TROISIÈME SECTION AFFAIRE KRIVTSOVA c. RUSSIE (Requête no 35802/16) ARRÊT Art 1
TROISIÈME SECTION AFFAIRE KRIVTSOVA c. RUSSIE (Requête no 35802/16) ARRÊT Art 1 P1 • Privation de propriété • Annulation du titre de propriété sur une parcelle de terrain sans versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien • Autorité publique ayant outrepassé ses compétences qu’incombe la responsabilité de l’aliénation de la parcelle litigieuse STRASBOURG 12 juillet 2022 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. ARRÊT KRIVTSOVA c. RUSSIE 1 En l’affaire Krivtsova c. Russie, La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de : Georges Ravarani, président, Georgios A. Serghides, María Elósegui, Anja Seibert-Fohr, Peeter Roosma, Frédéric Krenc, Mikhail Lobov, juges, et de Milan Blaško, greffier de section, Vu : la requête (no 35802/16) dirigée contre la Fédération de Russie et dont une ressortissante de cet État, Mme Nina Endryuvna Krivtsova (« la requérante »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 9 juin 2016, la décision de porter à la connaissance du gouvernement russe (« le Gouvernement ») les griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention – relativement à l’atteinte alléguée au principe de la sécurité juridique – et de l’article 1 du Protocole no 1, et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus, les observations des parties, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 juin 2022, Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date : INTRODUCTION 1. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, la requérante se plaint de l’annulation, sans indemnisation, de son titre de propriété sur une parcelle de terrain. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, elle allègue avoir subi une atteinte au principe de la sécurité juridique du fait d’une incohérence entre deux décisions de justice. EN FAIT 2. La requérante est née en 1942 et réside à Volgograd. Elle a été représentée par Mme A. Cartier, avocate exerçant à Paris. 3. Le Gouvernement a été représenté initialement par M. M. Galperin, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. M. Vinogradov, son représentant actuel. 4. En 1994, une société de droit public, agissant dans le cadre juridique fixé par la loi de 1992 sur la privatisation des entreprises étatiques et municipales, privatisa le bâtiment, dont elle était locataire, situé au centre de ARRÊT KRIVTSOVA c. RUSSIE 2 la ville de Volgograd, qui abritait le « magasin central universel » (Центральный универсальный магазин). Le sous-sol de ce bâtiment, classé monument historique, fut exclu de la privatisation. À une date non précisée, la société céda le bien à des investisseurs privés, dont la requérante. 5. Le 26 août 2005, l’administration de la ville de Volgograd prit l’arrêté no 1482, par lequel elle ordonnait, entre autres, la vente de la parcelle de terrain supportant le bâtiment. Le 4 octobre 2005, représentée par le responsable de son service foncier, elle conclut avec les propriétaires du bâtiment, dont la requérante, un contrat de cession de la parcelle. Ce contrat stipulait notamment que la quote-part de la requérante s’élevait à 93 386/508 287 tantièmes et que la part correspondante du prix d’acquisition, due par cette dernière, s’élevait à 1 244 835 roubles russes. 6. Le 2 novembre 2005, la requérante fit inscrire au Registre national des biens immobiliers (« le Registre national ») son droit de propriété sur la parcelle en question. Devant la Cour, elle affirme qu’elle s’est acquittée des taxes foncières afférentes à ce terrain depuis la date d’acquisition. 7. Par la suite, la requérante et plusieurs membres de sa famille, copropriétaires du bâtiment et de la parcelle, furent parties à un certain nombre de litiges judiciaires. Ainsi, en 2005, la société propriétaire du bâtiment, dont la requérante et son mari étaient actionnaires, dirigea contre le Trésor public et l’autorité chargée de la gestion du patrimoine public une action en annulation du contrat de bail litigieux au motif qu’elle était déjà propriétaire du bâtiment. La requérante participa à la procédure en qualité de tiers. Lors de l’examen de cette demande, la cour de commerce de la région de Volgograd examina le moyen invoqué par l’autorité défenderesse qui consistait à dire que la privatisation du bâtiment en cause, classé monument historique, était interdite. 