCO, Revue critique de droit international privé, 1963, pp. 272-363; Petroleum Development L.T.D. v. Sheikh of Abu-Dhabi, International law reports, 1951, pp. 144-161; Petroleum Development (Qatar) v. Ruler of Qatar, International Law Reports, 1951, pp. 161-164; Ruler of Qatar v. International Marine Oil Company Ltd, International Law Reports, 1953, pp. 534-547; Sapphire International Petroleums Ltd v. National Iranian Oil Company, International Law Reports, n° 35, pp. 136-192; Lena Goldfields Company Ltd v. Soviet Government, Cornell Law Quarterly, 36 (1950-1), p. 31. 454 JURISPRUDENCE INTERNATIONALE En effet, jamais aussi clairement un Tribunal n'avait établi les conditions d'inter nationalisation d'un contrat et la portée d'une telle internationalisation, la valeur des clauses de stabilisation et les limites au pouvoir de nationalisation. Tirant toutes les conséquences de l'évolution du droit international, l'Arbire saura également rester dans le cadre de sa fonction juridictionnelle en ne statuant que selon le droit positif. Cela l'amènera cependant à se livrer à une analyse fouillée du « droit en formation » contenu dans les résolutions de l'Assemblée Générale des Nations-Unies pour y déceler les éléments tangibles de consensus dans la com munauté internationale actuelle. De cette sentence au fond, fort riche et fort longue, il paraît impossible d'en commenter tous les aspects. Nous voudrions attirer l'attention sur les questions qui sont soulevées à propos de la force obligatoire des contrats litigieux puis de la légalité des actes de nationalisation. I. — LE CARACTÈRE OBUGATOIRE DES CONTRATS DE CONCESSION Pour apprécier le caractère obligatoire des contrats de concession (6) et le contenu des obligations souscrites par les parties, l'arbitre devait rechercher quelle était la loi régissant le contrat. Sur ce point, le contrat contenait des indications précises mais l'Arbitre estime nécessaire de rechercher si et dans quelle mesure les parties avaient le droit de désigner cette loi en toute liberté, quelle était l'étendue du principe de l'autonomie de la volonté. Pour la mesurer il convenait donc de résoudre une première question à savoir déterminer l'ordre juridique dans lequel la clause désignant la loi applicable venait s'inscrire et d'où cette même clause tirait sa force obligatoire. C'est pourquoi, l'Arbitre estime nécessaire de faire la distinction entre «la loi qui régit le contrat et l'ordre juridique dont dérive le caractère obligatoire du contrat» (7). A ce dernier point de vue le Tribunal de céans tiendra pour acquis d'emblée que les contrats de concession litigieux se situent dans le domaine du droit international. C'est à propos de cette première proposition qu'on mesurera un des apports les plus originaux de la sentence. Dans un second temps, l'Arbitre déterminera le droit applicable sur le fonds du uploads/S4/ texaco.pdf

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  • Publié le Aoû 19, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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