8. Après avoir analysé les textes pertinents, la cour de commerce parvint aux constats suivants : - au moment de l’acquisition du bâtiment, le sous-sol avait été exclu du plan de privatisation au motif qu’il était considéré comme un monument historique ; - dans les faits, le bâtiment et son sous-sol n’étaient plus classés monuments historiques de portée fédérale depuis 1995 (conformément à l’ordonnance no 176 du président fédéral, en date du 20 février 1995) mais le bâtiment était inscrit depuis 1997 sur la liste de monuments historiques et culturels de la région de Volgograd, ce qui signifiait que la privatisation du bien en question n’était pas exclue de plein droit ; - des documents versés au dossier constitué devant la cour de commerce confirmaient que la société était titulaire d’un droit de propriété sur la totalité du bâtiment, y compris sur son sous-sol. Toutefois, la cour rejeta la demande pour un autre motif. Elle conclut en effet que le contrat de bail était non pas nul mais inexistant étant donné, d’une ARRÊT KRIVTSOVA c. RUSSIE 3 part, que son objet n’était pas identifié et, d’autre part, qu’il n’avait pas été enregistré selon les modalités prévues par la loi. 9. En 2006, l’autorité chargée de la gestion du patrimoine public forma contre l’administration de la ville de Volgograd un recours judiciaire en vue de faire annuler pour excès de pouvoir de la part de l’administration en question l’arrêté no 1482 (paragraphe 5 ci-dessus). Elle argua que c’était à elle, et non à l’administration de la ville que revenait le droit de céder pareil bien. La requérante et d’autres copropriétaires participèrent à la procédure en qualité de tiers. Par une décision en date du 11 juillet 2006, la cour régionale de commerce de Volgograd, considérant que l’administration de la ville avait agi dans la limite de ses compétences conformément à la loi en vigueur au moment des faits, rejeta le recours dont elle avait été saisie. Le 28 août 2006, la décision, ayant été confirmée en appel, acquit force de chose jugée. 10. En 2010, l’autorité chargée de la gestion du patrimoine public forma contre le conjoint de la requérante, agissant en qualité de représentant légal de leur fils mineur, un recours judiciaire visant, d’une part, à faire déclarer nul le droit de propriété de ce dernier sur le bâtiment en cause et, d’autre part, à faire reconnaître l’existence d’un droit de propriété de la Fédération de Russie au motif que le bien en question était classé monument historique et que sa privatisation était donc interdite de plein droit. Par un jugement définitif en date du 10 novembre 2010, le présidium de la cour régionale de Volgograd fit droit à ce recours, confirmant l’existence d’un droit de propriété de l’État sur le bien en question. 11. En 2014, la même autorité dirigea contre une certaine E., propriétaire du bâtiment en vertu du testament du conjoint de la requérante, une action en revendication de différentes parties du bâtiment. Le 30 janvier 2014, le tribunal Centralny de Volgograd lui donna gain de cause au motif qu’étant classé monument historique, le bâtiment ne pouvait faire l’objet d’une privatisation. Il se fonda sur l’ordonnance présidentielle no 176 du 20 février 1995 qui, dans son paragraphe 2, renvoyait à la liste des monuments historiques annexée à l’arrêté no 1327 du Comité des Ministres de la République soviétique fédérative socialiste de Russie, en date du 30 août 1960, dans laquelle le bâtiment était mentionné. Il nota ensuite qu’en vertu de l’article 44 de la loi du 9 octobre 1992 sur la culture (основы законодательства о культуре) et de l’arrêté no 447-1 du Conseil suprême de Russie en date du 25 décembre 1990, étaient interdits à la privatisation tous les objets appartenant au patrimoine culturel des peuples de la Fédération de Russie. Il nota qu’au moment de sa privatisation, aucun organe de l’État n’avait eu le pouvoir de céder le bâtiment en cause. Il jugea donc que l’État en avait été dépossédé contre sa volonté. Il considéra en outre que la défenderesse avait reçu le bien en question gratuitement puisqu’elle était membre de la famille de la requérante. Il releva enfin qu’en application du paragraphe 2 de l’article 302 du code civil, le propriétaire dépossédé d’un ARRÊT KRIVTSOVA c. RUSSIE 4 bien pouvait le revendiquer dans tous les cas, que l’acquéreur eût été de bonne ou de mauvaise foi. 12. En 2014, l’autorité chargée de la gestion du patrimoine public dirigea contre la requérante et d’autres copropriétaires de la parcelle de terrain supportant le bâtiment une action en vue uploads/S4/affaire-krivtsova-c-russie.pdf
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- Publié le Apv 05, 2022
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